Les députés fixent une durée maximale des arrêts de travail, la profession fustige une mesure « idiote »

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Publié le 13/11/2025

Lors de l’examen du budget de la Sécu pour 2026, l’Assemblée nationale a voté une limitation de la durée des arrêts de travail à un mois maximum pour une primoprescription et deux mois pour un renouvellement. Les syndicats de médecins libéraux fustigent une mesure inutile et chronophage.

Crédit photo : MOURAD ALLILI/SIPA

« 11 milliards d’euros de dépenses sur les arrêts [de travail] chaque année, c'est + 6 %, par an, depuis cinq ans : c'est un sujet ! Ici, nous ne parlons pas d'abus, c'est un sujet de pertinence de prescription », avait défendu la ministre de la Santé, Stéphanie Rist, à l’Assemblée nationale, lors de l’examen en séance du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2026. La rhumatologue hospitalière à la tête de Ségur tentait alors de justifier la mesure initiale du gouvernement visant à fixer une limite (par décret) à seulement 15 jours pour un premier arrêt de travail prescrit en ville et à 30 jours à l’hôpital.

In fine, les députés ont voté un dispositif similaire dans les intentions (réguler davantage les dépenses d’IJ) mais différent dans les modalités : une limitation de la durée des arrêts de travail à « un mois » au maximum pour une première prescription et « deux mois » pour un renouvellement – durées suggérées dans le rapport « Charges et produits » 2025 de l’Assurance-maladie. Les élus y ont ajouté une disposition permettant aux médecins de déroger à ce plafond « au regard de la situation du patient », s’ils le justifient dans leur prescription.

Le risque d’augmenter le nombre de consultations

Cette durée maximale fixée aux arrêts de travail est venue d’un amendement de repli du groupe socialiste, celui-ci stipulant que la durée soit précisée dans la loi et non laissée librement à la main de l’exécutif. « Laisser au gouvernement fixer une telle durée par décret semble dangereux », est-il écrit dans l’exposé des motifs. La ministre Stéphanie Rist s’était montrée ouverte à cet amendement en vertu de sa « simplification ».

Mais plusieurs élus ont aussitôt exprimé leurs critiques. « Cet article introduit une logique de suspicion à l'égard des soignants et des assurés », a lancé le Dr Paul-André Colombani (Liot). « En zone sous-dotée en médecins, (...) une personne malade retournera au travail faute d'avoir pu trouver un nouveau rendez-vous chez le médecin pour prolonger son arrêt », a aussi alerté Sandrine Runel (PS).

De fait, le cadrage de la durée des arrêts de travail n’est pas sans effet sur l’exercice. Selon un rapport annexé au PLFSS, la mesure aura « pour conséquence d'augmenter le nombre de consultations médicales », en multipliant les cas de revoyure. Mais revenir plus fréquemment chez le médecin « va justement permettre un suivi et donc une meilleure prise en charge du patient », a au contraire défendu la ministre de la Santé. La Cnam, de son côté, a régulièrement pointé l’explosion des IJ, dans une « dynamique de croissance structurelle ».

Encore de la paperasse

Les syndicats de médecins libéraux dont loin d’être convaincus par cette évolution, qui marque une forme d’intrusion dans l’exercice même si la ministre préfère se référer aux recommandations scientifiques et aux durées indicatives moyennes par pathologie. Pour le Dr Jean-Christophe Nogrette, secrétaire adjoint de MG France, cette mesure de « limite administrative » est tout simplement « idiote » car elle va « ajouter des consultations inutiles ». Et s’il est vrai qu’il n’est pas commun de prescrire des arrêts de plus d’un mois, « cela arrive ! », défend-il. Et d’illustrer l’exemple d’un patient avec une jambe cassée à qui on oublie de faire un arrêt à l’hôpital et qui ira nécessairement chez son médecin de famille pour être arrêté six semaines. Quant à la possibilité de déroger au dispositif, le généraliste est clair : « Il faudra encore faire de la paperasse… comme si nous n’avions que ça à faire ! »

Du côté de la CSMF, le Dr Luc Duquesnel, président de la branche généraliste, juge que « cette mesure [de durée maximale] n’est justifiée que pour certains arrêts, liés par exemple à la santé mentale », se basant sur les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS). Pour le reste, poursuit-il, cette mesure « est médicalement inutile et signifie une perte de temps », souligne-t-il.

S’il reconnaît qu’il est « rare » de prescrire plus d’un mois d’arrêt en première intention, le président de l’UFML-S, le Dr Jérôme Marty, y voit surtout une mauvaise symbolique de mise au pas des pratiques : « Les députés, qui ne savent même pas où est leur rate, définissent des règles pour les médecins en fonction de l’intérêt politique ou, en l’occurrence, économique. »

Pas de modification du plafond pour les ALD

Jusqu’alors, aucune durée maximale d’arrêt maladie n’est prévue explicitement, bien qu’il y ait des recommandations et des référentiels de durée moyenne. Des fiches repères établies par l’Assurance-maladie et validées par la HAS fournissent ainsi des durées « indicatives » pour certaines situations cliniques particulières ou des pathologies courantes.

Par ailleurs, hors ALD, les salariés soumis au régime général peuvent percevoir des IJ maladie pendant 360 jours par période de trois ans (plafond). En ALD en revanche, la durée d'indemnisation s'étend à trois années complètes (1 095 journées). Le gouvernement entendait abaisser au plafond de 360 jours les personnes souffrant d’une ALD « non exonérante » (qui ne permet pas l’exonération du ticket modérateur mais d’avoir un arrêt de travail supérieur à 6 mois et une prise en charge des transports). Mais l’Assemblée a rejeté cette disposition, qui concernait entre autres les personnes atteintes de troubles musculosquelettiques (TMS) ou de troubles dépressifs.


Source : lequotidiendumedecin.fr