Presque trente ans après le plan Juppé de fin 1995 sur la Sécu, l’histoire pourrait-elle en partie se répéter, avec une révolte de la médecine libérale et un divorce consommé avec l’exécutif ? C’est en tout cas une colère unanime qui traverse les rangs de la profession – toutes spécialités et toutes générations, cabinets libéraux et cliniques – avec la volonté d’en découdre et de conduire une riposte par étapes, culminant en janvier.
Les spécialités sur plateaux techniques lourds ont ouvert le bal de la rébellion en dénonçant les menaces contre le secteur 2, dont une possible « surtaxe » sur les dépassements d’honoraires imaginée à Bercy. Fin novembre, 1 700 spécialistes de bloc opératoire – chirurgiens, obstétriciens et anesthésistes – avaient déjà réservé leur bus et chambre d’hôtel pour l’opération d’exil symbolique à Bruxelles début janvier à l’appel de l’intersyndicale majoritaire Le Bloc. « Nous sommes passés de 30 inscriptions par semaine à une trentaine par jour », assurait il y a quelques jours devant la presse le Dr Philippe Cuq, chirurgien vasculaire à Toulouse et président du Bloc, comme preuve de la détermination des troupes. À ses côtés, des anesthésistes (AAL), obstétriciens (Syngof), orthopédistes (SNCO), urologues (SNCUF) et chirurgiens viscéraux et digestifs (SNCVD) ont relayé la colère des praticiens concernés. « Nous n’avons jamais vu un projet budgétaire d’une telle brutalité, , résume le Dr Cuq. Ces attaques sur le secteur 2, si elles devaient se concrétiser, signifieraient l’effondrement du modèle économique de nos spécialités libérales, chirurgie, anesthésie et gynéco-obstétrique ». L’arrêt des activités opératoires à compter du 5 janvier vise à démontrer que le système de santé ne pourrait fonctionner sans sa jambe privée.
Ce texte fait disparaître la démocratie sanitaire au profit d’une planification étatique
Communiqué intersyndical contre le PLFSS 2026
Au-delà du foyer de crise autour du secteur 2, c’est le climat jugé « antilibéral », voire « mortifère » qui nourrit la volonté de riposte de la profession, à l’image de la mobilisation catégorielle des radiologues (novembre) et des cardiologues (décembre). Au hit-parade des inquiétudes figurent en effet les menaces de décotes tarifaires unilatérales dans les spécialités « à rentabilité excessive » (imagerie, radiothérapie et dialyse aujourd’hui mais d’autres disciplines demain), la création ex abrupto par l’État du réseau labellisé France santé mais surtout le risque de contournement total des accords conventionnels.
Epée de Damoclès
Ce n’est pas tout. Les sanctions financières éventuelles en cas de non-alimentation du DMP (2 500 euros par manquement), restent aussi en travers des gorges libérales. « Si les parlementaires durcissent le PLFSS, nous durcirons la grève », résumait la CSMF, à l’aube de la ligne droite. « Ce PLFSS marque une rupture historique : il sonne le glas de la médecine libérale en France », dénoncent dans une rare unité les syndicats représentatifs (Avenir Spé-Le Bloc, CSMF, MG France, UFML-S, SML, FMF), soutenus désormais par la jeune génération (Jeunes Médecins, internes de l’Isni et de Isnar-IMG, carabins de l’Anemf et remplaçants de Reagjir) mais aussi par des associations et collectifs médicaux (Médecins pour demain, Comeli, collectif médical du Sud-Est – CMSE). « Ce texte fait disparaître la démocratie sanitaire au profit d’une planification étatique, supprimant la négociation conventionnelle et donnant à l’administration centrale le pouvoir de baisser unilatéralement les tarifs des consultations et des actes », martèlent-ils. Autre épée de Damoclès : dans la loi de finances cette fois (budget de l’État), les libéraux ont repéré la menace de suppression de certaines déductions conventionnelles (groupe III et remise de 3 %) dans les zones réputées non déficitaires. Un autre coup dur s’il se concrétise.
Puisque le gouvernement pense pouvoir faire sans nous, montrons-lui ce qu’est réellement une France sans médecins libéraux
Intersyndicale
Depuis cette semaine, c’est donc une « mobilisation générale » graduée qui a débuté dans le monde libéral, présentée comme « massive, polymorphe et unitaire ». Mercredi 3 décembre, à Nice, une première journée de grève locale a commencé dans des cliniques privées du Sud-Est et donne le ton. « Les soignants ne veulent pas d’une logique où la santé est gérée comme un tableau Excel », explique un communiqué signée par une douzaine de CME de cliniques des Alpes-Maritimes et du Var.
Pas de précédent
Sur le front administratif, les syndicats nationaux appellent les confrères libéraux à suspendre l’alimentation du DMP, à ne pas signer les nouveaux contrats de modération tarifaire (Optam et Optam-Aco) ou encore à systématiser la demande de validation des arrêts de travail par le service médical via Amelipro. Les praticiens libéraux de plus de 60 ans sont invités à déclarer aux agences régionales de santé (ARS) « leur cessation d’activité dans six mois ». Et pas question pour les médecins en colère de signer d’éventuels contrats d’engagement dans les structures labellisées France santé…
Mais surtout, la profession est priée de se préparer à un « mouvement de grève sans précédent » à partir du 5 janvier – pour dix jours – en reportant les patients prévus. Mot d’ordre : « Du 5 au 15 janvier, la médecine libérale ne répond plus », avec arrêt des consultations et de la permanence des soins. « Puisque le gouvernement pense pouvoir faire sans nous, montrons-lui ce qu’est une France sans médecins libéraux », réaffirme l’intersyndicale.
À ce stade, une manifestation nationale de la médecine libérale est prévue à Paris le mercredi 7 janvier. Sans oublier le soutien « avec force à l’opération Bruxelles » des blocs opératoires, qui pourrait bénéficier de renforts chez les jeunes. « Nous tenons une AG ce premier week-end de décembre pour savoir combien d’internes seraient prêts à participer à l’exil Bruxellois », confie Mélanie Debarreix, présidente de l’Isni. Le cardiologue Vincent Pradeau, nouveau président d’Avenir Spé, insiste sur la gravité du moment : « La réalité, c’est que les médecins et notamment les spécialistes libéraux sont remontés et mobilisés comme jamais. » Comme jamais « depuis le plan Juppé »…
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