Alors que la mise en place d’un dépistage du cancer pulmonaire a longtemps fait l’objet de débats en France, les choses semblent vouloir s’accélérer.
Jeudi, lors du lancement de la stratégie décennale de lutte contre les cancers, Emmanuel Macron a en effet entériné le principe. « Fixons-nous une priorité, a déclaré le président de la République, que d’ici quelques années, nous ayons déployé pour le cancer du poumon des campagnes au moins aussi efficaces que celles qui ont déjà cours [pour d'autres cancers] ».
À peine une semaine plus tôt, les résultats préliminaires de l’étude en vraie vie DEP-KP80 présentés par le Dr Olivier Leleu (CH d’Abbeville) lors du 25e congrès de pneumologie de langue française virtuel confirmaient l’efficacité et la faisabilité du dépistage organisé du cancer du poumon en France.
Le dépistage individuel du cancer du poumon ne fait plus débat
« Du point de vue scientifique, le dépistage individuel du cancer du poumon ne fait plus débat », indique le Dr Leleu. Deux grandes études font référence : les essais néerlando-belge Nelson (paru en 2020) et américain NLST (National Lung Screening Trial), ont validé l’intérêt d’un dépistage du cancer du poumon parmi une population à risque (55-74 ans, tabagisme > 30 paquets/années, actuel ou sevré depuis moins de 15 ans). L’étude NLST (53 000 patients) a observé après plus de 6 années une diminution de la mortalité par cancer du poumon de 20 % et de la mortalité globale de 6,7 % à l’aide d’un scanner basse irradiation tous les ans, durant trois années consécutives. L’étude Nelson a obtenu des résultats globalement similaires : une mortalité spécifique réduite de 24 % chez les hommes et de 33 % chez les femmes.
Restait à tester la faisabilité de ces protocoles de dépistage en France, en vie réelle. À cette fin, les premières inclusions de l’étude DEP-KP80 dans le département de la Somme, au design calqué sur celui de l’étude NLST, ont débuté en 2018 ; le troisième et dernier tour (troisième dépistage) de scanner basse dose se terminera fin 2021.
L’étude DEP-KP80 confirme la faisabilité en France
Les résultats du second tour du dépistage du cancer du poumon de DEP-KP80 (qui comprend trois tours de scanner), confirment l’impact et la faisabilité de ce dépistage. Au second tour, comme au premier, le nombre de stade 1 était élevé (75 %) ainsi que celui de résection chirurgicale (87 %, seule ou associée à une radiochimiothérapie/chimiothérapie). « Tout l’intérêt du dépistage est le nombre de stade 1 découvert à l’imagerie, commente Olivier Leleu, et le dépistage permet d’inverser les stades au diagnostic. Symptomatiques, deux cancers sur trois sont étendus ou métastatiques. Avec le dépistage, on détecte deux cancers sur trois localisés ou très localisés, avec un nombre élevé de résections, à l’origine d’un gain de survie constaté dans l’étude Nelson. » La survie à 10 ans dépasse 80 % pour les cancers découverts à des stades localisés par scanner thoracique basse irradiation.
« Nous avons pu nous appuyer sur le réseau local des médecins généralistes et des spécialistes (radiologues, pneumologues... avec, une participation exceptionnelle des médecins traitants », souligne Olivier Leleu. Seul bémol : dans DEP-KP80 (1300 participants à l’inclusion), le taux de participation qui s’essouffle au second tour (35 %). Les raisons sont en cours d’investigation. Une analyse coût/efficacité est également en cours. Dans l’étude NLST, le dépistage organisé s’est révélé coût/efficace. Selon une publication française, ce dépistage coûterait en France environ 200 millions d’euros pour deux millions de participants. Le coût intégral pourrait être couvert par une augmentation du paquet de tabac de 10 centimes*.
En attendant l’avis de la HAS
En 2020, et à la lumière des essais Nelson et NLST, la Haute autorité en santé (HAS) devait réviser son rapport sur l’évaluation de la pertinence du dépistage du cancer broncho-pulmonaire en France (le précédant datant de mai 2016), mais le chantier a pris du retard.
D’ores et déjà, plusieurs sociétés savantes dont l'Intergroupe francophone de cancérologie thoracique, la Société d’imagerie thoracique et la Société de pneumologie de langue française (avis prochainement publié) défendent un dépistage pour les gros fumeurs ou anciens fumeurs entre 50 et 74 ans comme c’est déjà le cas aux États-Unis depuis 2013. En novembre 2018, compte tenu du bénéfice permettant de sauver jusqu’à 7 500 vies chaque année en France, une trentaine d’experts avaient plaidé pour un dépistage par scanner thoracique faiblement irradiant chez les fumeurs âgés de 50 à 74 ans actifs ou sevrés depuis moins de 10 ans ayant fumé plus de 10 cigarettes/j pendant 30 ans ou 15 cigarettes/j pendant 25 ans.
L’implémentation d’un dépistage organisé du cancer du poumon chez les personnes à risque ne serait donc plus désormais qu’une question de temps…
*Rev Mal Respir. 2017 ; 34(7):717-28
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