"Nous nous mettons une balle dans le pied en ne prenant pas soin de l'hôpital", témoigne une infirmière parisienne qui battait le pavé le mardi 8 novembre avec d'autres infirmiers, aides-soignants et personnels hospitaliers en colère. Les revendications des manifestants démontrent un malaise général, avec des particularités dans chaque établissement.
Chaque nuit, une quarantaine de postes vacants
Jacky Maillet, qui travaille à l'hôpital Charles-Foix (CGT) explique la situation de son établissement. «Il s'agit d'un hôpital de gériatrie adossé à un grand centre de recherche sur le vieillissement Pierre-et-Marie Curie. Nous avons subi une restructuration avec une perte de 400 lits en 2010. Depuis lors, chaque année, la direction supprime en moyenne une trentaine d'emplois. Cependant, elle réévalue les besoins médicaux en augmentant les emplois des médecins. Du coup, nous avons plus de prescripteurs que d'exécutants. D'où une difficulté dans l'exécution des soins au quotidien. Les départs naturels et mutations ne sont pas remplacés sinon par des CDD.» Le syndicaliste, mais également secrétaire du CHSCT, mesure la souffrance au travail. Chaque nuit, une quarantaine de postes sont vacants. En moyenne sont dénombrés une vingtaine de salariés absents pour raison de santé et usure. Et d'enfoncer le clou : « Nous sommes tellement en situation de pénurie que le personnel qui s'est déclaré gréviste a été assigné et n'a pas la possibilté de venir manifester... »
Un salaire de 1 700 euros net après dix ans de carrière
Principale préoccupation des personnels hospitaliers, ils ne se sentent pas reconnus, comme l'illustre Sandy, infirmière à l'hôpital Villejuif qui perçoit 1 700 euros nets après dix ans de carrière. « Les infirmières gagnent très mal leur vie. Et nous avons très peu de congés, malgré ce que les Français pensent. Nous travaillons 39 heures par semaine. Mais nous ne parvenons pas à prendre nos RTT pour nous reposer. On nous demande de faire des entrées et sorties des patients au maximum. Nous sommes plus présents dans les hôpitaux, puisque nos RTT ont été réduites. Maintenant les horaires, c'est n'importe quoi, on nous demande de faire les trois huit, matin, midi et soir, les week-ends et jours fériés. »
L'encadrement est nul
A la question de savoir si son encadrement la soutient, la réponse est négative : « Les cadres de services ne sont pas à l'écoute de leurs personnels. Il ne nous interdit pas de faire grève, mais il fait en sorte de taire le problème », explique-t-elle. Ce que partage une autre infirmière, Sylvaine, exerçant à l'hôpital Trousseau et en fin de carrière. Cette dernière a connu les grandes manifs de 1989 pendant lesquelles les infirmières avaient fait massivement grève. Elles avaient été soutenues par leur hiérarchie qui les avait remplacées au pied levé. Aujourd'hui, cela n'est plus le cas. « Notre encadrement est nul! Cela a commencé à se dégrader il y a une vingtaine d'années. Maintenant notre chef est enfermé dans son bureau. »
La réforme des GHT va fermer des structures hospitalières
A l'instar des nombreux slogans contre Marisol Touraine, la ministre de la Santé, la colère des personnels hospitaliers se dirige également contre les décideurs politiques. Les personnels souhaiteraient aussi que les patients les soutiennent plus. « L'hôpital public est malade. Il faut que les gens en prennent conscience », indique Christine, la cinquantaine, qui travaille dans un hôpital du 92 en tant qu'infirmière. Elle pointe des décisions politiques inadéquates au bien-être des patients, la fermeture des lits, la dérive vers toujours plus d'ambulatoire, la réforme des GHT, le personnel en grande souffrance. Et souligne aussi le hiatus entre des médecins formés par l'argent public et la gestion d'un hôpital comme une entreprise : « Paradoxalement, la médecine soigne de mieux en mieux. Mais on ne nous donne plus les moyens de travailler bien ! », argue-t-elle.
Manque de moyens
Le manque de moyens dans les établissements influe directement sur l'organisation des services, et sur leur désorganisation, selon un auxiliaire de puériculture exerçant dans un service de pédiatrie générale à l'hôpital Robert-Debré (AP-HP). « Le lien entre la baisse de l'Ondam et le budget de l'hôpital est immédiat. La réorganisation se fait pour faire toujours plus de soins avec toujours moins de moyens », assène-t-il. Et d'enfoncer le clou : « Alors que nous avons un public d'enfants, le relationnel n'a aucune valeur pour la tarification à l'activité. On n'a pas d'autre choix que d'appliquer le lean management qui consiste à produire des actes techniques. » Illustration avec les biberons difficiles à donner à des bébés qui ont des malformations et qui prennent du temps. La durée maximale imposée est de cinq minutes. Résultat, ces enfants sont nourris en nutrition parentérale.
Peur de mal faire
Ce qui frappe surtout à entendre ces soignants est leur peur de mal faire. En témoigne Sylvaine qui travaille dans un service d'orthopédie de l'hôpital Trousseau. Elle est appelée parfois à remplacer une consoeur dans un autre service : « Cela m'est arrivé une nuit d'être envoyée au service de néphrologie, seule et sans aide-soignante. J'étais terrorisée à l'idée de faire mal. Je ne faisais que regarder la pendule en attendant la fin de mon service. »
A l'école d'infirmières, on n'enseigne que la théorie
Le problème de la formation est souligné par Inès, 37 ans, formatrice en psy, pour laquelle ses étudiants n'ont pas conscience de la situation qui devient « catastrophique ». Selon Sylvaine, l'encadrement des jeunes infirmières en formation n'est pas efficace. La direction attend que l'hôpital leur apprenne tout sur le terrain :« Quand on est référente d'une étudiante infirmière, c'est la double peine. Il faut consacrer deux fois plus de temps aux soins. Les ateliers pratiques d'antan qui avaient lieu à l'école ont disparu. » Malgré ses 50 jours de RTT figurant dans son compte épargne temps, Sylvaine continue de regarder l'horloge et cela jusqu'à la fin de l'année 2017. Elle prendra sa retraite en janvier 2018. Un soulagement ?
* Plus d'un millier de manifestants dans des villes de Province (Strasbourg, Rennes...). Il s'agit d'un rassemblement unitaire inédit depuis près de trente ans. Les fédérations syndicales FO, CGT, Sud et CFTC de la fonction publique hospitalière ainsi qu'une vingtaine d'organisations infirmières salariées, libérales ou étudiantes se sont mobilisées pour dénoncer leur ras-le-bol concernant leurs conditions de travail. Selon le ministère de la Santé, le taux de mobilisation des personnels hospitaliers était de 8 % (dont les personnnels assignés) et de 12 % chez les infirmières.
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