A VEC deux mois et demi de retard, Elisabeth Guigou, ministre de l'Emploi et de la Solidarité, a officiellement transmis aux caisses nationales d'assurance-maladie le montant de l'objectif de dépenses déléguées (ODD) des professions de santé libérales pour 2001, fixé à 149,9 milliards (« le Quotidien » du 6 avril).
Incluses dans le budget plus large affecté aux soins de ville (voir schéma ci-contre), ces dépenses « déléguées » sont gérées directement par la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM) et comprennent principalement les honoraires des médecins et d'autres professionnels de santé libéraux mais aussi les frais de transports sanitaires et de laboratoires d'analyses. C'est la gestion de cette enveloppe d'honoraires qui donne lieu aux fameux rapports d'équilibre remis trois fois par an au gouvernement et dans lesquels l'assurance-maladie peut proposer, à la baisse ou à la hausse, des ajustements des tarifs des actes médicaux et paramédicaux (c'est le mécanisme des lettres clés flottantes, si décrié).
Ne pas briser la dynamique contractuelle
Demain, le conseil d'administration de la CNAM examinera le montant de cette enveloppe avant de préparer le premier rapport d'équilibre de l'année 2001 (qui aurait dû être remis au gouvernement au plus tard le 15 février). Les administrateurs de la caisse devraient se prononcer contre l'ODD 2001, en considérant que le fait d'entériner cette enveloppe d'honoraires, sans aucune explication, serait pour le moins inopportun dans le contexte de concertation actuelle. Depuis plusieurs mois en effet, les professionnels de santé libéraux et les organisations gestionnaires de l'assurance-maladie discutent tous azimuts dans le cadre de divers groupes de travail qui ont déjà poussé très loin la réflexion pour trouver une alternative au système actuel. « J'appellerai à un vote négatif (sur l'ODD) », a déclaré à l'AFP Jean-Marie Spaeth, président (CFDT) de la CNAM, en précisant que le système de lettres clés flottantes a pour conséquence « de casser toute dynamique contractuelle avec les professionnels de santé ».
Ces propos marquent une réelle volonté d'ouverture : pour la CNAM, accepter l'ODD 2001 sans sourciller reviendrait à remettre en cause la politique de main tendue aux médecins libéraux. De son côté, Georges Jollès, vice-président (Medef) de la CNAM, a affirmé au « Figaro » qu'il se prononcerait contre l'objectif arrêté par le gouvernement, mais pour d'autres raisons : pour le patronat, l'ODD 2001 ne tient pas compte des transferts de l'hospitalisation vers la ville et de la croissance des dépenses maladie à un rythme très soutenu en début d'année. Quoi qu'il en soit, un rejet massif de l'ODD par les administrateurs de la CNAM permettrait à la direction CFDT de la caisse de ressouder sa majorité de gestion autour d'un projet porteur : renouer le dialogue avec les professions de santé libérales. Si la CNAM refuse l'objectif fixé par le gouvernement, celui-ci sera alors adopté par un arrêté ministériel.
Il est encore moins probable, dans un second temps, que la CNAM propose au gouvernement de nouvelles baisses de tarifs qui mettraient le feu aux poudres.
« Mesurettes »
« Je ne sais pas ce que la CNAM fera, observe le
Dr Pierre Costes, président du syndicat de médecins généralistes MG-France. Mais je sais que les dirigeants de la caisse veulent instaurer des comportements différents avec les professions de santé. » Selon certains observateurs, le prochain rapport d'équilibre de l'assurance-maladie devrait éviter les sanctions financières et se borner à des « mesurettes structurelles ». Dans un communiqué, Elisabeth Guigou souligne que, « dans le cadre d'objectifs qui restent nécessairement rigoureux, la CNAM doit être en mesure de jouer pleinement son rôle en matière conventionnelle ». Autrement dit, la caisse doit élaborer une politique contractuelle, poursuivre un « dialogue actif » mais sans relâcher la pression sur les professions de santé libérales : tâche difficile, s'il en est.
Comme le reconnaît implicitement Elisabeth Guigou, l'ODD 2001 laisse peu de marge de manuvre.
Fixé à 149,9 milliards contre 140,4 pour 2000 (soit presque 10 milliards supplémentaires et une hausse apparente de 6,76%), l'ODD 2001 est plus sévère qu'il n'y paraît. En fait, les dépenses déléguées effectivement remboursées en 2000 par l'ensemble des régimes ont atteint 145,7 milliards de francs, soit un dépassement de plus de 5 milliards par rapport à l'objectif initial.
Objectif intenable ?
Et encore n'est-ce là qu'une estimation a minima. Dans cette hypothèse, la hausse réelle de l'ODD d'une année sur l'autre serait déjà inférieure à 3 %. Si l'on ajoute que la croissance des dépenses de soins de ville s'est poursuivie à un rythme élevé en début d'année 2001 (+ 8 % en glissement annuel), il est évident que l'objectif fixé pour 2001 est intenable en l'état actuel des choses.
Les syndicats médicaux ne s'y trompent pas, qui contestent plutôt la méthode de régulation des dépenses. « Peu importe le chiffre, note le Dr Dinorino Cabrera, président du Syndicat des médecins libéraux (SML). De toute façon, il est calculé de façon absurde et sans aucune analyse des besoins. Ce qui est contestable, c'est la démarche. » Pour le Dr Costes (MG-France), « il faut, au-delà de l'ODD qui n'est qu'un budget de fonctionnement, que le gouvernement investisse massivement dans le secteur des soins ambulatoires de proximité, dans deux directions : la coordination des acteurs et la permanence des soins ».
La Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) dénonce, quant à elle, l'aspect « irréaliste, ubuesque, intenable » de l'ODD et récuse, une nouvelle fois, « la politique strictement budgétaire menée par le gouvernement, politique qui ne tient pas compte de la réalité des besoins sanitaires légitimes de la population ».
Consciente de cette exigence de réforme, Elisabeth Guigou a confirmé sa volonté d'aboutir à un système de régulation des dépenses qui soit « à la fois plus efficace et mieux accepté ». Elle plaide pour la mise en place d'une responsabilité « partagée ». C'est une des tâches qui incombe à la mission de concertation pour la rénovation des soins de ville, laquelle poursuit ses nombreuses auditions dans le monde de la santé.
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