LE QUOTIDIEN - Pourquoi ce livre à la veille de la révision de la loi bioéthique** ?
Pr PIERRE JOUANNET - Au départ, il s’agissait d’un dossier pour la revue de la Société d’andrologie de langue française (SALF). Nous avons lancé un appel à contributions pour avoir différents points de vue sur la question de la levée de l’anonymat : des témoignages d’enfants, de parents, de donneurs, de médecins, de psychologues, de sociologues, de juristes, etc. Il me semblait important de ne pas réduire ce débat à une seule expression médiatique, qui, même si elle est valable, reste celle de quelques personnes qui manifestent un mal-être par rapport à leur existence d’enfants conçus par don de sperme. En tant que médecin, ce n’est pas à moi de décider si le don doit être anonyme ou non, car les enjeux de cette question ne sont pas seulement médicaux mais également sociaux, familiaux, éthiques, juridiques. Si la société décide, autant qu’elle le fasse en connaissance de cause et pas sous le coup de mouvements plus ou moins émotionnels et partiels. Ce livre ne traduit pas une prise de position mais il délivre sans doute un message : lever l’anonymat du don de sperme ne sera pas sans conséquences.
À quelles conséquences pensez-vous ?
Je pense aux conséquences pour ceux qui ont recours au don, pour les donneurs, pour les enfants, pour la société. Il y a quand même des choses que l’on peut savoir. Par exemple, dans une des enquêtes que nous présentons, on constate que 1/4 des couples prétendent qu’ils renonceraient à un tel projet parental si la loi devait changer. Cela voudrait dire que depuis 1974, 12 000 enfants ne seraient pas nés. Le problème principal de la levée de l’anonymat n’est donc pas nécessairement la baisse des donneurs.
Dans ce livre, nous voulons apporter des éléments pour mieux comprendre ce qui se fait en France et ailleurs. De manière générale, on estime que la France doit changer, à l’image d’autres pays. Mais qui peut dire réellement quelle est la bonne législation ? Il n’y a jamais aucune évaluation. Les Suédois ont changé leur loi depuis 25 ans. Ils ont permis la levée de l’anonymat, à la majorité des enfants. Certains disent que le fait de connaître l’identité du donneur est un besoin pour construire son identité. C’est peut-être vrai. Mais je suis impressionné de ce qui se passe en Suède : pour le moment, aucun enfant n’a apparemment recherché son donneur. Il y a eu toutefois deux conséquences à cette levée de l’anonymat. La première c’est que beaucoup moins de couples ont recours au don de sperme. En revanche, de nombreuses Suédoises se sont rendues en Finlande ou au Danemark pour en bénéficier, de manière anonyme. La deuxième conséquence, c’est que ceux qui sont restés dans le système suédois et qui sont devenus parents, ne révèlent que rarement le mode de conception à leur enfant. Le système suédois, construit sur une transparence absolue, a conduit à de l’opacité et du secret.
LEVER L’ANONYMAT NE SERAIT PAS SANS CONSÉQUENCES
Souvent, on entend parler de l’origine. Mais ce qui me semble essentiel, c’est l’information de l’enfant, non pas sur l’identité du donneur mais sur son histoire, sur d’où il vient, par qui il a été désiré... En France, il y a beaucoup plus de couples qui sont prêts à raconter cette histoire à leur enfant qu’avant. Et ils nous disent aussi qu’ils peuvent d’autant mieux la raconter que le don de sperme est anonyme.
Plusieurs témoignages montrent, dans le livre, que les enfants qui ont appris l’histoire de leur conception dans de mauvaises conditions sont d’autant plus à la recherche de leur donneur...
En tant que médecin de CECOS, j’ai rencontré un certain nombre d’enfants et d’adultes qui souhaitaient accéder à l’identité du donneur. Ce sont autant d’enfants que d’histoires différentes, mais ce qui m’a frappé, c’est le nombre d’entre eux qui ont appris leur mode de conception tardivement, dans des conditions particulières, dramatiques parfois. En plus de l’événement conflictuel à l’origine de la révélation, s’est ajouté un traumatisme. Je garde en mémoire le récit d’un jeune adolescent en conflit avec son père pour un choix d’orientation d’études. Alors qu’il se plaint à sa mère de l’incompréhension du père, celle-ci lui répond que justement, son père n’est pas le sien. Est-ce que la solution de son problème, qui est de nature relationnelle avec son père, est de connaître l’identité du donneur ? Peut-être. Mais je pense que la question de l’anonymat est secondaire : ce sont les parents qui sont au cur du problème.
On voit que recourir à un don de sperme n’est pas quelque chose d’anodin. Un entretien psychologique est d’ailleurs obligatoire lors de toute démarche d’assistance médicale à procréation (AMP). N’y a-t-il toutefois pas un manque de suivi ?
Quand Georges David a institué, avec d’autres médecins, cet entretien psychologique, il a eu raison. Mais je peux vous dire que tous les couples ne le vivaient pas bien. Ils le considéraient plutôt comme une intrusion dans leur vie personnelle, un examen de passage. Cet entretien pouvait se renouveler, à la demande des couples. Rétrospectivement, je crois que l’on a eu tort de laisser les couples trop livrés à eux-mêmes. C’était une volonté de discrétion : on ne voulait pas médicaliser ces couples. Je me dis aujourd’hui que nous avons été défaillants, dans la mesure où aucun accompagnement n’a été proposé ni mis en place.
Est-ce qu’un tel accompagnement existe aujourd’hui?
Je ne suis pas dans tous les CECOS mais les échanges que j’ai avec les médecins montrent que l’on est beaucoup plus attentif aujourd’hui à cette dimension et que l’on conseille beaucoup plus aux couples de nous recontacter. Toutefois, pour faire cet accompagnement, il faut des gens. Quand le premier CECOS a été créé, il s’agissait d’une association type loi 1901. À partir de 1993, le ministère de la Santé a souhaité intégrer ces structures au système hospitalier, ce qui était une bonne chose. Au CECOS de Cochin, depuis 1994, la direction de l’hôpital m’a toujours refusé du temps de psychologue. C’est anecdotique, mais cela fait partie de l’évaluation. Si on confie ce type d’activité aux hôpitaux publics – en France, le choix a été fait de placer les activités de don en dehors du secteur lucratif de la médecine –, il faut s’en donner les moyens. Or, on le voit très bien aujourd’hui pour le don d’ovule, faute d’organisation dans les hôpitaux, la majorité des femmes vont à l’étranger. Mais c’est un autre sujet !
* « Donner et après... », P. Jouannet, R. Mieusset, Coll. « L’homme dans tous ses états », Ed Springer (springer.com), 2010, 302 p, 21 euros.
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