Le 21 octobre dernier, la ministre de la Santé Agnès Buzyn lançait de nouvelles investigations dans l'affaire des enfants nés avec une agénésie des membres supérieurs dans l'Ain (8 bébés nés entre 2009 et 2014), en Loire-Atlantique (3 naissances entre 2007 et 2008) et en Bretagne (4 naissances entre 2011 et 2013). Dans l'attente des nouvelles investigations menées par Santé publique France et l'Anses, le Dr Isabelle Taymans-Grassin, généraliste et maman de Charlotte, née à Guidel (Morbihan) en juin 2012 avec cette malformation, s'est confiée au Généraliste. Elle regrette le retard pris par les autorités sanitaires pour mener l'enquête et demande que les familles concernées soient davantage impliquées dans ces travaux.
A quel moment avez-vous découvert la malformation de votre petite fille ?
Dr Isabelle Taymans-Grassin. Charlotte est mon premier enfant. J’étais suivie par des gynécologues de la région de Lorient. Nous avons fait les trois échographies mais nous n'avions rien décelé avant la naissance. J'ai donc eu une grossesse tout à fait sereine même si un diagnostic anténatal nous aurait permis de mieux appréhender le handicap et d'être accompagnés.
Comment avez-vous été prise en charge après l’accouchement ?
I.T-G. La maternité de Lorient m’a tout d’abord apporté un soutien psychologique de grande qualité. Les médecins n’avaient pas pour autant d’explication sur la cause de la malformation de ma fille. Nous n'avons toujours pas de réponse sur l’origine de ce handicap. Heureusement, j’ai tout de suite été dirigée vers l’association Assedea (accompagnement des parents d’enfants nés avec des malformations des membres inférieurs et supérieurs). Cela m’a permis d’avoir du soutien de mamans qui vivaient la même chose.
Comment avez-vous découvert les autres cas d’agénésie autour de Guidel ?
Dr T-G. J’ai rencontré une première maman dans mon cas quand ma fille avait un an. Mon médecin traitant avait dans sa patientèle cette femme enceinte d’une petite fille avec un diagnostic anténatal de malformation du membre supérieur. La mère m'a contacté trois mois après la naissance de sa fille née en avril 2013 (elle fait partie des quatre cas identifiés dans le Morbihan NDLR). Au départ, nous nous sommes rencontrées dans le but de nous soutenir. Nous avons trouvé étrange d’être dans le même cas alors que nous habitions à 5 km l'une de l'autre. Début 2015, j’ai ensuite rejoint un groupe privé de parents sur Facebook. Au fur et à mesure des publications, j'ai identifié une autre maman qui habitait Guidel. Après avoir échangé avec elle sur le handicap de son petit garçon né quelques mois avant ma fille, fin 2011, j'ai découvert qu'il avait lui aussi une agénésie de l’avant-bras gauche. A ce moment-là, j'ai fait un lien. Je savais qu'il y avait 100 naissances par an à Guidel et de mémoire 1 à 2 enfants touchés sur 10 000 en France… Au niveau statistique, il ne fallait pas être un génie pour se rendre compte qu’il y avait un truc louche.
Quelle démarche avez-vous entreprise pour vous signaler auprès des autorités sanitaires ?
Dr T-G. Avec l’accord des autres parents, j’ai déclaré les cas à mon ancienne gynécologue. Elle a contacté le réseau de santé périnatale du Morbihan Périnat56 qui m'a adressée vers le pédiatre responsable du registre breton des malformations. Il était difficile pour le registre d’avoir l’alerte car ils calculent les malformations un an après la naissance de l’enfant. Or, nos trois enfants sont nés sur trois années différentes. J’ai donc moi-même alerté le registre en septembre 2015. En tant que médecin, j’avais vérifié que le handicap n’était pas d'ordre génétique et que les enfants avaient la même malformation. L’excès de cas a été validé au niveau statistique et les autorités sanitaires ont étendu leurs recherches. Le registre est tombé sur un quatrième cas : une petite fille née un mois avant ma fille. Les dossiers ont ensuite été transmis à Santé publique France. Enfin, nous avons répondu à un long questionnaire médical (ci-dessous) début 2016.
[[asset:document:12654 {"mode":"full","align":"","field_asset_document_desc":[]}]]Pourtant, l’enquête n’a pas progressé entre 2016 et aujourd’hui ?
Dr T-G. Non, Santé publique France nous a assuré que le rapport était en cours de validation pendant ce temps-là mais je n’y crois pas beaucoup. Ils sont restés immobiles et ont tardé à le mettre en ligne. Auparavant, j’avais relancé le registre en mai 2016. Ils m’avaient répondu que les questionnaires de santé n’avaient rien donné mais qu’ils allaient faire des investigations environnementales plus poussées. La dernière réunion a eu lieu en septembre 2016. Celle-ci a rassemblé les différents registres de France dont le REMERA (Registre des malformations en Rhône-Alpes) (8 cas ont été identifiés dans l’Ain et 11 cas supplémentaires sont actuellement étudiés NDLR). Depuis, c’était silence radio, le registre ne répondait à mes mails. Les familles n’ont même pas eu de retour discret avant la publication de résultats qui nous concernent. C’est pour moi une erreur de communication.
En tant que médecin, avez-vous des hypothèses sur la cause de ces agénésies ?
Dr T-G. Non. Je suis seulement convaincue qu’il y a un facteur commun d'origine environnementale, c’est la définition même de l’excès de cas. On parle d’un lien avec les pesticides. Nous habitions dans une zone balnéaire semi-rurale, où même le centre-bourg est proche des champs. Je pense qu’il faut surtout réfléchir au vecteur. Un problème lié à l’eau est une hypothèse que j’ai en tête. Toutes les mamans ont bu l’eau du robinet pendant leur grossesse.
Une réunion organisée à Guidel par Santé publique France s’est tenue la semaine dernière. Quelles informations a-t-elle apporté aux familles ?
Dr T-G. Elle ne nous a pas spécialement appris grand-chose. Lors de la réunion publique, les réponses des experts n’étaient pas forcément adaptées car trop techniques pour les familles. Je pense que Santé publique France a un peu été pris au dépourvu. Les arguments scientifiques ne sont pas toujours audibles pour ces familles en souffrance. La maman d’une petite fille née avec une agénésie de l’avant-bras en 2011 qui habite à Calan, soit à 20 km de Guidel s'est exprimée. Or, pour des raisons de méthodologie, Calan est trop loin de Guidel pour que les chercheurs rapprochent les cas. Je pense qu’il faut changer de méthode et voir si au niveau des territoires il y a des facteurs communs. Je reviens sur l'hypothèse de l'eau, mais le circuit d’eau potable à Guidel est le même qu’à Calan. Pour moi c’est une piste.
Qu’attendez-vous des autorités sanitaires désormais ?
Dr T-G. Le Pr François Bourdillon, directeur de Santé publique France, nous a expliqué qu'ils allaient faire de la géolocalisation plus précise des cas en reprenant les données hospitalières sur l’ensemble du territoire français. C’est un gros travail qui permettra peut-être d’identifier d’autres clusters. Ils seront ensuite mis en rapport avec les données environnementales. Les premières pistes seront données fin janvier puis fin juin 2019. Par rapport à la manière dont les familles sont informées, nous avons demandé des retours plus réguliers sur ces investigations à raison de deux fois par an. De mon côté, en tant que médecin généraliste et membre du conseil d’administration de l’association Assedea, j'ai demandé à Agnès Buzyn d'être intégrée davantage aux comités et discussions autour de l'enquête. Il s’agit de rétablir un peu de transparence et de confiance avec les familles avec lesquelles je suis beaucoup en contact. J'espère avoir une réponse positive de la ministre.
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