L’IMAGE du médecin légiste autopsieur est souvent véhiculée par les médias et la littérature policière. Les séries télévisées qui le mettent en scène, connaissent aussi un franc succès. « Cette représentation donne une place centrale à l’autopsie médico-légale, bien que l’activité thanatologique ne représente que 5 % de l’activité médico-judiciaire », soulignent aujourd’hui Christian Hervé et Patrick Chariot dans le numéro thématique du « BEH » (n°40-41 du 26 octobre 2010). L’importance historique et symbolique de l’autopsie n’y est pas remise en cause mais la réflexion des auteurs s’inscrit dans le sillage des multiples tentatives qui, depuis 30 ans, ont vainement tenté d’harmoniser le fonctionnement de la médecine légale, pour montrer que ses champs d’intervention se sont étendus. Ainsi, sur les 400 000 actes médico-judiciaires recensés en 2004, les unités de médecine légale n’ont réalisé que 8 000 autopsies et 12 000 levées du corps (examens externes de personnes décédées pratiqués sur le lieu de découverte du corps).
* Normes et éthique
Discipline médicale classiquement située à l’interface entre la médecine et la justice, la médecine légale intervient désormais dans des domaines aussi variés que l’épidémiologie et la prise en charge des situations de violence, la prise en charge des conduites addictives et même, affirment les auteurs, dans l’explicitation des normes dans l’activité médicale et la réflexion éthique sur les pratiques. « La déontologie médicale évolue avec la législation depuis un demi-siècle : contraception, interruption volontaire de grossesse, recherche biomédicale, droits des patients, biotéhique et santé publique. Ces lois utilisent des concepts juridiques que les médecins légistes doivent expliciter en termes de pratiques de soins et de recherche », font-ils observer. Ainsi peuvent-ils accompagner les investigateurs et promoteurs de recherches biomédicales lors de la soumission des projets aux comités de protection des personnes mais aussi aider à la compréhension des informations à donner aux patients en vue d’obtenir un consentement vraiment éclairé.
Les conflits d’intérêt, un thème d’actualité objet de polémiques, constituent une des sources d’intervention possible. Ils sont « patents en médecine mais insuffisamment perçus par les praticiens dans la recherche et dans les soins, soulignent les deux auteurs. La médecine légale, sensibilisée à la séparation entre les activités d’expertise et celles du soin, peut contribuer à la prise de conscience par les professionnels des situations qui les exposent aux conflits d’intérêt. »
La médecine légale participe aussi à la réflexion éthique sur les pratiques médicales. Quelques exemples en témoignent : les procréations médicalement assistées ont entraîné une remise en question des bases juridiques de la filiation et de la paternité de même que de la notion de couple ; la mise en évidence de la fréquence (50 %) des décès en réanimation du fait d’arrêts ou de limitations de soins a été à l’origine du concept d’obstination déraisonnable développé par la loi Leonetti du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.
* Violences sexuelles
Le rôle du médecin légiste est aussi d’alerter, sur la place importante des violences dans le couple dans l’ensemble des violences sexuelles. Au moins 50 000 viols seraient commis chaque année en France, dont 10 000 suivis d’une plainte. L’ensemble des violences sexuelles concernerait 800 000 personnes chaque année, les femmes 3 fois plus souvent que les hommes. L’étude réalisée à partir des comptes-rendus d’examens des personnes ayant consulté dans l’unité médico-judiciaire de Bondy (Seine-Saint-Denis) en 2009 a permis d’évaluer le profil des victimes, celui des agresseurs et de caractériser les situations de violence. Elle a concerné 572 personnes (enfants et adultes), dont 89 % de femmes. L’agresseur était inconnu dans 29 % des cas ; dans 31 % des agressions chez l’adulte, il s’agissait du conjoint.
L’observation la plus notable soulignée par les auteurs est que la grande majorité des victimes (60 %) ne présentent aucune lésion traumatique au moment de l’examen. Cette absence de violences physiques autres que les violences sexuelles « comporte des enjeux importants, potentiellement lourds de conséquences pour la victime, en termes de culpabilité », soulignent Patrick Chariot et col.. Car c’est une source de doute sur la réalité des violences de la part des enquêteurs mais aussi de l’entourage familial. Parmi les victimes qui ont été revues à un mois, 80 % présentaient un état de stress post-traumatique et un tiers rapportait une modification importante de leurs pratiques addictives (tabac, cannabis, alcool).
* Santé des étrangers.
La santé des personnes privées de liberté est une des attributions de la médecine légale. Une étude réalisée au centre de rétention de Bobigny chez 1 733 personnes indique la fréquence de symptômes multiples, tels que l’anxiété et les troubles du sommeil. Lors de la visite médicale systématique à l’entrée, 14 d’entre eux ont déclaré au médecin entamer une grève de la fin et 84 autres ont dû être transférées, à la demande du médecin, vers une structure hospitalière d’urgences psychiatriques ou médico-chirurgicales. À noter que 18 demandes du médecin du centre ont été adressées au médecin inspecteur de santé publique ; toutes ont conduit au maintien sur le territoire pour raisons médicales.
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