« LA GUERRE ÉCONOMIQUE du médicament est déclarée, affirme carrément le président du SICOS (Syndicat de l’industrie chimique organique de synthèse) David Simonnet. L’un des objectifs poursuivis par les pays émergents est de contrôler les ressources rares indispensables à l’indépendance d’une nation. Ces ressources rares ne sont plus uniquement les matières premières, mais également les capitaux, les hommes, ainsi que les produits industriels stratégiques comme les médicaments. » Non, renchérissent plusieurs spécialistes interrogés par « le Quotidien », le terme de guerre n’est pas excessif. Une guerre livrée sur le terrain économique et dont l’enjeu est la santé publique.
« Au départ, il y a une quinzaine d’années, rappelle le Pr Jean-Paul Fournier, expert de la pharmacopée européenne, les pays émergents ont récupéré la fabrication des principes actifs à très faible valeur ajoutée jusqu’alors produits dans les pays d’Europe de l’Est. Ce fut la première brèche. »« Dans la foulée, note Vincent Touraille, directeur général de PCAS (un des leaders mondiaux de la chimie fine), à mesure que les brevets tombaient dans le domaine public, à coup de dumping, la Chine et l’Indre ont commencé à produire des PA à grande échelle et à investir le marché mondial sans être soumis aux contraintes réglementaires, environnementales et économiques des entreprises européennes. Rien ne semblait arrêter le rouleau compresseur asiatique. »
À l’Agence du médicament (ANSM), Jacques Morenas observe que l’industrie du médicament est prise dans une tenaille économique et sociale : « La rentabilité pour les actionnaires conduit à rechercher les fournisseurs les moins chers pour tous les composants du médicament et la diminution des coûts en matière de santé publique impose d’avoir les médicaments les moins chers possibles. » C’est le règne du moins disant. Anne Carpentier, directrice des affaires pharmaceutiques au LEEM, pointe du doigt « la pression des prix administrés qui a ouvert des boulevards à la délocalisation ». Ce que Marie-Christine Belleville confirme, en dénonçant « des appels qui fixent régulièrement des niveaux de prix inférieurs au coût de revient en Europe. »
Relocalisation, le mot d’ordre général.
C’est dans ce contexte où les enjeux de sécurité sanitaire le disputent aux intérêts économiques que la relocalisation est devenue le mot d’ordre général. « Le LEEM milite pour cette option au sein du Conseil stratégique des industries de santé », déclare Anne Carpentier. Il est rejoint par les experts interrogés par « le Quotidien ». « Nos entreprises qui ont arrêté de produire les principes actifs il y a cinq ou dix ans disposent du savoir faire et ont encore les machines, estime Vincent Touraille. L’Europe dispose du tissu économique pour se battre. »
Pour renverser la vapeur et sortir du ciseau de rentabilité qui a mené à la situation actuelle, Marie-Christine Belleville en appelle aux pouvoirs publics : « Il faut créer une cellule interministérielle pharmacie chimique, en associant la Direction générale de la santé au ministère du redressement productif. L’Union européenne doit s’engager à fond dans la bataille, avec une direction générale santé consommation déterminée sur les enjeux économiques du médicament. De même que nous avons une filière agricole commune, nous avons un besoin urgent d’une filière pharmaceutique européenne. »
Première étape du plan relocalisation réclamé de toutes parts, l’établissement d’une liste des médicaments essentiels, sur le modèle de celle de l’OMS, est inscrit au programme de l’Académie de pharmacie.
Un tampon « made in China » ?
En même temps, l’exigence de traçabilité devra finir par s’imposer, estiment industriels comme experts, malgré les réticences exprimées par les milieux officinaux : beaucoup redoutent de voir s’effondrer les ventes quand les boîtes de paracétamol et autres molécules porteront la mention « made in China », ou « made in India » pour la provenance des matières premières. « Mais comment tolérer plus longtemps qu’on s’abrite derrière le fait que la formulation est effectuée en France, en occultant la réalité de la déterritorialité ? », s’insurge David Simonnet.
Les protestations des consommateurs européens en matière de traçabilité et d’information sur l’origine des viandes donnent aujourd’hui une idée des réactions que suscitera dans l’opinion l’information sur la délocalisation des principes actifs. Dès lors, un label français ou, à tout le moins européen, est réclamé aussi bien par les industriels que les experts. « C’est la règle aux États-Unis, elle est en vigueur chez nous pour l’ameublement. Pourquoi les pouvoirs publics ne l’imposeraient-ils pas pour les principes actifs ? », demande Vincent Touraille. « Les États sont responsables sur leur territoire de la garantie de la santé publique », rappelle à ce sujet Caroline Larsen-Letarnec, de la Direction européenne de la qualité du médicament (DEQM).
En attendant que les pouvoirs publics ne lancent un plan d’ensemble pour la reconquête de l’indépendance du médicament, les industriels tentent de relever le défi sanitaire. Les big pharmas (« le Quotidien » du 14 mars) ont ainsi monté leurs propres usines en Asie.
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