K.J. Muldoon, un nourrisson de 10 mois, est le premier patient au monde traité avec succès par une thérapie génique personnalisée utilisant Crispr/Cas9 pour un déficit sévère en carbamoyl-phosphate synthétase 1 (CPS1), une maladie métabolique ultra-rare (1 pour 1 300 000).
L’équipe, issue de l’hôpital pour enfants de Philadelphie (CHOP) et de la faculté de médecine de Pennsylvanie (Penn Medicine), rapporte ce 15 mai que l’enfant « grandit et se développe bien », après avoir dû passer les premiers mois de sa vie à l’hôpital. Le déficit sévère en CPS1 – dont la mortalité est estimée à 50 % dans la petite enfance – se manifeste par une incapacité à décomposer complètement les sous-produits du métabolisme des protéines dans le foie entraînant une accumulation toxique d'ammoniac. Le traitement repose, in fine, sur une greffe du foie, si le patient est médicalement stable et suffisamment âgé.
Pour les médecins, cette réussite « constitue une avancée médicale historique ». « Nous espérons que (K.J.) sera le premier d'une longue série à bénéficier d'une méthodologie qui peut être adaptée aux besoins d'un patient individuel », ajoutent-ils. « Il s'agit du premier cas connu de médicament personnalisé basé sur Crispr administré à un seul patient », commente un communiqué des National Institutes of Health (NIH) américains, qui soutiennent ces travaux. Le cas clinique, publié dans le The New England Journal of Medicine, a été présenté à la réunion annuelle de l’American Society of Gene & Cell Therapy.
Identification d’un variant responsable du déficit
À 48 heures après sa naissance, K.J. – léthargique et en détresse respiratoire – a présenté des taux sanguins d’ammoniac élevés, obligeant à mettre en place une thérapie continue de remplacement rénal. Les médecins diagnostiquent alors un déficit sévère en CPS1. Le nouveau-né a reçu des épurateurs d’azote et a été contraint à une alimentation restreinte en protéines. L’analyse ciblée de son génome a permis de caractériser le variant défectueux.
Dans ce contexte, l’équipe a proposé aux parents de lancer le développement rapide d’une thérapie génique personnalisée utilisant les ciseaux moléculaires Crispr/Cas9. Pour ce faire, elle s’est appuyée sur les travaux de leurs collaborateurs de la Penn Medicine, qui étudient depuis 2023 les maladies métaboliques et la faisabilité de thérapies d’édition de gène personnalisées. Les chercheurs ont ainsi conçu et fabriqué une thérapie génique délivrée par des nanoparticules lipidiques dans le foie afin de corriger l’enzyme défectueuse en ciblant la variante spécifique de CPS1.
K.J. a reçu la première dose de sa thérapie expérimentale sur mesure en février 2025, à l'âge de sept mois, puis deux autres en mars et avril 2025. À ce jour, le nourrisson n’a pas souffert d’effets indésirables graves, et a toléré une augmentation des protéines alimentaires ainsi qu’une diminution de moitié de ses traitements dès 7 semaines après la première injection, « signes de l’efficacité de la thérapie », selon les médecins. « Un suivi plus long est encore nécessaire pour évaluer pleinement les bénéfices, estiment-ils cependant. Même si K.J. doit être surveillé de près jusqu'à la fin de sa vie, nos premiers résultats sont très prometteurs ».
Une thérapie développée en 6 mois
La thérapie génique utilisant Crispr/Cas9 a déjà été utilisée avec succès dans la drépanocytose, la bêta-thalassémie et l’angioedème héréditaire (hémoglobinopathies). Le traitement Casgevy (Vertex et Crispr Therapeutics) a ainsi vu le jour et obtenu des autorisations de mise sur les marchés en Europe et aux États-Unis. Cependant, jusqu’ici le développement des thérapies Crispr s’intéressait à des variants récurrents dans quelques maladies génétiques relativement moins rares.
Dans ce nouveau travail, les auteurs estiment que leur « modèle » de personnalisation de thérapie génique utilisant les ciseaux moléculaires permettrait de « traiter plus de 90 % des variants pathogènes dans les maladies génétiques qui, bien que rares individuellement, affectent collectivement des centaines de millions de personnes dans le monde entier ». « Les promesses de la thérapie génique dont nous entendons parler depuis des décennies sont en train de se concrétiser et vont transformer radicalement notre approche de la médecine », espèrent les médecins de Philadelphie.
Les chercheurs insistent également sur la « rapidité » du développement de la thérapie personnalisée de K.J. – en 6 mois – offrant un modèle pour celui d’autres traitements de maladies avec des variants ultra-rares ou uniques ; la Food and Drug Administration (FDA) a d’ailleurs approuvé en une semaine leur demande individuelle de médicament expérimental à accès élargi.
« La combinaison d’un diagnostic rapide – grâce au séquençage du génome – et du développement accéléré de produits individualisés, suivi de l'administration de la thérapie et d'un suivi attentif de l'innocuité et de l'efficacité, pourrait améliorer remarquablement la vie des personnes atteintes de maladies rares », écrit le Pr Peter Marks, onco-hématologue et ex-superviseur des vaccins à la FDA récemment poussé vers la sortie par l’administration Trump, dans l’éditorial de la revue. « En tant que plateforme, l'édition de gènes – fondée sur des composants réutilisables et une personnalisation rapide – promet une nouvelle ère de médecine de précision pour des centaines de maladies rares, en apportant des thérapies qui changent la vie des patients au moment le plus opportun : tôt, rapidement et sur mesure », a déclaré, quant à lui, le Pr Joni L. Rutter, directeur du National Center for Advancing Translational Sciences (NCATS) des NIH.
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