Infections, pathologies cardiovasculaires, cancers ou encore ostéoporose… Cette année le Congrès européen de rhumatologie (Eular, Rome 11-13 juin 2015) a fait la part belle aux comorbidités des rhumatismes inflammatoires chroniques (RIC). Loin des toutes nouvelles biothérapies ou des dernières techniques d’imagerie, le sujet suscite depuis quelques années un intérêt croissant.
Une attention légitime lorsque l’on sait, par exemple, qu’une polyarthrite rhumatoïde entraîne une surmortalité proche de 40 % notamment du fait de ces comorbidités.
Triple peine
Pour autant, au quotidien, leur dépistage et leur prise en charge restent insuffisants, comme l’a souligné le Pr Maxime Dougados (hôpital Cochin, Paris) en présentant les premières recommandations de l’Eular dédiées aux comorbidités. À titre d’exemple, selon une étude rapportée à Rome, une femme de plus de 50 ans atteinte de PR a significativement moins de chance de bénéficier d’une mammographie qu’une femme du même âge exempte de RIC. L’étude européenne Comora menée par le Pr Dougados fait un constat proche pour le dépistage d’autres cancers comme celui du côlon ou du col de l’utérus. Même chose pour le repérage de l’ostéoporose ou encore l’évaluation du risque cardiovasculaire. Les mesures de prévention sont aussi à la peine notamment pour les comorbidités infectieuses avec, par exemple, des taux de vaccination anti-pneumoccocique ne dépassant pas 17 %.
« En fait, c’est un peu la triple peine, résume le Dr Athan Baillet (CHU de Grenoble), co-auteur des recos de l’Eular. Non seulement ces patients souffrent d’un rhumatisme inflammatoire, non seulement certaines comorbidités sont plus fréquentes chez eux du fait de leur maladie ou de leur traitement mais, de surcroît, ils bénéficient moins que la population générale de mesures de prévention ou de dépistage. »
Bientôt un questionnaire dédié
D’où l’initiative de l’Eular qui propose, pour les patients atteints de RIC, de systématiser et de standardiser le dépistage des principales comorbidités grâce à un questionnaire validé basé sur l’analyse de la littérature. Présenté lors du congrès, ce questionnaire comporte une centaine de questions déclinées autour de six grands groupes de comorbidités. Ont été retenues les comorbidités dont la prévalence est augmentée en cas de RIC mais aussi celles pour lesquelles il n’y a pas de sur-risque particulier mais dont l’impact sur l’état de santé et le vécu du patient est important et qui tirent bénéfice d’un repérage précoce. À savoir : les infections, le cancer, les maladies cardiovasculaires, l’ulcère gastroduodénal, la dépression et l’ostéoporose.
L’objectif « est d’avoir une analyse systématique permettant à la fois de recenser tous les antécédents de comorbidités du patient et leurs traitements, de détecter une comorbidité éventuellement passée inaperçue, mais aussi de retrouver des facteurs de risque de comorbidité sur lequel on peut agir, comme par exemple le tabac, le diabète ou encore la prise de corticothérapie sans IPP », précise le Dr Baillet. « L’idéal serait que chaque patient atteint de RIC puisse bénéficier de ce dépistage une fois par an », poursuit le rhumatologue tout en reconnaissant « que cela impose une consultation longue, difficile à mettre en œuvre en médecine de ville. » L’idée serait donc plutôt que ce dépistage se fasse à l’hôpital, du moins la première fois, puis qu’un compte rendu soit adressé à tous les soignants concernés.
L’étude Comedra a montré qu’on pouvait screené ces comorbidités de manière exhaustive en une heure environ, avec un impact bénéfique démontré sur la prise en charge ultérieure du patient dans les domaines cardiovasculaires, infectieux néoplasiques et pour l’ostéoporose.
Le questionnaire de l’Eular sera disponible sur son site et devrait être publié prochainement. Avec, à terme, une version spécifique à chaque pays intégrant, en sus, pour chaque classe de comorbidités, les mesures de suivi à mettre en œuvre. « Il s’agit donc d’un travail dynamique appelé à évoluer pour intégrer au fil du temps les nouvelles données concernant spécifiquement le dépistage ou la prise en charge des comorbidités dans les rhumatismes inflammatoires ». Pour le moment, faute de littérature spécifique, les stratégies retenues sont, en effet, identiques à celles proposées en population générale. Exception faite du test d’évaluation du risque cardiovasculaire « score » que les auteurs préconisent de multiplier par 1,5 en cas de PR. Un point repris dans la version actualisée des recommandations de l’Eular sur les comorbidités cardiovasculaires.
Les RIC, un facteur de risque CV à part entière
Également présentées à Rome, ces nouvelles guidelines confirment que la PR doit être considérée comme un facteur de risque cardiovasculaire avec un sur-risque de l’ordre de 50 %. Par rapport à la version de 2007, ce postulat est étendu aux autres RIC que ce soit le rhumatisme psoriasique ou la spondylarthrite ankylosante (SA), « ce qui permet de renforcer cette idée globale d’augmentation du risque cardiovasculaire de l’ordre de 50 % dans les rhumatismes inflammatoires », se félicite le Dr Baillet.
En corollaire, l’évaluation cardiovasculaire doit être faite dans les trois pathologies, au moins une fois tous les cinq ans et en cas de changement majeur dans le traitement du rhumatisme. L’utilisation du score européen « score » est recommandée dans les trois pathologies.
Autres nouveautés : la détection des plaques athéromateuses carotidiennes par échographie est désormais recommandée pour les patients atteints de PR tandis que le dosage lipidique « est à faire si possible quand la maladie est stable ». La nouvelle feuille de route souligne, par ailleurs, l’importance d’un bon contrôle de la maladie rhumatismale et de l’inflammation pour minimiser le sur-risque CV. Tout en incitant à ne prescrire qu’à minima les corticoïdes et à éviter les AINS en cas de pathologies ou facteurs de risque CV associés, sauf pour la SA où les AINS restent recommandés.
Mortelles infections
Si les patients atteints de RIC paient un lourd tribut aux pathologies CV, ce sont en fait les comorbidités infectieuses qui sont, en proportion, les plus redoutables selon une étude de J. Lindhardsen et al. présentée à Rome. Ce travail s’est penché sur les données des registres danois qui ont suivi près de 5,3 millions de personnes entre 1995 et 2011. Au cours du suivi, 25 104 sujets ont développé une PR avec une surmortalité toutes causes de 39 % par rapport au reste de la population. La surmortalité liée aux pathologies cardiovasculaires était de 29 %, similaire à celle imputable au cancer.
En revanche, l’excès de mortalité dû aux infections était plus que doublé (HR = 2,28). Ainsi, même si en valeur absolue les premières causes de mortalité restent, comme en population générale, les maladies CV (avec 279 décès dans cette cohorte) et le cancer (271 décès), le sur-risque de mortalité d’origine infectieuse est de loin le plus important avec 224 décès. Pour les spécialistes, ces résultats doivent inciter à être vigilant, à minimiser l’utilisation des corticoïdes autant que possible et à renforcer les mesures préventives type vaccination.
Impact sur l’observance
Plus paradoxalement, un bon moyen de limiter le risque infectieux pourrait être de ne surtout pas arrêter les anti-TNF ! C’est en tout cas ce que suggère une étude présentée à Rome par Richter et al. Ce travail montre que chez des patients atteints de RIC et traités par anti-TNF alpha les sepsis sont plus fréquents en cas d’interruption de traitement. Ce constat pourrait témoigner en fait d’une consommation accrue de corticoïdes en cas d’arrêt de traitement par biothérapie. Même si pour le Dr Baillet, ces résultats sont « un peu trop beaux pour être vrais et demandent à être confirmés », ils mettent en exergue l’importance de la bonne observance au traitement.
À ce titre deux autres études soulignent l’impact délétère de certaines comorbidités sur le suivi des traitements antirhumatismales. Selon le registre suédois Artis qui a suivi 965 patients ayant une SA de 2006 à 2010, le risque d’arrêter le traitement anti-TNF dans les 3 ans suivant son instauration est augmenté de 50 % (RR 1,53) chez les patients souffrant d’anxiété et/ou de dépression. De façon similaire, une étude menée par Isono et al. montre que le diabète est un facteur péjoratif pour la maintenance des biomédicaments dans la PR. Autant de raisons supplémentaires pour traquer les comorbidités !
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