Si des recherches ont pu associer la restriction calorique journalière à un effet bénéfique sur la santé et la longévité, d’autres explorent l’intérêt de la restriction du temps de prise alimentaire. Ainsi, une étude récemment publiée dans Nature a montré que la restriction calorique et le jeûne intermittent chez les souris entraînaient une prolongation de la durée de vie proportionnelle au degré de restriction. Les auteurs mettent en évidence une perte de poids, une amélioration de l’homéostasie du glucose, une baisse de la température corporelle, une flexibilité métabolique, ou encore une diminution des signes d’inflammation…
Il est ainsi légitime de se questionner sur l’intérêt de ce mode d’alimentation dans les maladies métaboliques. « Le rationnel est présent ; de la réduction de l’inflammation à la préservation de la réponse à l’insuline, le jeûne intermittent peut fonctionner chez certaines personnes, dont celles atteintes de maladies métaboliques », explique le Pr Gabriel Perlemuter, hépato-gastroentérologue et nutritionniste à l’hôpital Antoine-Béclère (AP-HP, Clamart).
De la réduction de l’inflammation à la préservation de la réponse à l’insuline, le jeûne intermittent peut fonctionner chez certaines personnes
Pr Gabriel Perlemuter
Hépato-gatroentérologue et nutritionniste à Clamart
Le jeûne intermittent est une intervention nutritionnelle qui se fonde sur des temps de prise alimentaire restreints pouvant s’organiser selon différents rythmes. « Le plus connu est le 16/8 qui fait jeûner pendant 16 heures consécutives et manger sur une période 8 heures ; il y a également le 5/2 correspondant sur une semaine à 5 jours de prise alimentaire libre et à 2 jours de jeûne, non consécutifs », détaille le Pr Perlemuter qui signe un livre sur le sujet (1).
Il existe, dans tous les organes du corps, des horloges biologiques qui sont sensibles à la prise alimentaire
Pr David Jacobi
Nutritionniste chercheur à l’Institut du thorax à Nantes
Les mécanismes du jeûne intermittent reposent en partie sur le fait que « le métabolisme est rythmé par une horloge biologique interne et que l'alimentation est capable de la synchroniser », explique le Pr David Jacobi, médecin spécialiste en nutrition et chercheur à l’Institut du thorax à Nantes, qui étudie le chronométabolisme et les interventions nutritionnelles temporelles dans les maladies métaboliques. « Il existe, dans tous les organes du corps, des horloges qui sont sensibles à la prise alimentaire. Ainsi, la prise alimentaire rythme aussi le métabolisme », précise-t-il.
Le jeûne fait reculer l’insulinorésistance
Le jeûne pourrait-il ainsi préserver les fonctions métaboliques ou rétablir celles qui sont altérées dans des maladies comme l’obésité, le diabète de type 2 (DT2) ou la Mash (pour metabolic dysfunction – associated steato- hepatitis) ? Un travail de l’Anses de 2024, auquel le Pr David Jacobi a pris part, s’est penché sur la répartition de la prise alimentaire dans le temps. Les données colligées montrent que les réponses glycémiques sont plus fortes après une consommation d’énergie majoritairement en soirée comparée à majoritairement en matinée. Et l’insulinorésistance serait plus élevée chez les personnes mangeant après 15 heures par rapport à celles mangeant avant. De plus, un repas consommé en soirée induirait une augmentation plus forte de la glycémie et de l’insulinémie que le même pris le matin à 8 heures.
Il ressort également que les personnes en situation d’obésité ou en surpoids suivant un régime hypocalorique avec plus de calories au petit-déjeuner perdent davantage de tour de taille que celles les consommant au dîner. Un résultat cependant non observé avec un régime normocalorique. « Des travaux chez la souris montrent que celles soumises à un régime gras avec un protocole de restriction temporelle deviennent résistantes à l’obésité par rapport à celles sous régime gras, mais sans restriction temporelle », ajoute le Pr Jacobi.
Pour ce qui est du diabète de type 2, deux études récentes publiées dans le Jama Network Open et l’International Journal of Molecular Sciences se sont intéressées aux effets d’un régime 5/2. Toutes deux mettent en évidence une efficacité sur la perte de poids et le contrôle de la glycémie, l’étude Early publiée dans le Jama Network Open montrant même un effet plus important à court terme que la metformine ou l’empagliflozine.
Un essai randomisé, publié dans Annals of Internal Medicine, évalue l’effet du jeûne intermittent chez des adultes atteints d’un syndrome métabolique et retrouve un bénéfice sur le contrôle glycémique et la santé cardiométabolique. Enfin, une revue parue dans Nutrients montre que le jeûne intermittent est associé à des avantages à court terme (composition corporelle, marqueurs cardiovasculaires, scores de risque) et à long terme (cholestérol, fonction thyroïdienne, sécrétion de l'hormone parathyroïdienne, baisse du sICAM-1, un marqueur de maladies et d’inflammation liées à l’âge, déplétion en méthionine, un acide aminé pro-vieillissement). Les auteurs spécifient que « la nature périodique de ce schéma d’alimentation introduit une variabilité dans la façon dont ces voies sont activées » pouvant conduire « à des améliorations plus prononcées de la sensibilité à l'insuline en raison des périodes prolongées sans apport alimentaire ».
Outre ces effets physiologiques, le Pr Jacobi cite également quelques études montrant que le jeûne intermittent pourrait favoriser l’expression de gènes protecteurs contre les maladies et le vieillissement.
La restriction calorique ou l’alimentation méditerranéenne sont souvent associées au jeûne intermittent
Démêler les effets du jeûne de ceux de la restriction calorique
Si la richesse de la littérature engage à intégrer le jeûne intermittent comme intervention nutritionnelle, « il apparaît difficile de démêler les effets du jeûne intermittent de la restriction calorique qu'il peut induire », détaille le Pr Jacobi. En effet, dans les études évaluant le jeûne, notamment chez le sujet en situation d’obésité, la restriction calorique ou l’alimentation méditerranéenne y sont souvent associées, sachant que les réponses insuliniques seraient aussi influencées par la qualité des glucides consommés selon le rapport de l’Anses.
Une revue de littérature datant de 2023 conclut néanmoins que même si la perte de poids due au jeûne ne s'avère pas supérieure à la restriction calorique globale, c’est une stratégie qui dispense du comptage des calories. Concernant l’indication en clinique, les auteurs préconisent de réaliser le jeûne en complément d’un régime méditerranéen ou végétarien, sans pour autant arrêter de conclusions définitives.
L'effet sur la perte de poids reste incertain s’il n'y a pas de restriction calorique
Pr David Jacobi
De son côté le Pr Perlemuter reste persuadé que le jeûne intermittent peut aider à la perte de poids, stabiliser le bilan lipidique et glycémique, améliorer la santé du foie, réduire l’hypertension artérielle, améliorer l’insulinorésistance, diminuer l’inflammation et abaisser la production de leptine. L’hépato-gastroentérologue voit ce type d’alimentation comme « un outil supplémentaire pour améliorer la situation des patients », et non comme un traitement curatif de ces pathologies. Le Pr David Jacobi, lui, voit dans la restriction temporelle une option intéressante pour resynchroniser les rythmes internes et réduire le risque cardiométabolique, bien que « l'effet sur la perte de poids soit incertain s’il n'y a pas de restriction calorique ».
(1) Perlemuter Gabriel, « Jeûner en mangeant », éditions Flammarion 2024
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