C’est un peu une aiguille dans une meule de foin que les autorités sanitaires recherchent, en lançant une enquête nationale sur les cas groupés de bébés nés avec des agénésies des membres supérieurs. La Direction générale de la Santé (DGS) a annoncé le 15 novembre, lors d’une conférence de presse, les modalités de cette investigation, mise en place pour tenter d’expliquer des excès de cas repérés par certains registres de malformations congénitales. Ce dispositif a été lancé à la suite d’une saisine de l’Anses et de Santé publique France le 29 octobre dernier par les ministères de la Santé, de l’Écologie et l’Agriculture. « L’excès de cas significatifs (…) soulève la question d’une cause environnementale », souligne la saisine.
De façon plus précise, l’objectif est de comprendre et d’analyser les fameux agrégats de cas groupés d’enfants nés avec des agénésies des membres supérieures observés dans l’Ain (sept naissances entre 2009 et 2014), en Loire-Atlantique (trois naissances entre 2007 et 2008) et en Bretagne (quatre naissances entre 2011 et 2013), à chaque fois dans un périmètre restreint. En remontant les données hospitalières, 11 cas suspects supplémentaires ont été récemment détectés dans l’Ain entre 2000 et 2014, dont l’investigation a été confiée au registre des malformations congénitales de Rhône-Alpes (Remera). La tâche est complexe, car « les causes possibles sont très nombreuses », a souligné le Pr Jerôme Salomon, directeur général de la santé.
Selon les données de Santé publique France, les malformations des membres sont relativement fréquentes, elles concernent environ une naissance sur 700 (tous états vitaux confondus). Ces malformations sont isolées dans la majorité des cas, mais peuvent aussi être associées, comme dans le cas d’un syndrome polymalformatif. Elles sont d’origine multifactorielle, mécanique (comme une malformation utérine), chromosomique, génétique, tératogène, ou liées à l’effet de certains médicaments. « Aujourd’hui, les principaux agents tératogènes en cause sont connus, comme la thalidomide et la vitamine A », explique le Pr Philippe Deruelle, professeur de gynécologie-obstétrique au CHU de Strasbourg, secrétaire du Collège national des gynécologues obstétriciens. « Les anti-vitamines K ou la Dépakine® (valproate) risquent aussi d’engendrer des anomalies touchant les membres. Mais très souvent, on ne connaît pas l’origine de ce type de problème, surtout dans les syndromes polymalformatifs. Parmi les virus, la rubéole peut engendrer des anomalies touchant les membres, mais ces agents infectieux engendrent plutôt des atteintes neurologiques. »
La santé animale aussi explorée
Aucune piste ne semble négligée, aucune hypothèse écartée, surtout pas environnementale (facteurs biologiques, pollution athmosphérique, pesticides, etc.) a confirmé Roger Genet, directeur général de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) : « Nous essayons de trouver des signaux faibles qui pourraient montrer une corrélation avec les cas. » Cette agence va s’attacher à interroger la plateforme de surveillance épidémiologique sur la santé animale et a déjà débuté une analyse de la littérature internationale de tous les cas et les causes d’agénésies néonatales.
La difficulté est de recueillir des données précises et fiables sur des grossesses qui se sont déroulées plusieurs années plus tôt. Les mères des enfants nés avec cette malformation « ont pu vivre dans un endroit et travailler dans un autre au moment de leur grossesse : les expositions peuvent être multiples », précise le Pr Salomon. Et le Pr Deruelle de surenchérir : « D’un point de vue médical, ces problèmes d’agénésie et d’anomalies des membres sont mal connus. En matière d’étiologie, il s’agit d’un des sujets les plus compliqués du diagnostic anté-natal. Et on comprend les difficultés rencontrées par Santé publique France. »
Échapper à l’écho
Mais une autre question se pose : comment une anomalie de développement du membre supérieur peut-elle échapper à la surveillance échographique recommandée lors de la grossesse, comme ce fut le cas pour la fille du Dr Isabelle Taymans-Grassin, née en 2012 dans le Morbihan ? « Chez la femme enceinte, il est très difficile d’avoir un examen échographique exhaustif. D’ailleurs, la loi nous oblige à prévenir la mère des limites de cet examen, explique le Pr Philippe Deruelle. La détection de certaines malformations peut en effet échapper à cet examen, même s’il est effectué avec beaucoup de soin et de sérieux. Les raisons sont nombreuses, liées à l’examen lui-même, à son manque de sensibilité, aux conditions d’exposition du foetus ou d’échogénicité. Un exemple : en cas d’obésité chez la mère, le risque est fortement augmenté de passer à côté d’une malformation chez le fœtus. Ce sont surtout les malformations cardiaques, de la paroi abdominale ou des membres qui posent le plus souvent problème. Et il n’est pas toujours facile d’analyser la morphologie d’une main à l’échographie. Le Comité national technique d’échographie a fixé les données précises à visualiser absolument en obstétrique. L’analyse morphologique détaillée des membres supérieurs n’a pas été retenue comme un élément essentiel, même si bien sûr ils sont étudiés durant l’examen. »
En cas de malformation détectée, une démarche diagnostique est entreprise, avec en particulier la recherche d’un syndrome polymalformatif pouvant impliquer un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal. « D’après mon expérience, en cas d’agénésie touchant le membre supérieur, une interruption médicale de grossesse est très rarement effectuée quand il s’agit d’une malformation isolée. En cas de syndrome polymalformatif, le problème est alors différent », détaille le Pr Deruelle.
Aujourd’hui, l’alerte semble maximale. Le Pr Salomon interpelle tous les professionnels de santé, notamment obstétriciens, échographistes et sages-femmes pour signaler à leurs ARS les prochains cas d’agénésie. « Il sera plus simple et plus fiable d’analyser ces cas en prospectif. Nous devons la transparence aux familles. Il y aura un retour sur les investigations », a-t-il promis. Le rapport final est attendu en juin 2019, après un premier document sur les hypothèses et les méthodes d’investigation en janvier.
Six registres pour 19 % des naissances
La surveillance épidémiologique des anomalies congénitales est née en grande partie en réponse à l’augmentation du nombre de malformations de membres causées par la thalidomide, médicament largement prescrit aux femmes enceintes sur les années 1950 et 1960. Santé publique France collige les données des six registres français (Antilles, Auvergne, Bretagne, Paris, Réunion et Rhône-Alpes) qui surveillent la survenue de 21 anomalies congénitales majeures. Tous les cas issus d’enfants nés-vivants, de mort-nés et d’IMG sont enregistrés. Ces six registres d’anomalies congénitales couvrent 19 % des naissances et les maternités de 19 départements.
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