Les thérapies géniques justifient-elles des prix élevés ?
Cette problématique des coûts des thérapies géniques et cellulaires rejoint celle des prix en oncologie et plus généralement de toutes les thérapies innovantes. Exemple, un nouveau traitement de la mucoviscidose qui n’est pas une thérapie génique mais une trithérapie médicamenteuse concernant 90 % des malades soit 6 000 malades en France. Le prix atteint aux États-Unis 300 000 dollars par an et par malade soit potentiellement l’équivalent de 5 % du budget du médicament ! Le sujet est connu des politiques. Il est débattu aux États-Unis dans un contexte beaucoup plus lourd. Un quart des Américains ne se traitent pas convenablement. C’est devenu un enjeu politique pour les démocrates mais aussi pour Donald Trump qui pense que les médicaments sont trop onéreux aux États Unis et trop bon marché en Europe ! S’il devait se produire une régulation des prix, cela risquerait d’avoir un impact en Europe.
La France dispose d’un système de mise à disposition rapide de nouveaux médicaments : l’autorisation temporaire d’utilisation ce qui est bien. Il permet l’accès par exemple à la thérapie génique de l’amyotrophie spinale, le médicament le plus cher au monde (plus de 2 milliards de dollars). Ce prix paraît pourtant exorbitant.
La thérapie génique se singularise par le concept d’un traitement administré en une seule fois.
C’est l’argument avancé par l’industrie pour justifier un tel prix. Probablement la même problématique va émerger bientôt pour une thérapie génique des hémophilies. Cet argument ne tient pas pour au moins une raison. Il est difficile de parler de guérison alors que le recul pour la plupart des maladies ne dépasse pas 3 à 5 ans. Il y a donc un facteur d’incertitude. Quoi qu’il arrive, dans le cas de l’amyotrophie spinale, les enfants nécessiteront encore des soins. Il n’est pas exclu que d’autres facettes de la maladie jusqu’ici non connues se révèlent. Dans le cas de la maladie de Leber, qui entraîne une cécité, le traitement permet une amélioration partielle de la vision et l’on ne sait pas combien de temps le bénéfice du traitement persistera. On ne donc peut pas prétendre de façon rigoureuse que ces traitements apportent une guérison définitive.
Et même si cela se vérifiait, un prix si élevé est-il acceptable, alors que les coûts de recherche/développement et de production ne peuvent à eux seuls les justifier ? Une vision plus équilibrée de l’intérêt général et d’un retour raisonnable sur investissement qui permette la poursuite de l’innovation devrait prévaloir.
Ces traitements reposent sur une recherche académique.
De fait, si l’on prend le cas des six thérapies géniques commercialisées à ce jour (pour des maladies génétiques ou des cancers), la recherche académique y a joué un rôle prépondérant dans leur mise au point. La prise de risque pour l’industrie pharma est de ce fait limitée. En revanche, les acquisitions des produits sont réalisées à un niveau très élevé. Novartis a ainsi acheté 8,7 milliards de dollars AveXis qui a développé le traitement de l’amyotrophie spinale. Il faut savoir que la conception première, les études précliniques et une partie du développement clinique ont été menées par le milieu académique. Si l’on prend l’exemple du déficit immunitaire en ADA, l’AMM a été obtenue sur un essai clinique qui a inclus 18 malades tous traités par une institution académique à Milan. La compensation financière n’est pas à la hauteur de ce qui a été apporté. La solution pourrait consister en une meilleure prise en compte de la part académique dans la mise au point d’un médicament et en l’ajout d’une clause de prix raisonnable, comme cela a temporairement existé aux États Unis au NIH (National Institutes of Health).
Quel est le coût estimé en moyenne de la recherche pour un nouveau traitement ?
Selon Evaluate pharma en 2019, outlook to 2024, la part consacrée à la recherche serait de l’ordre de 21,6 % en moyenne du prix d’un médicament. À l’horizon 2024, elle devrait même chuter à 18 %. L’argument qu’un prix élevé soit nécessaire pour permettre la poursuite de l’innovation doit être mis en perspective de la réalité des bénéfices très élevés de l’industrie pharmaceutique qui surpasse de beaucoup ceux des autres secteurs économiques : ainsi un euro investi en 1990 a rapporté 44 euros en 2015 tout secteur confondu et 114 euros dans la pharmacie. L’industrie pharma est donc ultra-rentable. Quant au coût de développement d’un médicament souvent cité de deux milliards de dollars, il est fortement est largement contesté.
L’Europe est-elle la solution ?
On est plus fort lorsque l’on négocie ensemble plutôt que seul. Si l’on a été capable de mettre en place une agence européenne du médicament, en toute logique devrait suivre une agence européenne des prix. Certes, des aménagements devraient être trouvés selon les niveaux de vie. Une autre initiative, à l’échelle européenne avec la participation des États et de fondations pourrait consister en la mise en place d’un petit nombre de structures à but non lucratif afin de produire des lots de thérapie génique, voire des médicaments au moins pour des maladies très rares. Un investissement initial public avec l’aide de fondations privées pourrait le permettre. Si besoin, cette capacité de production pourrait servir de moyen de pression sur l’industrie pour l’obtention de prix raisonnables. Certaines initiatives hospitalières s’inscrivent dans cette perspective en Israël, aux Pays-Bas, par exemple pour la production des cellules CAR-T pour le traitement de cancer à prix coûtants.
Comment regardez-vous l’action du CEPS ?
Il fait ce qu’il peut. Pour autant, il me semble que le CEPS n’a pris la mesure de ce qui est en train de survenir devant nos yeux avec l’arrivée en nombre de médicaments d’intérêt majeurs mais proposés à des prix très élevés. Même si des rabais seront obtenus, on voit mal comment les dépenses de médicaments ne pourraient pas augmenter de façon très substantielle si rien ne change. Il existe un certain degré de prise de conscience de cette situation mais pas encore de mesures prises.
Comment alors avancer ?
Comme évoqué plus haut, une négociation commune des états européens les mettrait en meilleure position face à l’industrie, même si cela n’est pas simple à mettre en place serait d’étendre la négociation à l’échelle européenne. Autre proposition, mettre en œuvre la proposition de l’OMS adoptée en mai 2019, mais de façon non contraignante, sur la transparence des prix des médicaments. Enfin – et c’est sûrement le point le plus ambitieux – il serait intéressant de réfléchir à l’acquisition par des filiales d’entreprises qui développent des médicaments innovants du statut de benefit corporation qui implique d’ajouter aux missions économiques de l’entreprise (le profit des actionnaires et des investisseurs) une mission d’intérêt générale qui les conduisent à proposer ces médicaments à un prix raisonnable qui permettent de garantir l’accès de tous à l’innovation médicale.
* Professeur d'immunologie pédiatrique, chercheur.
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