Le Quotidien du Médecin : Comment la prise en charge du lupus a-t-elle évolué ces dernières années ?
Dr Marc Scherlinger : Maladie auto-immune rare qui atteint toutefois plus de 54 000 patients en France selon de récentes données de prévalence 1, le lupus systémique suscite beaucoup de recherches. Dans ce contexte, l’objectif thérapeutique dans le lupus a subi une réelle révolution, notamment concernant la place des corticoïdes. Alors qu’on apprenait encore il n’y a pas si longtemps qu’une dose de 5 mg était relativement physiologique, on sait aujourd’hui que même de faibles doses sont responsables d’effets indésirables. Ainsi, la cible thérapeutique est l’absence de symptôme du lupus associée à un objectif de zéro corticoïde au long cours. Pour atteindre l’absence de symptômes sans corticoïde, dans une stratégie treat to target, tous les patients doivent d’abord recevoir de l’hydroxychloroquine - dont les bénéfices ne cessent d’être confirmés - puis, si besoin, un immunosuppresseur qui peut être conventionnel ou ciblé, notamment avec les biothérapies.
Les immunosuppresseurs conventionnels ont connu quelques nouveautés, notamment dans leur utilisation simplifiée (i.e., suivi biologique espacé du méthotrexate et son utilisation possible en cas de souhait de paternité...).
Plus récemment, des thérapies biologiques sont entrées dans la pharmacopée, avec deux principaux anticorps monoclonaux. Le bélimumab, qui cible BAFF, une cytokine stimulant les lymphocytes B, a montré son efficacité notamment contre les atteintes articulaires et les atteintes rénales. L’anifrolumab, qui cible la voie des interférons de type I (IFN-I), a un effet très net sur les atteintes cutanées – y compris sur les lésions de lupus discoïdes dépigmentantes et cicatricielles, qui constituent une urgence thérapeutique « esthétique ». Afin de guider encore un peu mieux le traitement, l’utilisation de biomarqueurs se développe. Par exemple, une hypergammaglobulinémie polyclonale, un fort taux d’anticorps anti-ADN, et un complément consommé, qui suggèrent une activation du compartiment lymphocytaire B, orientent plutôt vers le bélimumab. Certains CHU mesurent aussi d’ores et déjà la signature interféron des patients, pour s’orienter - ou non - vers l’anifrolumab.
D’autres biothérapies sont-elles dans les pipelines ?
Plus d’une centaine de médicaments sont actuellement à l’étude dans le lupus – comme nous l’avons récemment montré dans une revue de la littérature publiée dans Nature Reviews Drug Discovery2. Parmi ces médicaments on retrouve d’autres biothérapies anti-cytokines que le bélimumab et l’anifrolumab. Citons aussi des molécules ciblant la signalisation intracellulaire liée à l’inflammation, comme les JAK inhibiteurs et les inhibiteurs de TLR7/TLR8, ou encore des produits inhibant la co-stimulation.
Une autre stratégie intéressante qui se dégage vise à stimuler le système régulateur du système immunitaire, notamment par l’interleukine 2. Et surtout, une grande partie de la recherche concerne le ciblage du lymphocyte B – par des anticorps monoclonaux classiques ou des approches plus innovantes, basées sur des CAR-T cells ou des anticorps bispécifiques.
Que peut-on attendre des thérapies cellulaires par CAR-T cells ?
Les CAR-T cells suscitent beaucoup d’espoir, chez les médecins comme parmi les patients. Pour rappel, ces chimeric antigen receptor T cells, initialement développées en onco-hématologie, consistent en des lymphocytes T autologues (prélevés chez les patients), modifiés par génie génétique en leur faisant exprimer un récepteur chimérique afin de les diriger contre un type de cellules donné – comme, dans le lupus, les lymphocytes B producteurs d’auto-anticorps. Début 2024, une série de cas allemande publiée dans le NEJM a donné des résultats particulièrement prometteurs3. À l’issue de ce travail, la majorité des patients ne présentaient plus aucun auto-anticorps, mais également plus aucun symptôme et ne nécessitaient plus aucun traitement (même l’hydroxychloroquine !). Si bien que la question de la possibilité d’une guérison – et pas seulement d’une rémission – se pose. À noter aussi que ce traitement one shot permettrait de régler les problématiques d’observance, qui continuent de se poser dans le lupus pour une proportion significative des patients. Ainsi, d’autres essais cliniques sont conduits auprès des patients les plus sévères et réfractaires aux traitements actuels afin de répliquer ces résultats particulièrement prometteurs.
Néanmoins, ces thérapies cellulaires restent extrêmement lourdes à mettre en œuvre : le patient doit préalablement arrêter ses traitements, puis il faut réaliser une cytaphérèse, envoyer les lymphocytes T dans un laboratoire capable de les modifier – encore souvent situé aux Etats-Unis –, et initier une chimiothérapie avant d’injecter les cellules modifiées. Ainsi, les CAR-T cells nécessitent plusieurs semaines (voire mois) d’attente avant traitement, et restent très onéreuses – avec un coût d’environ 200 000 euros par patient (sans compter les hospitalisations).
D’autres pistes de ciblage du lymphocyte B semblent-elles plus durables ?
Au regard des problématiques médico-économiques qu’elles soulèvent, des alternatives à ces CAR-T-cells sont recherchées afin de cibler différemment le lymphocyte B. Une piste encourageante concerne les anticorps bispécifiques dits T cell engager qui induisent une synapse immunologique entre le lymphocyte T et une cible telle que le lymphocyte B, en induisant leur destruction. Les recherches concernant ces anticorps bispécifiques sont encore assez préliminaires, mais des essais cliniques sont en cours. Par ailleurs, ces T cell engagers ont pour certains déjà obtenu des AMM en Europe ou en Amérique du Nord dans des indications d’onco-hematologie, comme le téclistamab (myélome) et le blinatumomab (leucémie lymphoangioblastique) - actuellement testés dans le lupus.
Références :
1 Pouchot J, Mandereau-Bruno L, Serra D, Tangre P, Constantinou P, Coste J. Prevalence, sociodemographic characteristics and spatial distribution of systemic lupus erythematosus in France: a nationwide study using health claims data with insights into hydroxychloroquine prescription patterns. Lupus Sci Med 2025; 12: e001519.
2 Scherlinger M, Kolios AGA, Kyttaris VC, Tsokos GC. Advances in the treatment of systemic lupus erythematosus. Nat Rev Drug Discov 2025; : 1–19.
3 Müller F, Taubmann J, Bucci L, et al. CD19 CAR T-Cell Therapy in Autoimmune Disease — A Case Series with Follow-up. New England Journal of Medicine 2024; 390: 687–700.