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Menaces sur l’industrie des médicaments biologiques innovants

Publié le 20/03/2012
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Par Gérard Bapt*

LES MÉDICAMENTS BIOLOGIQUES sont des substances produites à partir d’une cellule ou d’un organisme vivant ou dérivés de ceux-ci. Ils voient leur part augmenter très rapidement et représentent une source majeure d’innovation thérapeutique. Leur coût de production, beaucoup plus élevé que ceux des médicaments chimiques, pose un problème de financement dans le contexte actuel. Ainsi est apparu le concept de médicament « biosimilaire » : il ne s’agit pas d’un principe actif strictement identique comme pour le médicament générique chimique. En effet, la complexité des molécules et la variabilité liée à la matière première ainsi qu’aux modes de fabrication ne permettent pas d’obtenir un principe actif identique.

Afin de répondre à cette situation, l’Union européenne s’est dotée dès 2005 d’un cadre réglementaire pour l’attribution de leur autorisation de mise sur le marché (AMM). Les autorités américaines n’ont réagi que 5 ans plus tard avec l’adoption d’une législation laxiste, assimilant le biosimilaire à un « biogénérique ».

Marche arrière.

Ceci simplifie considérablement la procédure d’AMM avec un dossier très allégé et la possibilité de substitution entre 2 produits possédant le même principe actif. Aujourd’hui l’Agence européenne du médicament fait marche arrière et cherche à assouplir sa réglementation pour converger vers le modèle américain ce qui serait une triple aberration : scientifique, de santé publique, et économique.

1. Aberration scientifique parce que la variabilité de production de la molécule ainsi que la complexité du produit fini font que les biosimilaires demeurent des produits « similaires » mais non « identiques » au produit de référence.

2. Aberration de santé publique : le premier problème porte sur la possibilité de substituer le princeps à son générique pour les bio-médicaments. On sait que des différences même minimes entre deux produits avec le même principe actif peuvent induire la production de nouveaux anticorps conduisant à des réactions allergiques graves ou à une inefficacité du produit. La recommandation de l’OMS, préconisant la prescription en dénomination commune internationale compliquera la pharmacovigilance de ces produits puisqu’on ne pourra plus distinguer le médicament de référence du biosimilaire. Lors de la notification d’événements indésirables, les confusions risquent d’être fréquentes, à moins d’exiger le nom commercial et le numéro de lot ce qui est très difficile en pratique quotidienne.

De plus, contrairement à certaines allégations, l’expérience en matière de sécurité des biosimilaires est faible car depuis 2007, seules 4 substances actives commercialisées par 3 firmes différentes sont autorisées en Europe. L’exemple des héparines de bas poids moléculaire pris par les autorités américaines est inapproprié puisque l’héparine n’est pas classée parmi les médicaments biologiques et parce que les « dits biosimilaires » ont été commercialisés dans des pays à système de pharmacovigilance peu performant. En 2002, des changements mineurs apportés aux procédés d’élaboration de l’érythropoïétine (EPO) ont eu de graves conséquences pour les patients. Certains pays de l’Union ont préconisé d’utiliser le plan de gestion de risques pour palier à l’insuffisance de ces dossiers allégés. Mais une autorisation de mise sur le marché dégradée peut-elle être compensée par un renforcement de la surveillance post-AMM, transformant les malades en sujets d’étude clinique ?

3. Aberration économique : le coût élevé de production rend la baisse de prix des biosimilaires beaucoup plus faible qu’avec les génériques. L’économie réalisée sera très inférieure au coût généré pour l’Assurance-maladie de l’inévitable iatrogénèse liée à l’utilisation mal contrôlée des biosimilaires.

Coup à la santé.

L’industrie pharmaceutique européenne étant beaucoup plus avancée que l’industrie américaine sur les produits biologiques, la réponse législative américaine vise probablement à casser la dynamique économique européenne en cassant les prix au mépris des considérations de santé publique et d’innovation. Il est urgent que la France fasse entendre sa voix au niveau européen afin que demeure le statut actuel d’évaluation des biosimilaires. Un glissement vers la législation américaine serait un coup porté à la santé de nos concitoyens et ne serait aucunement justifié sur le plan économique. Nuisible pour la santé publique, handicapante pour le secteur industriel des biotechnologies et négative pour un créneau d’innovations stratégiques.

* Député (PS) de Haute-Garonne, président de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le Mediator et la pharmacovigilance


Source : Le Quotidien du Médecin: 9101