Fin octobre, le Dr Jean-Jacques Perrin, médecin généraliste libéral de 72 ans, attaquait sa deuxième rotation dans le cadre du dispositif du gouvernement « Un médecin près de chez vous ». Le Quotidien l’a accompagné dans cette vacation solidaire au sein de la MSP de Gourin (Morbihan) où il intervient à raison de deux jours chaque quinzaine. Reportage.
Au Pays du roi Morvan, en plein territoire morbihannais, le dispositif « Un médecin près de chez vous », annoncé en grande pompe au printemps par François Bayrou dans le cadre de son pacte de lutte contre les déserts médicaux, vient de larguer les amarres. Pour le plus grand soulagement des quelque 4 000 habitants de la commune de Gourin et ceux de ses alentours, soit un bassin de vie d’environ 20 000 personnes.
Pour mémoire, cette « mission de solidarité territoriale » mise sur l’engagement volontaire de généralistes prêts à renforcer l’accès aux soins dans les 151 premières intercommunalités identifiées comme « zones rouges » (particulièrement fragiles) par le ministère, les ARS et les responsables locaux. Ces pionniers interviennent dans des lieux de consultation disponibles qui peuvent prendre la forme de maison de santé pluriprofessionnelle (MSP), de centres de santé, de cabinets libéraux ou encore de sites rattachés à des CHU. Chaque médecin perçoit une indemnité de 200 euros/jour pour couvrir ses coûts de déplacement ou d’hébergement, en plus des honoraires perçus pour les consultations.
Une heure trente de trajet aller-retour
Ce mercredi matin de la fin octobre, il est neuf heures pile lorsque le Dr Jean-Jacques Perrin, la nouvelle recrue de la petite ville bretonne de Gourin, ouvre la porte de « son » cabinet situé au second étage de la MSP qui l’abrite depuis deux semaines.
Un quart d’heure plus tôt, le généraliste de 72 ans, après quarante-cinq minutes de route depuis son domicile, venait de garer sa voiture sur le parking de la MSP. Et d’en sortir du coffre le carton comprenant son ordinateur portable personnel, son lecteur de carte CPS, et tout un barda de fils de connexion pour relier son terminal à la console centrale. « C’est le bazar avec le compte Adeli qui devait m’être attribué ici et je n’ai toujours pas reçu mes feuilles maladie. Alors je fais avec les moyens du bord et mon ordinateur perso », peste-t-il, faussement ronchon, sous un typique crachin breton. Au sec, deux étages plus haut et dix minutes de branchements plus tard, le Dr Perrin est fin prêt à recevoir ses premiers patients.
Une famille de patients du Faouët
Dans le couloir aux cinq chaises orange alignées qui sert de salle d’attente, c’est une famille de trois personnes qui a fait le déplacement depuis le village du Faouët, distant d’une quinzaine de kilomètres pour venir consulter le nouveau médecin : France, 75 ans, sa fille Juliette, la quarantaine, et son petit-fils, Eddie, 15 ans, qui vient de rentrer en seconde. « On est ravis que vous soyez là docteur ! », déclare, spontanément, la petite famille alors que le Dr Perrin ouvre la porte du cabinet. Difficile de recevoir meilleur accueil.
Pendant que France, la grand-mère, entame sa consultation pour un bilan de santé et des examens biologiques, sa fille Juliette confie sa satisfaction d’avoir un accès facilité à un médecin généraliste. Celle qui les suivait précédemment, elle et sa famille, à la MSP de Gourin, s’est cassé le col du fémur cet été. Elle est « très bien et on a hâte qu’elle revienne », mais en bonne médecin de famille « à l’ancienne qui prend le temps nécessaire à une vraie consultation », il fallait parfois patienter jusqu’à six heures dans la salle d’attente. Difficile de surcroît, de trouver des créneaux disponibles dans le carnet de rendez-vous surchargé de la praticienne.
Avec ce généraliste volontaire, les prises de rendez-vous, qui se font par internet, sont simples et les horaires réservés respectés. « On a appris en septembre via Facebook et le site de la mairie que le Dr Perrin débuterait ses consultations mi-octobre, à raison de deux jours par semaine toutes les quinzaines. On a sauté sur l’occasion », se félicite Juliette.
L’intendance suivra
« Moi aussi, c’est par internet que j’ai eu vent de ce dispositif cet été », confie le Dr Perrin, entre deux consultations. Et plus précisément via un appel aux volontaires passé par l’agence régionale de santé. « J’ai tout de suite répondu banco », poursuit le médecin de famille qui exerce déjà dans une maison de santé voisine, trois jours par semaine.
À Gourin, le Dr Perrin a donc choisi de venir deux fois par mois pour cette mission solidaire, le mercredi et le jeudi, où il exerce de 9 heures à midi, puis de 14 heures à 19 heures. Cette fin octobre, il en est à sa deuxième rotation. Verdict ? « Ça se met en place doucement. Le logiciel national de prise de rendez-vous est une usine à gaz, mais l’ARS est très réactive et corrige les doublons quand je les signale ». Et la mairie ? « Elle s’est vraiment secoué les puces », insiste-t-il, citant l’implication de la première adjointe au maire qui s’est démenée pour lui procurer le meilleur confort de travail possible. Avec l’aménagement du cabinet où exerçait auparavant un ophtalmologiste, la table d’examen, le logiciel métier… « J’ai dressé une liste du matériel dont j’avais besoin et tout était prêt le jour de mon arrivée », apprécie le médecin. « Bien sûr il reste quelques scories à corriger mais comme on dit, je suis sûr que l’intendance suivra ». Quant à l’indemnisation de 200 euros par jour, le généraliste la trouve « plutôt légère » mais fait contre mauvaise fortune bon cœur.
Chacun son étage dans la MSP
Seul bémol à ce stade, l’absence de contacts avec ses confrères du premier étage de la MSP. « Nous nous étions tous rencontrés fin septembre avec les acteurs locaux : des représentants de l’ARS, de la caisse primaire du Morbihan, en passant par la préfecture, la mairie, la CPTS du territoire, et bien sûr le président de la MSP de Gourin », se souvient-il. Tous lui ont alors souhaité la bienvenue. Mais en pratique, dans la maison de santé, les champs d’intervention des uns et des autres sont géographiquement bien délimités. Au premier étage, les cabinets permanents des quatre généralistes, du dentiste et de l’ORL. Et au second, l’espace du Dr Perrin. « C’est un peu chacun son étage », relève le nouveau venu, qui en a pris son parti.
Quant au fond de l’initiative « Un médecin près de chez vous », le généraliste pionnier admet avoir été quelque peu surpris par l’annonce de François Bayrou en avril dernier, réclamant un engagement territorial à des généralistes déjà souvent débordés. « On a un peu l’impression que c’est sorti du chapeau, mais bon, si cela peut aider pour l’accès aux soins des patients… », dit-il. De fait, pour expérimentale qu’elle soit, la formule a déjà trouvé son public, ici dans le Morbihan. « La nouvelle de la venue d’un généraliste a fait le tour du village en un temps record et aussi que des créneaux de consultations étaient disponibles. C’est par ce bouche à oreille que je suis là aujourd’hui », témoigne Éric, patient de 64 ans, qui n’avait pas vu de « docteur » depuis cinq ans.
Preuve des besoins locaux, les deux journées de vacation du Dr Perrin à la MSP de Gourin sont bien remplies. « Je dois réaliser une quinzaine de consultations chaque jour », confirme le nouveau « médecin près de chez vous », pour l’instant le seul à avoir sauté le pas sur la petite dizaine de généralistes des environs qui s’étaient initialement portés candidats. « Je ne sais pas pourquoi ces confrères n’ont pas donné suite, peut-être attendent-ils de voir comment ça se met en place concrètement », sourit-il, tout prêt à leur faire un retour d’expérience si nécessaire.
Le généraliste septuagénaire d’origine picarde qui a passé le plus clair de sa carrière à effectuer des missions d’intérim médical, notamment en Ehpad, confesse avoir trouvé son bonheur dans la formule. « Outre le fait que j’adore la Bretagne, j’ai eu un peu de tout depuis le début octobre. Des patients en ALD qui n’avaient plus de médecin traitant, d’autres qui sont venus pour un simple renouvellement d’ordonnance, des personnes avec la C2S avec qui je pratique le tiers payant… », relate-t-il avec enthousiasme. Entre service rendu, rencontres et diversité de la pratique, le Dr Perrin n’est pas prêt à dire de sitôt « Kenavo » à ses nouveaux patients.