Le projet de loi bioéthique à partir d’aujourd’hui devant le parlement

Nora Berra : préserver la dignité de la personne humaine

Publié le 08/02/2011
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Crédit photo : S. toubon/« le quotidien »

Un entretien avec la secrétaire d’État à la Santé

LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN : Les discussions parlementaires sur le projet de révision de la loi bioéthique commencent aujourd’hui. Votre rôle est-il de défendre le projet gouvernemental ?

NORA BERRA - La discussion de ce projet de loi donne l’occasion d’un vrai débat de société. Ce débat repose toutefois sur un principe de base : celui de préserver et de protéger chaque Français, et en particulier les plus vulnérables, contre des pratiques qui bafoueraient l’intégrité du corps humain. Nous devons préserver la dignité de la personne humaine et refuser toute volonté de marchandisation. Le projet de loi, qui a été déposé en octobre dernier, a fait l’objet d’un travail préparatoire très dense et d’échanges nourris, notamment au sein de la commission parlementaire, qui ont conduit à certaines modifications.

Les parlementaires ont notamment supprimé la mesure phare du projet : la levée de l’anonymat du don de gamètes. Votre position a-t-elle évolué également ?

Le projet de loi gouvernemental prévoyait la possibilité de lever l’anonymat si l’enfant en émettait la demande et, bien sûr, sous condition de l’acceptation du donneur. L’attitude assez consensuelle de l’ensemble des parlementaires était de rejeter la levée l’anonymat. Personnellement, je considérais que le texte proposé était équilibré, car, en tout état de cause, on conservait l’anonymat du donneur si c’était sa volonté. Mais le gouvernement avait indiqué qu’il serait ouvert au débat et aux propositions des parlementaires sur ce sujet et s’est donc engagé à ne pas aller à l’encontre de la position exprimée par la commission.

La recherche sur les cellules souches embryonnaires et sur l’embryon reste interdite. Les chercheurs français regrettent ce cadre trop restreint

L’objectif de recherche est tout à fait noble. Mais il faut toujours mettre en balance la raison pour laquelle la recherche est initiée avec le respect des principes éthiques : c’est bien le sujet de la bioéthique. On peut toujours débattre sur ce qu’est l’embryon mais il reste le point de départ du vivant. C’est en ce sens qu’il faut être attentif à ce qui va être autorisé. Notre objectif ultime est de faire que la recherche puisse se mettre en place en France. À nous de mettre des garde-fous sur le plan éthique pour éviter des dérives. Par conséquent, le dispositif actuel pourrait être maintenu, c’est-à-dire une interdiction avec des dérogations. Les projets de recherche, qui sont évalués par l’Agence de la biomédecine, conduisent à une sélection des projets pertinents sur le plan scientifique et respectueux sur le plan de l’éthique. L’élan des chercheurs dans ce domaine ne devrait pas être pénalisé. Nous sommes favorables à la recherche, dans un cadre juridique respectueux de l’embryon.

Le régime d’une autorisation encadrée n’aurait-il pas été plus clair ?

Ce serait ouvrir une autre porte. Nous ne pouvons pas nous permettre d’autoriser d’emblée. Il vaut mieux rester dans le cadre des dispositions dérogatoires actuelles. La recherche va d’ailleurs être pérennisée par la loi : il n’y aura plus d’échéance au bout de cinq ans. Cette avancée va dans le sens des chercheurs. Par ailleurs, la formulation des critères de dérogation, que nous avons changée, nous paraît plus pertinente (sont autorisées les recherches « susceptibles de permettre des progrès médicaux majeurs » et non plus des « progrès thérapeutiques majeurs », NDLR). Nous avons besoin de mieux comprendre certaines maladies afin de mieux diagnostiquer et de mieux prévenir. L’aspect thérapeutique vient ensuite. C’est une manière d’appréhender la recherche de façon plus globale et qui répond mieux aux attentes des chercheurs.

Le Pr René Frydman estime qu’il faut aller plus loin que l’autorisation de la seule technique de la vitrification en distinguant la recherche sur l’embryon de celle sur la recherche sur les cellules souches embryonnaires

La vitrification sera prise en compte, car c’est une technique communément utilisée dans d’autres pays européens et qu’elle n’est plus au stade expérimental. Elle fera partie de la liste des procédés utilisables pour l’assistance médicale à la procréation.

L’ÉLAN DES CHERCHEURS NE DEVRAIT PAS ÊTRE PÉNALISÉ

Approuvez-vous le transfert d’embryon post-mortem ?

Le gouvernement y est opposé et entend revenir sur cette disposition. J’ai vraiment du mal à admettre, avec ce dispositif, que l’on puisse préparer la naissance d’enfants orphelins. C’est un fardeau que cet enfant aura à vivre tout au long de sa vie et on peut imaginer le déséquilibre psychologique et émotionnel dans lequel on le place de façon volontaire. Par ailleurs, et contrairement à la commission parlementaire, je pense que nous devrions proposer de revenir à la condition des deux ans de vie commune pour autoriser les couples à recourir à l’assistance médicale à la procréation. Cette durée de vie commune me paraît être un préalable. En revanche, l’ouverture du don d’ovocytes aux femmes nullipares me paraît être intéressante. Cette mesure permet à la fois de pallier la pénurie d’ovocytes mais aussi de lutter contre la marchandisation des corps et le trop grand nombre d’embryons surnuméraires. Nous ne voulons pas que ces femmes – qui, je le souhaite, pourront avoir droit à une insémination avec leurs propres ovocytes au cas où elles rencontreraient dans l’avenir un problème d’infertilité –, aillent vendre leurs ovocytes en Espagne.

Il n’y a finalement que peu de changements dans cette révision

Il s’agit plutôt d’adaptations aux évolutions de notre société. Si ce projet de loi est bien élaboré, c’est parce qu’il a fait l’objet d’une très grande concertation. C’est le fruit de travaux préalables particulièrement approfondis, et je pense en particulier aux états généraux de la bioéthique conduits sous l’égide de Jean Leonetti. Et je crois, avec Xavier Bertrand, que c’est un bon moyen de faire avancer les questions de société.

PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANIE HASENDAHL

Source : Le Quotidien du Médecin: 8902