Les taxis ont longtemps cru, à tort, que la réglementation stricte de leur profession les mettait à l’abri « de l’invasion des barbares du numérique ». Les lignes Maginot ne résistent pas longtemps à ces adeptes de la guerre éclair. Si les barrières juridiques des professions de santé ne sont pas suffisantes pour les protéger, la santé est-elle condamnée à subir la loi des plateformes numériques ?
La révolution culturelle imposée – entre autres – par le digital reste à faire en santé
Vu du numérique, le système de santé français est d’un archaïsme à faire pâlir d’envie les amateurs de paléontologie. Services informatiques hospitaliers, dossier médical personnel, messagerie sécurisée, télémédecine, les pouvoirs publics ont réussi l’exploit de geler l’organisation des soins en France à l’ère pré-Internet. Notre pays dispose de toutes les ressources pour réussir le virage numérique, seule la décision politique manque.
Pharmacien menacé
Cet immobilisme stratégique met en péril les acteurs sanitaires traditionnels « les plus à risque ». Ceux dont l’activité n’est pas focalisée sur leur réelle valeur ajoutée, face à l’arrivée potentielle de nouveaux entrants issus de plateformes numériques. C’est le cas du pharmacien notamment dont le modèle économique repose sur la distribution de boîtes, impliquant des activités de gestion de stocks et de logistique bien éloignées des compétences scientifiques acquises au cours de ses six années d’études. Amazon est déjà capable de transformer tout pharmacien sans officine en livreur de médicaments dans les meilleures conditions de sécurité et de réactivité. Il ne restera plus qu’au pharmacien livreur à fidéliser ses clients et à valoriser ses services. Ce scénario noir pour les détenteurs d’officines est évitable si leur métier et leur modèle économique sont ajustés en conséquence pour contrer les plateformes numériques, sinon…
Immobilisme
En réalité, aucun acteur du système de santé français – soignants, financeurs, industriels, régulateurs – n’a encore pris la dimension disruptive du numérique. Les initiatives se multiplient ici et là mais rien n’est structuré de façon systémique. C’est la conséquence logique de l’immobilisme et de la cécité du pouvoir politique pour adapter le système de santé au nouveau monde. On en est encore au stade des expérimentations et elles échoueront, car la révolution technologique doit être au service d’une stratégie et non servir de stratégie.
Les mirages de la médecine algorithmique et de l’ubérisation en médecine
Il est courant d’entendre que l’expertise informatique va se substituer à l’expertise médicale et que les géants du web américains détiendront les plateformes de décision algorithmique qui vont gérer la médecine de demain. Au mieux les médecins seront des ingénieurs médicaux utiles. Au pire, des assistantes sociales dotées d’un diplôme inutile. On entrerait même dans l’ère du transhumanisme, courant lancé par des futurologues américains et soutenu par les géants de la high-tech. Quel en serait le fondement médical : le séquençage du génome. Vraiment !
Chimères
« La génétique n’est pas la providence… la thérapie génique est une très élégante riposte thérapeutique mais elle est limitée à un nombre restreint de maladies. Moins d’une centaine d’enfants ont été pris en charge par des thérapies géniques dans le monde à ce jour. Tout le monde est porteur de 50 à 100 gènes de maladies génétiques sans être malade et les cellules vieillissantes ne peuvent rajeunir. La médecine ne vaincra jamais la mort. »
Ces propos du professeur Arnold Munich, dont l’expertise en génétique ne peut être mise en doute, illustrent les chimères de l’ubérisation médicale par le diagnostic algorithmique. À ces yeux, les progrès considérables de la génomique ont permis d’identifier 9 000 maladies génétiques. Mais laissent encore sans réponse des milliers de familles dont les enfants meurent sans diagnostic ou sans moyen d’actions. En réalité, plus on avance, plus on réalise notre ignorance. Cela n’enlève rien à la réalité des progrès accomplis mais doit en relativiser leur portée. Sur le plan économique, les limites de l’ubérisation sont aussi présentes. Le paradigme de l’économie numérique est de transformer tout marché en un service à la demande avec un produit (à prix réduit) valorisé surtout par son usage et l’expérience vécue par l’usager.
Viralité faible
Les États-Unis ont vu ces dernières années fleurir les sociétés de santé à la demande fournissant à travers des plateformes numériques des services de télémédecine, de visites à domicile et de livraison de médicaments. Le modèle économique pour la santé à la demande est en réalité très complexe à concevoir, souvent introuvable. Le nombre de transactions par an par utilisateur est très faible (4 visites chez le médecin par an aux États-Unis contre une centaine pour Uber) et un revenu brut par transaction même plus élevé (40 à 200 USD contre 25 USD) ne compense pas le faible volume. La qualification du personnel est bien plus grande et donc plus rare. Quant au niveau de viralité du service, il est faible, sachant que les gens sont peu enclins à discuter publiquement de leur problème de santé. Ce qui augmente sensiblement le coût d’acquisition des clients. Un autre obstacle est la faible appétence des citoyens pour payer en direct leurs coûts de santé, qui est le mode de paiement le mieux adapté à ces services à la demande. Non, les soignants ne vont pas devenir des assistantes sociales et tout progrès de la science ne fait d’ailleurs qu’augmenter leur pouvoir d’action.
Refondation
Comme en économie, la performance de long terme de notre système de santé résulte de l’innovation (technologique, biomédicale, organisationnelle, sociale, politique). Seule une refondation de notre système de santé permettra d’intégrer la révolution technologique et biomédicale en cours. Le retard dans l’intégration des nouvelles technologies est une conséquence de l’échec de l’étatisation du système lancée en 1996 et poursuivie jusqu’à ce jour. C’est aux citoyens de décider en 2017 s’ils veulent continuer sur cette voie !
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