La fièvre jaune, connue aussi sous les dénominations de vomito negro (vomi noir) ou peste américaine est une hépatonéphrite aiguë due au virus amaril transmis par des moustiques (Aedes ægypti et Haemagogus). À son début, marquée par une forte fièvre, des frissons , des douleurs musculaires et des maux de tête, la maladie peut être confondue avec la dengue ou le paludisme. Mais il n'y a plus de doute qu'il s'agit bien de la fièvre jaune quand apparaissent un ictère, des troubles rénaux (albuminurie), et un vomissement de sang noirâtre...
Première épidémie au Yucatan en 1648
Maladie la plus redoutée des Amériques, la fièvre jaune qui sévit dans les régions intertropicales d'Amérique et d'Afrique n'est curieusement jamais parvenue jusqu'en Asie. La fièvre jaune qui sévissait par épidémies, frappant plus particulièrement les Européens et les Nord-Américains s'aventurant dans les pays tropicaux, fut un frein certain à la colonisation. La première épidémie avérée eut lieu dans le Yucatan, au Mexique, en 1648, même si on lui donna le nom générique de " peste ". De nombreuses autres épisodes de fièvre jaune furent encore décrits, notamment en 1793 à Philadelphie où l'on recensa 5000 morts, soit 10 % de la population, ou en 1821, à Barcelone où un bateau arrivant de Cuba porteur du virus mortel fit 20 000 morts dans la capitale catalane.
Le corps expéditionnaire français décimé à Saint-Domingue en 1802
Les Français durent souvent faire face à la fièvre jaune qu'ils appelèrent typhus amaril quand ils y furent confrontés en Guyane en 1763. Les quelques rescapés de l'épidémie se réfigièrent sur les îles du Diable, devenues pour l'occasion les îles du Salut. La fièvre jaune provoqua également un désastre dans le corps expéditionnaire français envoyé en 1802 à Saint-Domingue pour mater le soulèvement des autochtones conduits par Toussaint Louverture.
Les troupes menées par le général Leclerc, beau-frère de Bonaparte n'étaient certainement pas prêtes pour ce genre de campagne tropicale. Mal préparées. Incapables de contrecarrer l'héroïque résistance des Noirs révoltés, elles furent bientôt décimées par une épidémie implacable qui allait anéantir 80% des soldats métropolitains. Chaque jour, plus de cent membres du corps expéditionnaire passent de vie à trépas dans d'horribles souffrances, le Service de santé étant totalement démuni et même incapable d'expliquer les causes de la maladie. Les troupes françaises vont bientôt se réduire à 3 000 hommes, le général Leclerc étant lui-même emporté par la fièvre jaune en novembre 1802. Son successeur, Rochambeau, n'a d'autre issue que de capituler en novembre 1803 et l'indépendance de Saint-Domingue est proclamée le 1er janvier 1804, l'île prenant le nom d'Haïti. C'est aussi à cause de la présence récurrente de la fièvre jaune (et du paludisme) que Napoléon abandonna à vil prix la Louisiane au président américain Jefferson. Notons, d'ailleurs, qu'en 1850, la moitié des décès enregistrés à la Nouvelle-Orléans avaient pour responsable la fièvre jaune...
Pierre Lefort, de l’hypothèse de la contagion à la théorie de la non-contagion
Entretemps, au début du XIXe siècle, quelques médecins français, comme Antoine Dalmas à Saint-Domingue, s'étaient intéressés à la fièvre jaune, tentant d'en établir la non-contagiosité, mais sans établir de lien de cause à effet avec les moustiques. Mais ce fut surtout Pierre Lefort, un médecin originaire de Mers-les-Bains, qui chercha à comprendre le mécanisme de la maladie. Chirurgien de marine de troisième classe en 1793 et embarqué à bord de " L'Indomptable", vaisseau commandé par le contre-amiral Villaret-Joyeuse, fut fait prisonnier par les Anglais le 13 Prairial (1er juin 1794) par les Anglais. Retenu en captivité durant trois ans, il put soigner ses compatrotes dans les hôpitaux et apprendre la langue anglaise, les médecins prisonniers bénéficiant d'un traitement de faveur.
Elargi en 1797, Lefort fit un bref retour en France avant de repartir outre-Manche comme inspecteur des prisonniers français en Angleterre. De 1799 à 1805, on retrouve Lefort officiant dans les grands ports français puis sur les vaisseaux amiraux de la flotte au large des côtes françaises et espagnoles. Le 21 décembre 1805, au lendemain de Trafalgar, il est à nouveau fait prisonnier alors qu'il était à bord du " Formidable".
Libéré sur parole et renvoyé en France quelques mois plus tard, Lefort reprend ses études médicales et présente en 1806 une thèse sur la fièvre jaune, batissant alors tout son travail sur l'hypothèse d'une cause contagieuse. Après six années passées en Italie, entre 1808 et 1814, comme médecin en chef du premier arrondisssement maritime de l'empire napoléonien, Lefort fut envoyé en Martinique en tant que médecin-chef et voulut dès son arrivée se pencher à nouveau sur le problème de la fièvre jaune. Mais le vent a tourné, et le gouverneur de l'île, Pierre de Vaugirard, ne lui laisse pas le loisir d'entamer ses recherches. Le suspectant d'être resté fidèle à Napoléon, il le force à s'exiler à New York où il ouvre un cabinet très coté. Revenu en cour, il rentre en France et nommé médecin du roi repart à la Martinique où la fièvre jaune sévit alors intensément, notamment à bord des bateaux mouillant à Fort-Royal. Chargé au sein d'un comité de surveillance de décider si tel ou tel bateau peut être déclaré sain où s'il doit être passé auparavant à la chaux avant de pouvoir repartir en Europe, Lefort va pouvoir étoffer ses connaissances sur la fièvre amarile. Il remarque ainsi que les marins du Vieux continent tout juste débarqués contractent très vite la fièvre au contraire des populations locales plus résistantes en raison de ce qu'il appelle les "influences australes ".
Cinq jours couché dans le lit d’un homme décédé de la fièvre jaune avec sa chemise souillée...
Mais c'est surtout l'épisode qui se déroula le 28 juin 1822 à l'hôpital du Fort-Royal qui allait rendre Pierre Lefort célèbre. Avec son accord, il invita en effet Jean Guyon, un chirurgien-major du 1er Bataillon de la Martinique à s'allonger dans le lit d'un homme décédé de la fièvre jaune quelques heures auparavant. Guyon va passer cinq jours ainsi, comme le rapporte Lefort : " Ce courageux médecin a pris le dans la grande salle de l'Hôpital du Fort-Royal, en présence des médecins, chirurgiens, pharmaciens et autres employés de l'hôpital, la chemise d'un homme atteint de la fièvre jaune, toute imbibée de la sueur du malade, s'en est revêtu sur le champ, et a été ensuite inoculé aux deux bras par M. Cuppé, chirurgien entretenu de première classe de la Marine, avec la matière jaunâtre des vésicatoires en suppuration ; l'appareil et la chemise ont été gardés pendant 24 heures et levés en présence des témoins ".
Le 30 juin, Guyon, héroïque, a droit à un petit " remontant " : " Le 30 juin au matin, M. Guyon but un petit verre d'environ deux onces de la matière noire vomie par le sieur Framerie d'Ambucq, commis de la marine, matière qu'il trouva d'une excessive amertume, et après s'être frictionné les deux bras avec cette même matière, il en a été inoculé par M. Cuppé. Le sieur Framerie étant mort le 1er juillet, M. Guyon a revêtu sa chemise toute imprégnée de matière noire encore chaude, et s'est aussitôt couché dans le lit du défunt. Il y est resté six heures et demie, y a sué et dormi en présence des témoins de cette expérience ".
Le 2 juillet, le corps du malade ayant servi à la première expérience est ouvert par Guyon lui-même : " L'estomac contenait une assez grande quantité de matière noire sanguinolente (vomito negro), et sa membrane interne était rouge et enflammée. M. Guyon a de nouveau été inoculé aux deux bras avec cette matière, et les piqûres recouvertes par la surface altérée de morceaux pris dans les parois de l'estomac. L'appareil a été levé vingt-quatre heures après l'application. Les parties inoculées étaient enflammées, douloureuses, et les glandes axillaires un peu tuméfiées ; ces accidents se sont dissipés au bout de trois jours, et la santé de M. Guyon n'en a pas été autrement affectée ".
Lefort passe ainsi de l'hypothèse de contagion qu'il avait développé dans sa thèse de 1806 à la théorie de la non-contagion, conforté dans cette idée par le fait que, entre 1818 et 1822, sur "1 982 malades de la Fièvre jaune et 300 ouvertures de corps, pas une seule communication aux servants et personnels de santé n'a été observée ". Il enfonce même le clou à son retour en France en écrivant dans ses Mémoires à l'attention de tous ses contradicteurs : « Il nous appartient à nous tous qui vivons au milieu de la fièvre jaune, et qui en faisons notre étude spéciale, d'essayer par tous les moyens en notre pouvoir, d'éclairer le Gouvernement, induit en erreur dans une cause qui intéresse à la fois sa gloire et sa prospérité. À l'abri de toute influence, hormis celle du devoir, nous avons dit les vérités telles que nous les savons, appliqué autant que possible le mot propre à chaque chose, et discuté avec toute la liberté que réclame le sujet, les points principaux sur lesquels les partisans de la contagion appuient leur système ».
Le travail réalisé par Pierre Lefort fut enregistré à Paris le 2 mai 1820, puis fut publié dans le Medical Repository Journal à New York avant d'être imprimé par ordre de la Société de Médecine dans le Journal général de Médecine, cahier de novembre 1820.
Beauperthuy, l’oublié de l’histoire...
C'est en 1854 qu'il va revenir au Dr Louis-Daniel Beauperthuy de découvrir l'agent vecteur de la fièvre jaune. Ce médecin, né à la Guadeloupe en 1807 et nommé "naturaliste voyageur " par le Museum d'histoire naturelle avec pour mission d'explorer le bassin de l'Orénoque, écrit ainsi dans la « Gaceta Oficial » de Cumanâ en 1854, texte qui sera envoyé à l'Académie des Sciences de Paris en 1856 : " Les fièvres intermittentes, rémittentes et pernicieuses, ainsi que la fièvre jaune reconnaissent pour cause un virus animal ou végéto-animal dont l'introductin dans le corps humain se fait par voie d'inoculation (...) On ne peut considérer la fièvre jaune comme une infection contagieuse. les causes de cette maladie se développent dans des conditions climatériques leur permettant de s'étendre à la fois ou successivement sur plusieurs localités. Ces conditions sont celles qui favorisent le développement des insectes tipulaires. Ceci est dû au fait que les tipules introduisent dans la peau leur suçoir. Ils instillent dans la plaie une liqueur venimeuse... Les agents de cette infection présentent un grand nombre de variétés qui ne sont pas toutes nuisibles au même degré. La variété "zancudo bobo" à pattes rayées de blanc (connue aujourd'hui comme Stegomya fasciata) est, en quelque sorte, l'espèce domestique..."
... Les honneurs à Finlay et Reed
Dans sa communication envoyée à l'Académie des Sciences, Beauperthuy va jusqu'à insister : "C'est également un insecte tipulaire qui produit les accidents de la fièvre jaune ". Sans équivoque, Beauperthuy accusait le moustique d'être vecteur de la maladie. Mais, pour l'histoire et la postérité, c'est à un médecin cubain, Carlos Finlay que va être attribué le mérite d'avoir identifié le moustique comme responsable de la transmission du virus de la fièvre jaune. Dans un article envoyé à l'Académie des Sciences de la Havane en 1865, Finlay a, en effet, exposé une théorie démontrant le lien entre les conditions météorologiques et la fièvre jaune et préconisé un contrôle des populations de moustiques comme méthode de lutte contre la maladie. Il va plus loin en 1881 en affirmant qu’un moustique est nécessaire pour la transmission de la fièvre jaune. Un moustique piquant une personne infectée peut ensuite infecter une personne saine.
Ses conclusions seront entérinées en 1900 par le Dr Walter Reed qui dirigeait alors une commission médicale américaine alors que les travaux du canal de Panama ont du être arrêtés en raison de l'épidémie de fièvre jaune qui fait des ravages chez les ouvriers. Reed, après avoir lancé un programme de démoustication dans tout Cuba et à Panama, "oublia " de citer Finlay dans le rapport qu'il fit au gouvernement des Etats-Unis où il confirmait le rôle du moustique Aedes aegypti dans la transmission et s'attribua donc lui aussi la paternité de la découverte du vecteur de la fièvre jaune. Il faudra attendre 1954 pour que le Congrès international de l'histoire de la médecine reconnaisse les mérites de Finlay.
[[asset:image:2366 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Quand au pauvre Beauperthuy, il faudra aussi attendre 1954 et le centenaire de sa découverte pour que le ministre de la Santé venezuelien lui rende la place qui lui était due : " La gloire de Beauperthuy est une lettre de crédit à long terme comme celle de nombreux hommes de science auxquels on a refusé de leur vivant, et même plusieurs années après leur mort, de reconnaître la validité de leur œuvre ". Justice était rendue au premier protagoniste de la théorie du moustique qui avait prouvé " qu'en " isolant les malades avec des moustiquaires, l'agent transmetteur ne pouvait inoculer la maladie " et martelé haut et fort avant tout autre que " là où il n'y a pas de moustiques, la fièvre jaune ne se propage pas ".
Le virus isolé en 1927
Le virus de la fièvre jaune sera finalement isolé par Adrian Stokes en 1927 à partir d’un patient ghanéen nommé Asibi. Quelques années plus tard, un médecin américain d'origine sud-africaine, Max Theiler, réussira à atténuer cette souche de virus tout en préservant ses caractéristiques antigéniques, ouvrant ainsi la voie à l'élaboration du vaccin YF-17D qui a valu à Max Theiler le prix Nobel de Médecine en 1951.
[[asset:image:2371 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Depuis, cette souche vaccinale YF-17 D a été administrée à plus de 600 millions de personnes dans le monde sans effets secondaires notables. En 1934, Jean Laigret à l'Institut Pasteur avait lui aussi développé une souche attenuée aboutissant sur un autre vaccin qui sera très utilisé en Afrique jusqu'en 1982, date à laquelle il est abandonné en raison de ses effets secondaires, principalement des encephalites chez les enfants. Le virus a été séquencé en 1985.
200 000 personnes frappées chaque année
Aujourd’hui, l'Organisation Mondiale de la Santé estime que, chaque année, 200 000 personnes sont frappées par la fièvre jaune, 30 000 d'entre elles mourant des suites de la maladie. L'Afrique est le continent le plus touché avec 95 % des cas enregistrés dans le monde. La fièvre jaune est aussi une maladie d'importation, les derniers cas mortels recensés ayant été retrouvés en Allemagne, aux Etats-Unis et en Belgique chez des personnes revenant respectivement de Côte d'Ivoire, du Venezuela et de Gambie.
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