Même si Pierre Bretonneau fut le premier à décrire la diphtérie – baptisée d’abord diphtérite, du grec diphtéra signifiant membrane – en différenciant l’angine diphtérique de l’angine banale et des angines scarlatineuses et en assimilant en une seule maladie l’angine maligne et le croup, la maladie était connue depuis des siècles.
« Nyctalopies, angines et paralysies »
Le premier à l’évoquer fut, sans doute, Hippocrate de Cos. Littré, qui traduisit le médecin grec, rapporte ainsi que dans le VIe livre des épidémies, le médecin grec fait la description d’une maladie qui ne porte aucune dénomination particulière, toujours désignée sous le nom de la toux ou les toux. « Observée à Périnthe, en Thrace, l’épidémie débuta quinze jours après le solstice d’hiver avec des toux qui, au départ, n’offraient rien de particulier. Mais au quarantième jour, les malades firent une rechute et l’affection prit alors un tour inattendu. Trois sortes de phénomènes apparurent : les nyctalopies, les angines et les paralysies. Quand dans la récidive, la toux avait été peu intense ou nulle, les malades, surtout les enfants, étaient affectés de nyctalopie. Si la toux avait été violente et sèche, il se déclarait des angines et des paralysies. Elles attaquèrent beaucoup d’hommes, très peu de femmes libres et nombre de femmes esclaves. Et l’on observa que les paralysies frappaient surtout les membres qui avaient ressenti antérieurement, par l’exercice, le plus de fatigue. »
À Rome, Asclépiade et Arétée, médecin de l’empereur Vespasien, décrivirent à leur tour une maladie ressemblant furieusement à la diphtérie dans laquelle les amygdales se recouvraient de fausses membranes gangréneuses qui descendaient ensuite à l’intérieur du larynx et de la trachée, étouffant le malade. Ils donnèrent à la maladie les noms de morbus Aegyptiacus, cette affection qui paraissait être endémique à l’Egypte ayant sévi de manière épidémique en Orient.
Une maladie bien connue par Galien
Galien, au IIe siècle, semble avoir bien connu l’expectoration pseudo-membraneuse d’origine diphtérique : « Un fragment de tunique membraneuse rejeté dénote l’existence d’une ulcération, mais dans quelle partie se trouve-t-elle ? C’est ce que nous apprendra le siège du mal… Si elle est rendue en toussant, c’est une affection du larynx, de la trachée-artère ou du poumon ? Si elle est rejetée en crachant, c’est une affection du pharynx » .
[[asset:image:2271 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Au Ve siècle, Caelius Aurelianus a peut-être lui aussi été confronté à la diphtérie puisqu’il écrivait : « La parole n’est plus articulée, mais confuse et douloureuse, et le visage est livide. Il y a extinction de la voix ; un bruit strident se fait entendre dans la gorge et la poitrine. Les boissons reviennent par le nez. Enfin, la disparition graduelle du pouls et, pour quelques-uns, l’apparition d’écume aux lèvres, sont les effets de la mort prochaine ».
Réapparition au XVIe siècle en Hollande et en Italie
Il faudra ensuite attendre le XVIe siècle pour retrouver mention d’une maladie ressemblant à la diphtérie, un médecin du nom de Pierre Forest ayant été témoin en 1557 à Alkenaër, en Hollande, d’une épidémie meurtrière de mal de gorges avec ulcères sur les amygdales. En 1563, on retrouve trace d’une épidémie semblable à Naples, en Sicile et à Malte puis, en 1564, à Constantinople et Alexandrie.
En 1576, Baillou décrit l’angine couenneuse qui sévissait épisodiquement à Paris. L’épidémie qui frappe l’Italie au début du XVIIe siècle est décrite sous les noms d’angine pestilentielle et de maladie strangulatoire. Marc-Aurèle Séverin, un médecin napolitain, est le premier à entrevoir la paralysie diphtéritique, signalant comme pouvant faire suite à la maladie « une adynamie et un état prolongé d’imbécillité ».
En 1735, un médecin anglais, Cadwater-Colden, observe une épidémie d’angine diphtéritique qui, après avoir pris son essor à Kingstown, en Jamaïque, se serait répandue dans toutes les colonies britanniques d’Amérique du Nord. Il décrit ainsi la maladie : « Elle débute par un mal de gorge avec ulcères et escarres blancs qui, plus tard, deviennent noirs ; des mortifications se produisent aussi derrière les oreilles, aux parties génitales, aux plaies des vésicatoires et aux piqûres de saignées ».
En Italie et en Angleterre, en 1745, l’épidémie sévit aussi, un médecin du nom de Starr écrivant qu’elle est plus pernicieuse en Cornouailles qu’à Londres avec un gonflement œdémateux des glandes parotides, sous-maxillaires et sub-linguales, des pétechies et des escarres gangréneuses à l’anus. Une épidémie est également décrite en France, à Aumale, en 1767, année où, en Ecosse, Francis Home, écrit un « Traité sur le croup » où il s’efforce de séparer le croup de l’angine maligne.
L’étude du croup mise au concours par la Société royale de médecine, puis par Napoléon
En 1783, la Société Royale de médecine met au concours l’étude du croup et couronne le travail d’un certain Vieusseux qui a établi trois variétés de croup : le croup inflammatoire, le croup nerveux et le croup chronique.
En 1807, Napoléon va à son tour mettre au concours l’étude du croup. Il ressort de ce concours qu’on ne saisit pas encore l’identité de nature qui existe entre croup et angine maligne ou gangréneuse, mais qu’il est souvent fait état des paralysies du voile du palais qui surviennent dans la convalescence de cette maladie.
Bretonneau crée le terme de diphtérie
C’est donc Bretonneau qui, menant des études sur les angines malignes appelées jusque-là selon l’aspect des amygdales angines rouges, couenneuses, phlegmoneuses, putrides… va créer le terme de diphtérie, maladie qu’il a pu longuement observer lors d’une épidémie en Touraine en 1818. La communication qu’il présente à l’Académie de Médecine en 1821 sur la maladie n’obtient pas un franc succès, raillé par ses confrères qui contestent ses descriptions des lésions.
Heureusement, Bretonneau peut compter sur ses élèves, en particulier Velpeau qui va l’aider dans une entreprise quelque peu singulière. Les deux hommes vont ainsi aller dans les cimetières exhumer des enfants enterrés le jour même ou la veille pour examiner leur gorge et noter le siège exact, l’aspect et l’étendue de leurs lésions. À la suite de ces observations, Bretonneau va publier en 1826 Des inflammations spéciales du tissu muqueux et, en particulier, de la diphtérite, ou inflammation pelliculaire, connue sous le nom de croup, d'angine maligne, d'angine gangréneuse, etc., ouvrage contenant la première description complète de la maladie. Ses travaux auront aussi permis à Bretonneau de comprendre la notion de spécificité morbide liée à la contagion par germe : « Un germe spécial, propre à chaque contagion, donne naissance à chaque maladie contagieuse. Les fléaux épidémiques ne sont engendrés, disséminés que par leur germe reproducteur ».
Isolation du bacille en 1884
Il faudra attendre 1883 pour que le bacille à l’origine de la maladie soit découvert par Theodor Klebs. Il sera isolé l’année suivante par Friedrich Löffler. Le bacille portera désormais le nom de Corynebacterium diphteriae ou bacille de Löffler-Klebs. Entre 188 et 1890, Emile Roux et Alexandre Yersin publient trois mémoires sur la diphtérie, apportant la preuve que la maladie n'est pas provoquée directement par le bacille, mais par la toxine qu'il produit. Ce fut d’ailleurs la première toxine isolée dans l’histoire de la microbiologie.
Roux met au point une sérothérapie
Grâce aux travaux de Behring, qui, en 1890, démontre avec Kitasato la présence d’antitoxines dans le,sang de patients se remettant de la diphtérie, Roux et ses collaborateurs, Martin et Chaillou, vont commencer à mettre au point, à partir de 1891 un sérum contre la diphtérie. En 1894, ils vont en tester l’efficacité thérapeutique sur des enfants hospitalisés à Trousseau et aux Enfants-Malades. Le résultat fut de 316 morts sur 520 traités par les moyens classiques contre 109 morts sur 448 traités par le sérum. La létalité de la diphtérie va bientôt tomber de 40 à 2%.
En 1913, Emil Von Behring va proposer un vaccin contre la diphtérie basé sur un mélange de toxine et d'antitoxine. Seul problème : s’il est efficient en laboratoire, il se montre inefficace sur le terrain.
L’anatoxine diphtérique de Gaston Ramon
[[asset:image:2281 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]En 1923, Gaston Ramon, un vétérinaire et biologiste qu’Emile Roux a fait entrer à l’Institut Pasteur démontre que la toxine diphtérique qui a subi l'action simultanée d'une petite quantité de formol et de la chaleur, se transforme en un dérivé inoffensif mais qui conserve intact son pouvoir vaccinant. Gaston Ramon lui donne le nom d'anatoxine diphtérique. Après quelques essais, la vaccination par l'anatoxine diphtérique entre dans la pratique. Au cours des années ayant précédé l'utilisation de l'anatoxine, 12 000 à 15 000 cas par an étaient enregistrés.
[[asset:image:2286 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]En 1925, la ville de Nome, en Alaska, fut frappée par une épidémie de diphtérie. Alors que la glace et un blizzard persistant empêchaient tout envoi de sérum par avion ou bateau, un traîneau parvint à rejoindre Nome avec le sérum salvateur après avoir parcouru 85 km dans la tempête. Le dernier musher du relais s'appelait Gunnar Kaasen et le leader des chiens Balto. Ce dernier a dorénavant sa statue à New York près du zoo de Central Park et une autre dans le centre d'Anchorage. Chaque année, la course de traîneaux Iditarod ou Route du sérum ou « course de la miséricorde » commémore cet évènement.
Vaccination obligatoire pour tous depuis 1938
En France, après qu’elle ait été initiée dans les collectivités d’enfants, la vaccination antidiphtérique deviendra obligatoire au service militaire après la loi du 21 décembre 1931 et sera étendue à toute la population par la loi du 25 juin 1938. Des campagnes massives furent organisées à partir de 1942 et appliquées principalement dans la zone occupée, la vaccination antidiphtérique ayant été rendue obligatoire en Allemagne en 1941.
[[asset:image:2291 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, alors qu’on a assisté à une certaine recrudescence des épidémies de diphtéries dans plusieurs pays de l’ex-URSS, en 1982-1983 chez les enfants et en 1990 chez les adultes, la maladie est bien contrôlée en France grâce à une bonne couverture vaccinale. Le dernier cas autochtone déclaré, lié à C. diphtheriae, date de 1989 et le dernier décès remonte à 1982. Après plus de 10 ans sans aucun cas notifié, huit cas d’infection à C. diphtheriae (cinq cas d’angine diphtérique et trois cas de diphtérie cutanée) ont été rapportés entre 2002 et 2012. Tous sont des cas importés chez des sujets incomplètement ou non vaccinés et aucun n’est décédé.
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