LE QUOTIDIEN : Pourquoi ce rapport Nexus ?
FABRICE DECLERCK : Il s’agit du premier rapport de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, l’IPBES, qui porte sur les interconnexions entre santé humaine, biodiversité, eau, climat et alimentation, comme le suggère son nom « Nexus » signifiant nœud/interaction.
La crise de la biodiversité est souvent réduite à la perte d’espèces, à l’occupation des terres par les hommes, à l’expansion agricole. Ici, une nouvelle orientation est prise et montre que la biodiversité est un élément central dans tout le fonctionnement planétaire écosystémique.
Ce nouveau rapport met en évidence le fait que nous sommes dans une polycrise mais aussi que les solutions existent.
Que retenir des 71 options évaluées ?
Plusieurs scénarios ont été élaborés, certains priorisent le climat, la biodiversité, l’alimentation, l’eau ou la santé tandis que d’autres favorisent une approche plus globale.
La stratégie de base en place actuellement nous assure une sécurité alimentaire et améliore la santé en réduisant la sous-nutrition. Mais elle favorise l’obésité et le diabète avec des impacts néfastes sur la biodiversité, l’eau et le climat.
Dans les scénarios davantage orientés vers la nature, il est possible de renforcer significativement la biodiversité et l’accessibilité à l’eau et d’augmenter la production alimentaire, tout en luttant contre le changement climatique et en améliorant l’impact sur la santé, via notamment une alimentation plus saine.
Dans ces scénarios, l’impact est majeur sur la nature, mais moindre sur l’alimentation et la santé, tandis que les scénarios dits « Nexus équilibré », qui visent un équilibre entre les cinq éléments, ont des effets très forts sur la santé et l’alimentation, un peu plus faibles sur la biodiversité, l’eau et le climat.
Ce qu’il faut retenir : nos approches en silo nous font passer à côté de certaines opportunités. Il faut favoriser des approches plus systémiques et identifier des synergies.
Par exemple, en Europe, on consacre environ 40 % du budget de la Commission européenne à l’agriculture ; or une grande partie des subventions finance des produits surconsommés et néfastes pour la santé, tels que la viande rouge et le sucre, ainsi que des pratiques délétères pour l’environnement, comme l’utilisation de pesticides toxiques. Des fonds publics sont utilisés pour produire une alimentation mauvaise pour la santé, au lieu de l’être pour favoriser une alimentation saine avec des pratiques permettant de lutter contre le changement climatique.
Le dispositif de la ville de Paris, mis en place en 2019, permet d’accompagner les agriculteurs dans la transition écologique, avec un budget de 47 millions d’euros sur 12 ans*. Qu’en pensez-vous ?
J’ai toujours été fort impressionné par la stratégie de la ville de Paris pour une alimentation durable, qui est un parfait exemple d’intervention synergétique. En aidant les agriculteurs dans leur transition vers l’agro-écologie dans le bassin parisien, ce dispositif contribue à favoriser une alimentation plus saine et plus flexitarienne, avec une réduction de la surconsommation de viande rouge et une augmentation de la consommation de fruits, de légumineuses… Cette initiative contribue aussi à agir en faveur du changement climatique (en capturant plus de CO2 dans les zones agricoles autour de Paris) et à préserver la biodiversité, tout en réduisant la pollution de l’eau par les pesticides.
Quels sont les liens entre biodiversité et santé ? Pouvez-vous donner quelques exemples ?
Une alimentation saine est dépendante de la biodiversité, notamment via la pollinisation qui est essentielle pour la production de plusieurs fruits, des fruits à coque et des légumineuses. Favoriser une production alimentaire plus diversifiée passe par la mise en œuvre de pratiques plus adaptées à la diversité des sols, soucieuses de la variété des paysages agricoles ; cela permet de préserver la faune sauvage et d’assurer une plus grande résilience à la sécheresse et au changement climatique, tout en répondant aux enjeux de santé publique en matière d’alimentation. Il faut que soit davantage reconnu que l’intérêt de la santé publique est partagé avec celui de la biodiversité et de la lutte contre le changement climatique.
Aux États-Unis, la propagation de la maladie de Lyme a été amplifiée par la fragmentation des paysages. Des bosquets plus petits sont associés à une moindre diversité de mammifères et ceux qui persistent concentrent et propagent la maladie. À l’inverse, dans les forêts plus grandes abritant une multiplicité de mammifères, plusieurs espèces sont porteuses de la maladie, mais la transmettent moins ; sa propagation est donc réduite.
Des approches existent au niveau local, mais à l’échelle nationale ou mondiale, l’organisation reste en silo
Au Sénégal et au Kenya, la bilharziose, une maladie parasitaire transmise par des animaux aquatiques, est favorisée par la présence d’une plante envahissante aquatique, la jacinthe. Des communautés au Sénégal ont réussi à faire chuter drastiquement les infections en s’attaquant à cette plante envahissante et en l’utilisant comme engrais. Cela montre que lutter contre cette maladie n’est pas seulement une question de thérapie médicale : un traitement écologique est une approche préventive efficace.
L’expansion des systèmes d’irrigation pour l’agriculture et le déboisement favorisent par ailleurs la création d’habitats pour les vecteurs de paludisme, de fièvre jaune et de dengue.
Dernier exemple d’intervention qui aurait un effet positif sur les cinq éléments du Nexus : la conservation – ou la restauration – des mangroves. Ces écosystèmes des zones tropicales représentent une source d’alimentation saine pour les communautés qui vivent à proximité et contribuent à créer de l’habitat pour la biodiversité et à séquestrer le carbone.
Dans cette logique « Nexus », à l’œuvre dans le concept One Health, des rapprochements entre les différents secteurs ont-ils déjà été opérés en France ?
Je dirais que c’est encore très difficile. Des approches intéressantes existent au niveau local, mais à l’échelle nationale ou mondiale, l’organisation reste en silo.
Ce cloisonnement perdure même dans les Conventions de Rio, avec la Convention sur la diversité biologique (CDB), la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULD). Ces trois documents continuent de proposer des solutions par thématique, alors que nous devons aller vers l’intelligence collective.
Qu’attendez-vous de ce rapport ?
L’objectif était de proposer une boîte à outils aux décideurs en leur montrant qu’il existe un grand nombre de solutions. Des concertations sont nécessaires entre les décideurs et les différents acteurs pour développer des interventions efficaces et résilientes prenant en compte les enjeux locaux.
J’espère que ce travail va changer la manière dont la politique interagit avec la science et aussi avec les populations. Après toutes ces mauvaises nouvelles liées au changement climatique, à la biodiversité et à la santé, il est temps de tourner la page pour s’orienter vers des messages plus positifs. Il est temps que la science, les communautés et les politiques s’orientent vers les solutions éprouvées et efficaces.
*Dispositif financé par Eau de Paris et l’agence de l’eau Seine Normandie
Les solutions les plus cobénéfiques
Le rapport de l’IPBES donne quelques exemples d’options de réponse ayant un impact positif sur tous les éléments du Nexus :
- restauration des écosystèmes riches en carbone tels que les forêts, les sols, les mangroves ;
- préservation de la biodiversité pour réduire le risque de propagation des maladies des animaux aux humains ;
- gestion intégrée des paysages terrestres et marins ;
- solutions urbaines basées sur la nature ;
- régimes alimentaires sains et durables ;
- soutien des systèmes alimentaires indigènes.
Repères
1992
La Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement à Rio de Janeiro au Brésil, connue sous le nom Sommet de la Terre de Rio, a donné lieu aux trois conventions sur la diversité biologique, le changement climatique et la lutte contre la désertification
2015
L'Accord de Paris visant à poursuivre les efforts pour limiter l'augmentation de la température à 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels et à la maintenir en dessous de 2 °C a été adopté lors de la conférence des Nations unies sur les changements climatiques à Paris (COP 21)
2024
L’IPBES publie deux rapports : Nexus et un autre sur les « changements transformateurs » à opérer pour mettre fin à l'effondrement de la biodiversité
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