La santé en librairie
Retour sur Canguilhem
L’HISTOIRE de la médecine donne sans cesse à penser, puisque le médecin utilise – à son esprit défendant, serions-nous tentés de dire – la notion de santé donc de norme. Le XVIIIe siècle avait tenté, avec l’essor de la statistique et les travaux de Quetelet, de réduire la norme à la fréquence statistique (au point qu’un disciple de Quetelet œuvrant dans une gare internationale avait tenté de déterminer l’« urine européenne moyenne »).
Par la suite, Claude Bernard, après ses « Leçons sur le diabète », faisait évanouir quelque peu le problème en affirmant l’homogénéité et la continuité du normal et du pathologique : ce dernier n’étant qu’un excès ou une insuffisance (hyper ou hypo) par rapport à une horizontale, il n’y aurait donc entre la santé et la maladie qu’une différence de degré, non de nature.
Normatif.
C’est d’abord à cette conception que s’oppose Georges Canguilhem dans sa thèse « le Normal et le Pathologique » (Puf, 1975). Il rappelle que le dernier de ces deux termes signifie souffrance et impuissance, sentiment de vie contrariée. C’est à la vie qu’il faut s’intéresser, dit Canguilhem, pour distinguer ces deux termes. En effet, le vivant n’est pas indifférent à ce qui l’exalte ou l’amoindrit, il favorise certaines normes et se maintient en s’individualisant. « La vie, dit-il, n’est pas seulement soumission au milieu mais institution de son milieu propre », elle est « polarité et par là-même position inconsciente de valeur . »
Il en résulte plusieurs conséquences importantes. L’individu n’est jamais normal, il est normatif, c’est-à-dire qu’il institue ses propres normes, celles qui favorisent son harmonie avec le monde. De fait, une norme n’existe pas, surtout si on la garde dans le champ de la statistique : le yogi qui peut retenir très longtemps sa respiration, l’athlète qui bat un record de saut en hauteur ne sont pas « anormaux », ils créent, instituent une nouvelle norme.
Il s’ensuit qu’être malade, c’est voir ses possibilités restreintes dans un cas précis : telle bonne d’enfant forcée de suivre ses patrons dans un pays andin découvre à cette occasion son insuffisante respiratoire. Il s’ensuit également que des pathologies répertoriées par la médecine (une petite tumeur ou une forme modérée de cirrhose du foie) relèvent plus pour Canguilhem de la physiologie, puisqu’il n’y a pas « vie empêchée », ou, pour verser dans le philosophique, souffrance existentielle.
Peut-on en rester à cette vision qui implique un total relativisme peu compatible avec l’objectivisme d’une classification médicale, se demande Élodie Giroux. Les développements de la génétique, de la bactériologie ou de l’immunologie ne seraient-elles que des « sciences appliquées à l’art de la vie » ?
Idéologie.
Enfin, l’auteur pointe chez Canguilhem un implicite darwinisme, comme si la santé individuelle réalisait le plan d’un retour à des conditions d’équilibre (homéostasie) ou d’une meilleure adaptation de l’espèce en général. On est là passés dans le camp de l’idéologie au sens le plus péjoratif.
Réétudiant ces thèses à la lumière d’auteurs anglo-saxons, en particulier Christopher Boorse et Lennart Nordenfelt, l’auteur souligne l’utilité d’une distinction entre un pathologique « susceptible » de compromettre la santé, déficience, blessure, malformation (disease), et la réalité même, l’actualisation de la maladie elle-même (illness).
Voici donc des analyses passionnantes que, dans ces colonnes, on ne saurait trouver déplacées, tant elles concernent aussi bien le particulier des organes et des fonctions douloureux que la totalité de l’homme souffrant.
Élodie Giroux, « Après Canguilhem - définir la santé et la maladie », Puf/Philosophies, 148 p., 12 euros.
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