Consacré à « l’argent et la santé », le cinquième forum européen de bioéthique*, qui vient de se tenir à Strasbourg, a alterné dans un joyeux mélange sujets polémiques et présentations didactiques.
Le Pr Axel Kahn, généticien et essayiste de renom, a souligné les enjeux financiers colossaux de ce
« marché mondial » de la santé en pleine expansion, estimé à 6 200 milliards de dollars par an, comparable à celui de l’énergie. Un marché toutefois très mal réparti entre les pays avec des écarts de dépenses de santé par habitant qui varient de 1 à 600...
Cette manne financière conduit à bien des dérives. Volontiers poil à gratter cette année, le forum s’est employé à explorer la face obscure des relations entre argent et santé, évoquant les « scandales » sanitaires (pollution chimique, perturbateurs endocriniens...), les médicaments « qui tuent », les médecins parfois « corrompus », les liens d’intérêt et la toute-puissance de Big Pharma.
Des questions de fond ont également été posées. Au-delà de la pertinence des actes et de la qualité des soins, l’accès de tous les malades aux traitements (notamment les plus innovants et onéreux) devient une question cruciale dans un contexte économique contraint, y compris en France. Pour l’ex-député UMP Yves Bur, il faut « rationaliser [les dépenses] pour éviter de rationner [les soins] ». Et ne pas se bercer d’illusions : le déficit, explique-t-il, ne disparaîtra que lorsque le pays aura retrouvé croissance et compétitivité.
Le paiement à l’acte inflationniste ?
De nombreux experts ont souligné l’émergence d’une médecine à plusieurs vitesses mais aussi les contradictions au cœur de notre système de santé. « Qu’ils soient libéraux ou hospitaliers, les médecins sont poussés à produire des actes, pendant qu’on demande aux patients de moins consommer : comment sortir de ces paradoxes ? » s’est interrogé le Pr Israël Nisand, chef du pôle de gynécologie obstétrique aux CHU de Strasbourg.
L’impact des modes de rémunération des praticiens sur les dépenses a été analysé. Hépatologue à l’hôpital Bichat (Paris), le Dr Anne Gervais se dit convaincue des effets inflationnistes du paiement à l’acte. Le Dr Jean-Jacques Zambrowski, exerçant dans le même établissement, cible de son côté les « surconsommations » liées au tiers payant, que le gouvernement veut généraliser en ville.
Le consensus émerge sur un point : le système de santé français, y compris dans son financement, reste beaucoup trop centré sur le curatif et ne valorise pas assez la prévention. « Il est ridicule d’attendre que les gens soient malades pour intervenir », résume le Dr Zambrowski, alors que la loi de santé de Marisol Touraine promet justement un coup d’accélérateur en matière de prévention et de promotion de la santé.
*Ce forum, imaginé en 2010 par les Prs Jean-Louis Mandel et Israël Nisand, a attiré près de 50 000 personnes depuis sa création. Il a pour objectif de donner au public des clés pour comprendre les enjeux éthiques de la médecine et de la santé, en invitant des scientifiques, dont beaucoup de médecins, mais aussi des juristes ou des philosophes.
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