C’est un immense challenge et une « première » historique : mettre en place en urgence une recherche opérationnelle, applicable sur le terrain, pour apporter des éléments concrets de réponse à l’épidémie sans précédent d’Ebola qui frappe l’Afrique de l’Ouest.
« Le cœur de notre action reste le Sud, là où l’épidémie est sans contrôle. Les prévisions font état de plusieurs dizaines de milliers de personnes infectées d’ici la fin de l’année », relève le Pr Jean-François Delfraissy (photo), récemment nommé coordinateur pour la France de l’ensemble des opérations internationales et nationales de réponse à la crise Ebola. « C’est une recherche que nous devons mener avec une grande réactivité dans un contexte critique, parfois même hostile. » Tel est le pari relevé par l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan), qui regroupe les forces des principaux organismes de recherche français en sciences de la vie : Inserm, CNRS, CEA, Institut Pasteur, CHRU, INRA, Fondation Mérieux... En août dernier, les ministères en charge de la Santé et de la Recherche lui ont confié la préparation et l’organisation de la réponse aux émergences infectieuses.
Des liens historiques avec l’Afrique de l’Ouest
« Nous nous appuyons sur les liens historiques développés entre l’Afrique de l’Ouest et l’Inserm, le CNRS ou le réseau des Instituts Pasteur... », explique le professeur Yves Lévy, président d’Aviesan. La réponse à cette épidémie, de surcroît, n’est envisageable que dans le cadre d’une collaboration internationale. Non sans un certain paradoxe, puisqu’il s’agit de surmonter parfois les féroces compétitions dans ce domaine. « On prend des paris, on donne des feux verts et le reste se construit en marchant, témoigne le Pr Delfraissy, avec son franc-parler coutumier. Tout en sachant qu’à la fin de l’année, il faudra ré-atterrir sur les aspects budgétaires. »
Vers des tests diagnostiques plus rapides
Un des premiers défis concerne les tests diagnostiques. « Nous avons besoin de tests plus rapides et faciles d’utilisation, au lit des patients », explique Laurent Bellanger, du CEA. Les tests actuels reposent sur des techniques de PCR (l’amplification de gènes par une réaction en chaîne à la polymérase) : les réponses sont obtenues en 6 à 7 heures.
Mais le CEA développe un nouveau test plus rapide, en collaboration avec le laboratoire P4 de Lyon et la société VedaLab. Fondé sur le même principe que les tests de grossesse, ce test détecte le virus à l’aide d’anticorps monoclonaux. « Dans le cas d’Ebola, la réponse peut être obtenue en 15 minutes à partir d’une goutte de sang. Après une première étape de validation technique, l’étape suivante sera la production de plusieurs centaines de tests, puis la réalisation d’une étude clinique de validation sur le terrain, en zone épidémique », annonce Laurent Bellanger.
Lancement d’un essai clinique inédit pour évaluer l’efficacité d’un antiviral
Autre challenge majeur : évaluer rapidement l’intérêt potentiel de candidats médicaments contre Ebola - alors que l’on dispose, à ce jour, de très peu de données sur ces candidats médicaments. Et cela dans un contexte d’urgence, c’est-à-dire sans pouvoir attendre les résultats de la longue procédure habituelle, celle des fameux essais « randomisés en double aveugle », et à grande échelle.
« Il s’agit ici de lancer des essais souples et adaptatifs chez l’homme : peut-on détecter, avec ces candidats médicaments, l’émergence d’un signal de leur activité ? L’idée est de passer ensuite très vite à la combinaison de différentes molécules ayant montré de tels signaux d’efficacité biologique ou clinique », indique Jean-François Delfraissy.
A la mi-novembre, Aviesan va lancer un tel essai clinique « adaptatif » en Guinée. Il évaluera l’intérêt d’un nouvel antiviral : le favipiravir (Toyoma Chemical). Déjà autorisé au Japon dans le traitement de la grippe sévère, ce médicament est l’un de ceux identifiés par l’OMS parmi les molécules à tester. « Le favipiravir est administrable par voie orale. C’est un atout majeur dans ces pays d’Afrique où la voie d’administration parentérale est difficile à maintenir dans le temps », explique Denis Malvy, médecin spécialiste des maladies tropicales et du voyage au CHU de Bordeaux.
L’Inserm sera le promoteur de cet essai, qui sera mené sur 60 patients en partenariat avec les acteurs guinéens. Les premières réponses sont attendues début 2015. « C’est une expérience inédite pour beaucoup d’entre nous », admet Jean-François Delfraissy.
L’apport crucial des sciences humaines et sociales
« Les aspects sociétaux sont déterminants dans cette crise », souligne Yves Lévy. Sur quelles bases socio-culturelles les populations africaines acceptent-elles ou non les interventions mises en place ?
Pour Vinh-Kim Nguyen, anthropologue, au moins deux grandes leçons sont à tirer de l’épidémie actuelle : « la question de la confiance des populations locales est primordiale pour lutter contre Ebola. Il s’agit aussi de s’appuyer sur la mobilisation communautaire mise en place dans les quartiers et les villages. » Quelles sont, par ailleurs, les bases du succès du Nigéria ou du Sénégal, qui sont parvenus à contenir l’épidémie ?
Cinq axes de recherche en sciences humaines et sociales seront développés : quelles sont les structures sociales que l’on pourrait mobiliser dans la lutte contre l’épidémie ? D’où viennent les rumeurs sur Ebola ? Comment les soignants vivent-ils cette épidémie ? Quel pourrait être le rôle des survivants dans ce combat ? Et comment mettre en place une recherche en situation d’urgence, dans le respect des dimensions éthique et politique ?
Mise en place d’une vaste cohorte de survivants en Guinée
Un autre enjeu crucial tient à la mise en place d’une cohorte de suivi des convalescents. Comment ces survivants ont-ils résisté au virus ? Sur la base de quelles défenses immunitaires : « quand apparaissent les anticorps neutralisants ? Et quid de l’immunité cellulaire ? », s’interroge Jean-Français Delfraissy.
D’autres questions seront posées : comment ces personnes infectées par le virus Ebola et déclarées guéries vivent-elles la maladie et leur guérison ? Quelles seraient, dans cette population, la faisabilité et l’acceptabilité de prélèvements sanguins en vue d’une utilisation thérapeutique ? Ces patients seront recrutés en zones rurale et urbaine, notamment à la sortie des centres de traitement en Guinée. Leur suivi est prévu sur un an.
Sérothérapie, screening de médicaments existants, ...
Les équipes d’Aviesan prévoient de relever d’autres défis. « Une demande très forte de l’OMS et de la Fondation Bill Gates est la mise en place d’une sérothérapie », indique Jean-François Delfraissy. Cette thérapie se fonde sur l’utilisation d’anticorps neutralisants obtenus à partir de patients survivant à l’infection. « C’est une stratégie très lourde. L’EFS est un de nos partenaires pour la production de ces anticorps neutralisants - un protocole qui devrait démarrer en France sous 8 à 10 jours. L’efficacité de ces anticorps sera ensuite évaluée dans le laboratoire P4 de Lyon. »
Derniers enjeux : identifier de nouvelles molécules actives contre ce virus, à partir d’un catalogue de médicaments ayant déjà obtenu une AMM dans d’autres indications. Et participer au développement de vaccins anti-Ebola dans un contexte tout à fait inédit. Dans cette situation d’urgence exceptionnelle, « le vaccin développé par GSK, par exemple, devrait être évalué en quelques mois au lieu des 8 à 10 ans habituels », indique le professeur Yves Lévy - dont la propre équipe développe une approche originale fondée sur la mobilisation de cellules dendritiques modifiées.
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