« Un ensemble modernisé de principes éthiques pour promouvoir et garantir le respect des participants dans un écosystème de recherche médicale en constante évolution » : telle est la promesse qu’a voulu honorer la 10e révision de la déclaration d’Helsinki, adoptée en octobre 2024 par l’Association médicale mondiale (AMM), soixante ans après sa rédaction initiale. Ce résultat de trente mois de réflexion conduite par un groupe de travail réunissant des représentants de 19 pays a été publié dans le Jama Network le 19 octobre (1).
« Cette dernière révision modernise considérablement les principes de la déclaration d’Helsinki afin d'en renforcer la pertinence à l'avenir », salue dans un éditorial associé le Dr Jack Resneck, dermatologue et président de l’AMM en 2022-2023. Une analyse partagée en grande partie par les spécialistes de l’Inserm interrogés par Le Quotidien. « Les révisions ne sont pas si fréquentes, la dernière remonte à 2014. Cela montre que la Déclaration est un texte évolutif, comme la bioéthique, et que l’Association médicale mondiale et les professionnels s’adaptent aux pratiques et questions nouvelles », réagit le Dr Hervé Chneiweiss, président du comité d'éthique de l'Inserm. « C’est important de réviser régulièrement les documents normatifs, toujours en retard sur la réalité du monde », corrobore la Dr Christine Dosquet, présidente du comité d’évaluation éthique de l’Inserm.
Première modification : l’expression « participants humains » remplace celle de « sujets » dès le premier article du préambule. Derrière la modification stylistique, se joue la reconnaissance du rôle actif des personnes dans la recherche médicale. « C’est un changement d’orientation : on ne conduit plus une recherche sur des sujets passifs mais avec des êtres humains, dans une démarche de co-création », analyse le philosophe Bernard Baertschi (université de Genève), membre du comité d’éthique de l’Inserm.
En miroir, la Déclaration révisée précise que ses principes doivent être endossés non seulement par les médecins mais par « tous les individus, équipes et organisations impliqués dans la recherche médicale ».
Cette révision est une occasion manquée pour les volontaires sains, qui doivent faire l’objet d’une attention spécifique
Dr François Bompart, Comité d’éthique de l’Inserm
Un bémol toutefois : le préambule n’évoque que de manière très sibylline les volontaires sains comme participants de la recherche. Le reste de la Déclaration n’en dit mot. « C’est une occasion manquée », regrette le Dr François Bompart, membre du comité d’éthique de l’Inserm et de la Drugs for Neglected Diseases Initiative, et l’un des promoteurs de l’initiative VolREthics, qui a abouti en août 2024 à une charte pour une meilleure reconnaissance et visibilité de ces volontaires. « Ce sont des participants particuliers pour lesquels la balance bénéfices-risques n’est pas la même que chez des patients (ils n’ont pas de besoins en termes de santé, notamment). Ce sont souvent des jeunes, défavorisés (au niveau social, financier, scolaire), qui n’ont aucun représentant, et dont la motivation principale est l’argent. Leur bien-être par exemple est à surveiller, alors que les conditions des essais sont parfois très contraignantes », explique le Dr François Bompart. « Les volontaires sains doivent faire l’objet d’une attention spécifique », coécrit-il dans une correspondance publiée dans The Lancet (2).
Une meilleure prise en compte des communautés vulnérables
Cette 10e révision enjoint de prendre davantage en compte les vulnérabilités des participants, sans pour autant exclure les plus fragiles des essais (ce qui risquerait d’aboutir à des résultats qui ne pourraient s’appliquer à toutes les catégories de personnes, notamment les minorités). « Lorsque ces personnes, groupes et communautés ont des besoins particuliers en matière de santé, leur exclusion de la recherche médicale peut potentiellement perpétuer ou exacerber leurs disparités. Par conséquent, les inconvénients de l'exclusion doivent être pris en compte et mis en balance avec les inconvénients de l'inclusion », précise la Déclaration. Et de préconiser un soutien et des protections spécifiques. « La recherche n’est justifiée que si elle répond aux besoins de ces personnes ou groupes », lit-on dans le paragraphe suivant. Un gage de la qualité scientifique des recherches, souligne la Dr Christine Dosquet. « Que le comité d’éthique de la recherche prenne en compte les bénéfices attendus dans l’examen d’un projet est crucial ; il doit évaluer, faire des commentaires et donner des conseils », explicite-t-elle.
De plus, le texte fait la part belle à la notion de communauté, en incitant les participants et « leurs communautés » à « partager leurs priorités et leurs valeurs, participer à la conception et à la mise en œuvre de la recherche et à s'engager dans la compréhension et la diffusion des résultats ». Même si le consentement informé individuel est essentiel pour candidater à un essai, il peut être légitime de consulter les représentants des communautés, est-il suggéré. « Cela consacre le travail de l’Inserm pour la considération des communautés », se réjouit le Dr Hervé Chneiweiss. « Lorsqu’on conduit des recherches au Sud, il faut tenir compte de la culture locale (négocier avec le conseil communautaire évite que des individus ne se retrouvent en porte-à-faux). La Déclaration précise aussi qu’il faut par ailleurs obtenir l’approbation des comités d’éthique du pays promoteur et de celui ou ceux où se déroule la recherche », note-t-il. Le philosophe Bernard Baertschi souligne quant à lui que les comités d’éthique doivent inclure un membre du « public général » : « Au-delà du cercle d’experts, ils s’ouvrent à la société civile, première concernée par ce qu’il y a à chercher. »
« Une fois la recherche finie, il faut prévoir une phase 4 permettant aux communautés d’avoir accès aux soins : on ne peut s’exonérer de cette responsabilité », reprend le Dr Hervé Chneiweiss. « Avant un essai clinique, les promoteurs et les chercheurs doivent prendre des dispositions pour que les participants qui en ont encore besoin après bénéficient d'une intervention bénéfique et sûre, que ce soit de la part des promoteurs, des systèmes de santé ou des pouvoirs publics », stipule le texte.
D’après le président du comité d’éthique de l’Inserm, ces lignes portent le souvenir de la pandémie de Covid. « Certains pays du Sud ont eu l’impression d’avoir été abandonnés lors du Covid, en termes de recherche et d’accès aux traitements. »
Des principes éthiques à respecter même dans l’urgence
L’insistance accordée à la qualité des recherches et au respect des principes, y compris en contexte d’urgence, porte aussi la trace du Covid ou d’Ebola. « Lors d’une crise, il faut adapter les procédures, aller plus vite, réunir plus rapidement les comités d’éthique, mais on ne peut s’exonérer des principes éthiques qui garantissent la qualité des recherches et le droit des personnes », résume le Dr Hervé Chneiweiss, déplorant le gaspillage de temps et d’argent à l’occasion des milliers d’études mal conduites lors de la pandémie. « De même, ce n’est pas parce que les médecins sont dans une impasse médicale, un contexte compassionnel, que tout est autorisé », enchérit la Dr Christine Dosquet. La Déclaration précise qu’il faut évaluer la sécurité et l’efficacité de toute intervention qui est entreprise alors qu'elle n'est pas approuvée.
Il est important de réviser régulièrement les documents normatifs, toujours en retard sur la réalité du monde
Dr Christine Dosquet, Comité d’évaluation éthique de l’Inserm
Enfin, la déclaration d’Helsinki intègre de nouvelles préoccupations. Elle acte notamment la nécessité de revoir les consentements à l’ère de l’intelligence artificielle et des biobanques, en évoquant la déclaration de Taipei (3). « On ne cesse de se battre contre des documents d’information et de consentement tout faits qui précisent que les données et/ou les échantillons peuvent être réutilisés en France ou à l’étranger, par le public ou le privé, mais ne précisent pas selon quelles modalités les personnes pourront être tenues informées de la réutilisation de leurs données et/ou échantillons et éventuellement s’y opposer », déplore la Dr Christine Dosquet. La Déclaration prend aussi en considération les conséquences sur l’environnement des recherches. « Les chercheurs sont de plus en plus sensibles au coût énergétique et environnemental des recherches », observe le Dr Hervé Chneiweiss.
Le défi est désormais de faire vivre ces principes, alors que la déclaration d’Helsinki n’est pas contraignante. « Tous les protocoles de recherche clinique y font référence, c’est un cadre connu et reconnu », selon le Dr Bompart. « Elle est souvent citée mal à propos, dans le cadre de recherches non biomédicales, par exemple. Et puis, il ne suffit pas de la mentionner, il faut aussi l’avoir lue », tempère la Dr Christine Dosquet. « En soixante ans, elle est quand même devenue une référence. En France, la loi Huriet-Sérusclat de 1988 y est adossée, tout comme les lois de bioéthique ; le Parlement ou le Conseil d’État s’y réfèrent, c’est un standard moral sur lequel s’alignent de nombreux pays », conclut le Dr Hervé Chneiweiss.
(1) World Medical Association, Jama, octobre 2024. DOI : 10.1001/jama.2024.21972
(2) Bompart F. et al., The Lancet, vol 404, 10467, 2047-2048
(3) Adoptée en 2016 par l’AMM, la déclaration de Taipei complète celle d’Helsinki en énonçant des principes relatifs à la collecte, au stockage et à l’utilisation des données de santé
Cancer du sein : la prise de poids est associée à un risque d’insuffisance cardiaque
Grippe aviaire H5N1 : ce que l’on sait des cas humains observés aux États-Unis
Cancer du pancréas : une nouvelle cible thérapeutique découverte avec l’enzyme protumorale Mical2
Grippe aviaire H5N1 : ce que l’on sait des cas humains observés aux États-Unis