Fin de vie

La France sera-t-elle condamnée vendredi dans l’affaire Lambert?

Publié le 04/06/2015
Deux formations juridiques les plus solennelles pour un seul dossier : l’affaire Vincent Lambert. Après le Conseil d’État réuni en formation plénière, c’est au tour de la Grand Chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme de se prononcer, le 5 juin à 11h00, sur le sort de ce tétraplégique rémois. Aux yeux du juriste, Nicolas Hervieu, une censure de la France parait peu probable.
L'hôpital Sébastopol qui abrite le service de soins palliatifs du CHU de Reims

L'hôpital Sébastopol qui abrite le service de soins palliatifs du CHU de Reims
Crédit photo : www.chu-reims.fr

Il y a tout juste un an, le Conseil d’État jugeait légal l’arrêt de l’alimentation et l’hydratation artificielles de Vincent Lambert. Et il estimait que la poursuite des traitements traduisait une obstination déraisonnable. Jean-Marc Sauvé, vice-président de la haute juridiction, indiquait alors qu’ « au vu de tous ces éléments médicaux et non-médicaux, le Conseil d’État a jugé que le médecin en charge de M. Vincent Lambert avait respecté les conditions imposées par la loi pour l’arrêt des traitements ». Éclairés dans leur raisonnement par un rapport d’expertise réalisé par trois spécialistes en neurosciences, les juges administratifs se prévalaient alors des conditions exigées par la loi Leonetti pour décider de l’arrêt des traitements.

Opposés à cette décision, les parents de Vincent Lambert ont immédiatement saisi la Cour européenne. À leurs yeux, l’arrêt rendu en France violerait la Convention européenne des droits de l’Homme, notamment le droit à la vie qu’elle garantit, et constituerait une torture. L’audience eut lieu en janvier dernier. Et la décision sera donc rendue cette fin de semaine. De quel côté penchera la Cour vendredi matin ? Selon Nicolas Hervieu (notre interview ci-dessous), juriste en droit public et spécialiste de la CEDH, la Cour européenne va surtout vérifier si la procédure suivie par les autorités françaises est conforme à la Convention européenne des droits de l’homme. Une censure de la France lui parait peu probable. Mais la Cour pourrait formuler des recommandations. Cet arrêt devrait, de toute façon trouver un large écho au Sénat, le Palais du Luxembourg devant examiner la proposition de loi Leonetti-Claeyes à partir du 16 juin.

Le Généraliste : Quelle est la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme en matière de fin de vie ?
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Nicolas Hervieu Depuis les années 2000, la Cour européenne s’est prononcée moins d’une dizaine de fois sur la fin de vie. Jusqu’à présent, il s’agissait de personnes qui souhaitaient mettre fin à leurs jours. Avec l’affaire Lambert, c’est la toute première fois que la Cour va pleinement se prononcer sur une requête initiée pour faire obstacle à une fin de vie. Par le passé, la Cour a adopté des positions nuancées, d’une prudente audace. Elle a jugé que la fin de vie relevait bien du champ d’application de la CEDH (Convention européenne des droits de l’Homme). Ainsi, au titre du droit au respect de la vie privée (Article 8) et du droit à l’autonomie personnelle, elle a consacré le « droit d’un individu de décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin ». Mais ce droit n’est pas absolu et ne contraint pas les États à autoriser le suicide assisté. Toutefois, la Cour oblige ceux qui le font à prévoir un encadrement satisfaisant.

Dans l’affaire Lambert, comment va se positionner la Cour ?

N.H. Contrairement à ce qui est souvent dit, la Cour ne va pas exactement décider de la vie ou de la mort de Vincent Lambert. Elle va surtout examiner si la procédure qui a été suivie en France était respectueuse des droits et libertés des protagonistes (prise en compte des volontés du patient, consultation de la famille, avis médicaux suffisants, recours juridictionnels effectifs…). Dans cette affaire, la Cour va certainement maintenir sa jurisprudence « ni-ni » en matière d’euthanasie : ni interdite, ni garantie par la Convention. Mais elle va vérifier que le processus de fin de vie n’a pas porté atteinte aux droits fondamentaux des parties. Et, quoi qu’il en soit, l’arrêt Lambert c. France – rendu en formation solennelle de Grande Chambre – a vocation à devenir un véritable point de référence juridique sur la fin de vie en Europe.

Que va-t-il se passer à compter du prononcé de la décision de la Cour ?

N.H. Si la Cour européenne ne condamne pas la France, la décision d’interruption de l’alimentation et de l’hydratation artificielle de Vincent Lambert pourra être mise en œuvre. Certes, certains membres de la famille font valoir que la loi Leonetti impose que le protocole de fin de vie soit exécuté par le médecin qui a pris la décision initiale (le Dr Kariger, qui n’est plus en fonction, ndlr). Mais ce détail procédural ne pourra pas faire obstacle durablement à la décision de fin de vie.

À l’inverse, une condamnation de la France ne ferait pas nécessairement obstacle à la reprise du protocole de fin de vie. Il faudra lire dans le détail l’arrêt européen. En effet, une condamnation pourrait ne pas être synonyme d’une interdiction absolue de mise en place du processus de fin de vie, mais simplement d’obligation pour la France de réexaminer plus attentivement la décision, quitte à la confirmer in fine.

Enfin, une troisième hypothèse serait que la Cour affirme que la décision de fin de vie viole en soi le droit à la vie garanti par la Convention européenne des droits de l’Homme. Mais c’est assez improbable car cela reviendrait à condamner frontalement les législations d’un nombre croissant d’États en Europe (Suisse, Allemagne, Belgique, etc.).


Source : lequotidiendumedecin.fr