Le CEPS affirme ne pas être débordé par l’arrivée prochaine de plusieurs thérapies géniques. Est-ce bien raisonnable ?
Aujourd’hui, on ne voit pas ce qui s’opposerait à la prise en charge selon les règles en vigueur des thérapies géniques et cellulaires. En effet, les dépenses de médicaments sont stables depuis les années 2010. Ce qui est par ailleurs reproché par les industriels. Les médicaments innovants arrivent sur le marché, comme en témoignent les accords conclus autour des CART. A ce propos, les négociations de prix ne se sont pas révélées singulières ou atypiques. Simplement, ces thérapies obligent à une réorganisation du circuit du médicament hospitalièr. En vérité, les difficultés sont plutôt en aval des discussions tarifaires.
Invoquer le passé même récent pour affirmer que « tout est sous contrôle » est-il un argument recevable alors qu’est annoncée une vague importante de thérapies géniques et cellulaires ?
Le passé sert-il à prévoir l’avenir ? Cela ne peut suffire. Certes, un grand nombre de thérapies en développement est annoncé. Mais que s’est-il produit avec l’arrivée récente des immunothérapies dans les cancers et l’extension des indications ? Force est de constater que ces produits sont sur le marché. La dépense est contenue. Et les capacités d’accès grâce aux ATU d’extension d’indication se sont élargies. La nouvelle génération de produits va-t-elle pour autant mettre à bas le système de tarification ? Je suis pour le moins dubitatif.
Dans le même temps, le CEPS récuse l’introduction de nouveaux modes de tarification comme les contrats de performance en invoquant des expériences étrangères décevantes.
J’ai la satisfaction d’être de moins en moins solitaire sur ce sujet. Le Comité a , par le passé, conclu des accords sur des prix conditionnels, à savoir accorder une valeur supérieure à celle que lui avait attribuée la Commission de la transparence. Un prix plus élevé a alors été octroyé. Et au moment de la nouvelle évaluation du produit qui devait trancher le débat sur l’incertitude de la valeur, dans tous les cas, à savoir une quinzaine de contrats sur une décennie, le même niveau d’ASMR a été conservé. C’est déjà une première déception. En outre, la partie du contrat qui doit s’activer lorsque l’hypothèse favorable n’est pas au rendez-vous généralement n’a pas été exécutée. Ce qui a entraîné une nouvelle négociation. Et s’est soldée par la non-récupération partielle des dépenses engagées à tort. C’est un raisonnement prudentiel qui incite désormais à ne plus conclure ce type de contrat.
La HAS aurait-elle toujours raison ?
Elle fait pour le moins son travail. Elle réalise une évaluation indépendante. Et nous avons choisi de la suivre. Rien ne s’oppose à ce que la valeur d’un produit soit revue à la hausse ou à la baisse. Et c’est arrivé récemment. Un médicament dans le myélome à dix-huit mois d’intervalle a bénéficié d’une réévaluation de son ASMR. Ce qui a permis lors de la négociation à accorder une augmentation de prix. Le second schéma des contrats de performance, appelés les contrats de résultats où sont recueillies les données cliniques individuelles sont en revanche plus acceptables. Mais ils se révèlent difficiles à mettre en œuvre. Nous avons trois expériences initiales désormais publiques. La première concernait un médicament de l’hépatite C dont les données ont été recueillies dans la cohorte Hepater, la deuxième concernait un produit dont l’étude s’appuie sur des données PMSI. Quant au troisième, Imnovid® (Celgene), une étude ad hoc sophistiquée a été mise en place alors que sa vocation visait d’abord un ajustement tarifaire. Selon les responsables de Celgene, elle a représenté un investissement lourd. Quant aux rendements des remises sur l’hépatite C liés au contrat de performance, ils ont été faibles. Au final, ces critères de performance permettent un ajustement à la marge. On peut donc s’interroger sur leur pertinence. La voie classique de la négociation peut être aussi satisfaisante pour les deux parties avec des dépenses prévisibles pour le payeur et un chiffre d’affaires garanti pour l’industriel. Dans l’intervalle, un rapport de l’OCDE a également traité ce sujet. Ces contrats ont eu le vent en poupe dans les années 2000. Le bilan qu’en tirent les pays aujourd’hui est nettement plus mitigé. En premier lieu, cela ne fait pas progresser les connaissances. La mobilisation des données est par ailleurs très difficile. Quant à la récupération financière, selon un constat établi par l’Italie, elle est aléatoire. Ces contrats n’ont guère contribué à équilibrer les comptes de la santé.
Vous avez pourtant signé un contrat de ce type en 2019 avec Roche.
Et un autre avec Gilead. Il ne m’appartient pas de communiquer davantage. Les entreprise l’ont fait chacune dans la presse. Ils ont précisé que les conditions tarifaires reposaient « en partie » sur des éléments de performance. Quant aux autres contrats, ils sont quasiment clos aujourd’hui.
Peut-on toutefois envisager d’autres alternatives comme les paiements échelonnés dans le temps ?
Le paiement échelonné présente deux inconvénients. D’abord, il n’y a pas de substrat réglementaire ou législatif pour mettre en œuvre ce type de procédure. Mais à quoi sert l’étalement du paiement ? Confrontés à de grandes difficultés de trésorerie, nous serions donc demandeurs de ventiler une dépense sur plusieurs années. Cette question n’a pourtant pas été soulevée lors des premiers cas de transplantation d’organes ou lors de la mise en place de dispositifs médicaux coûteux. Aucun acteur n’a davantage suggéré de louer une prothèse ou de pratiquer du leasing sur un implant. A ce jour nous ne sommes pas confrontés à des difficultés de trésorerie. L’étalement des paiements n’est pas, pour nous, à l’ordre du jour.
Il n’y aurait donc rien à changer ?
Je note qu’un fait nouveau réapparaît. Les industriels nous expliquent qu’il y a désormais de la rareté à la fois pour les produits anciens, c’est le débat autour des ruptures d’approvisionnement. Si l’on paie les médicaments trop peu chers, il n’y en aura plus pour tout le monde. Mais la question concerne également les produits innovants. Le message est distillé avec l’idée d’un possible rationnement. Ce qui est pour le moins singulier lorsque l’on atteint ces tarifs. D’où l’idée sous-tendue que les Etats devront faire des efforts de toute nature pour en bénéficier. C’est un élément nouveau dans le paysage, comme en témoigne la mise en place d’une loterie, moyen dérogatoire pour accéder au produit. La priorisation des patients en cas de ressources rares est pourtant une technique connue. C’est le cas de la transplantation, voire pour le médicament dans l’hépatite C.
Comment faire baisser les prix ?
Je ne connais qu’un moyen, celui de refuser l’accès du produit, ou sa prise en charge. C’est une discussion qui ne concerne pas seulement le tarificateur mais la société dans son ensemble. Par ailleurs, nous ne retenons pas le coût de production dans la fixation des prix. Jusque dans les années quatre-vingt, le prix du médicament reposait sur les coûts de revient industriel. Mais cela s’est révélé très inflationniste et surtout déconnecté de la valeur. A l’époque où la majorité des médicaments innovants ne sont plus produits dans l’Hexagone, la description précise d’un coût de production dans une économie mondialisée se révèle complexe. Depuis on a retenu le principe d’une rémunération à la valeur. Nous n’avons aucune difficulté à envisager un prix élevé pour un traitement efficace, quelle que soit la facilité ou non à le produire. Je me garderai bien de faire des hypothèses sur la manière dont les big pharma construisent les prix.
L’opacité des négociations entre les industriels et le CEPS n’entretient-elle pas ce flou sur le prix réel des médicaments ?
En fait, la réalité est plus complexe qu’opaque. De multiples textes administratifs encadrent notre activité et les critères de fixation des prix sont régis par la loi. Les évaluations des produits de santé sont également publiques. Les prix sont publics sauf il est vrai les remises. Rappelons à cet égard la transposition dans la loi française de la directive européenne sur le droit des affaires qui élargit le cadre du secret des affaires. Nous respectons à la lettre le corpus législatif auquel nous sommes soumis. Le niveau d’ASMR, le prix revendiqué par un laboratoire peut être protégé par le secret des affaires,car pouvant relever d’une stratégie commerciale. La pression est forte pour maintenir cette zone de confidentialité. Pour autant, nous nous sommes efforcés de quantifier le phénomène pour mieux y répondre. Dans le dernier rapport d’activité du CEPS, nous avons compté le nombre de contrats concernés par le nombre de remises. Certes le nombre a augmenté entre 2012 et 2018, de 150 à 240. Ce qui témoigne d’une augmentation sensible. Mais il faut la relativiser au nombre total de contrats, à savoir environ 5 000. Soit 4,5% des contrats comportent des clauses qui génèrent des remises. Ce pourcentage est en fait plus limité. En vérité, seuls 3% sont concernés. Car des contrats comportent des clauses de sécurité en cas de risque de mésusage sans pour autant s’activer. Dès lors, 97% des prix publiés sont les vrais prix. Certes le montant des remises progresse de 500 millions en 2013 à 2 milliards en 2018. Cette inflation est avant tout s corrélée aux prix demandés par les industriels pour lesquels le banchmark européen est important. Les remises sont concentrées sur un petit nombre de produits qui sont les derniers entrants. Parallèlement, ces remises doivent se résorber au fil du temps à la faveur des baisses de prix négociées chaque année, comme en témoigne par exemple les baisses de prix des immunothérapies dans le cancer. Par ailleurs un accord-cadre usager nous permet d’ informer les associations de patients à travers des auditions et des comités interface sur nos méthodes et nos conditions de fonctionnement.
Quelles sont les pistes pour optimiser le processus ?
Deux pistes, déjà empruntées par d’autres pays sont possibles. L’approche médico-économique est le seul moyen pour mettre en regard dans un scénario de pathologie chronique, un traitement one-shot. Les analyses de sensibilité qui précisent le risque d’erreur sont là pour rassurer les acteurs sur l’impact de l’inconnu. L’analyse médico-économique a été balkanisée à la fois par les industriels et les pouvoirs publics. On avait tous l’impression que la négociation à l’ancienne était préférable. En l’absence de cet outil, le risque est de dire n’importe quoi. L’enjeu pour les industriels est de nous aider à construire une représentation de ce qu’est un traitement one-shot. Ceci devra être validé par la commission concernée de la HAS. Une fois la solution partagée avec tous, la discussion tarifaire sera beaucoup plus aisée. La seconde piste qui n’est pas utilisée serait de raisonner comme un acheteur avec la mise en place de dispositifs relevant de l’appel d’offres avec un nombre limité de produits retenus. C’est un moyen radical de faire baisser les prix. Ce n’est pas à ce jour la philosophie du CEPS ni sa mission. On se transformerait en méga centrale d’achat. Je suis très partagé au regard des résultats. La massification des achats au niveau des établissements a été plutôt délétère sur la disponibilité de certains produits. La majorité des ruptures d’approvisionnement se produit dans les marchés à prix libres et non administrés. Nous sommes attachés à ce que soit présent un maximum de produits sur le marché, issus d’un maximum d’acteurs. C’est cette concurrence qui sécurise l’accès et permet de faire baisser les prix.
* vice-président du CEPS.
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