« Nous voulons montrer que le suicide, sujet tabou dans la société, existe chez les professionnels de santé et en particulier chez les médecins. Le sondage le démontre ». Le Dr Éric Henry, président de l'association Soins aux professionnels de santé (SPS) et ancien patron du Syndicat des médecins libéraux (SML), est formel. Les résultats de la nouvelle enquête annuelle SPS* marqueront cette fois les esprits.
Consacrée pour la première fois au suicide (et non pas seulement à la souffrance psychologique ou la vulnérabilité des soignants), cette étude avait pour objectif de « quantifier le nombre de suicides et de comportements suicidaires, ainsi que l'impact du suicide sur l'entourage du professionnel de santé ».
Plutôt des hommes, libéraux exclusifs et ruraux
Parmi les 710 professionnels ayant répondu à l'enquête, 472 sont des médecins – dont 47 % libéraux exclusifs, 36 % hospitaliers et 17 % à exercice mixte. Le résultat est spectaculaire : un praticien sur quatre affirme avoir déjà eu lui-même « des idées suicidaires dont l'origine était toute ou en partie d'ordre professionnel ».
Même si ce chiffre ne recoupe évidemment pas un projet de suicide, et encore moins un passage à l'acte, le taux est suffisamment élevé pour alerter une nouvelle fois sur l'exposition particulière du corps médical au suicide, déjà pointée par quelques rares études (lire ci-dessous).
Quel est le « profil » de ce quart de praticiens ayant eu des pensées suicidaires ? Ils sont plus souvent des hommes (27 %), dans la tranche d'âge 20-45 ans (27 %), libéraux exclusifs (28 %) plutôt qu'hospitaliers (20 %) et surtout exerçant en zone rurale (39 %). « La surcharge de travail peut expliquer en partie les idées suicidaires », avance le Dr Éric Henry, président de l'association SPS.
Repli sur soi
Confrontées à des idées suicidaires, seuls 44 % des médecins reconnaissent en avoir parlé à quelqu'un, ce qui signifie que la majorité garde le silence. Quand il décide de communiquer, le praticien en détresse se tourne en priorité vers un membre de sa famille (52 %), un psychiatre en consultation (38 %), un confrère (35 %), un ami (31 %) ou un psychologue (15 %). « Notre rôle est d'identifier cette majorité de médecins qui ont eu des idées suicidaires sans en parler pour les orienter vers une prise en charge adéquate », souligne le Dr Henry.
Autre enseignement majeur : près d'un médecin sur deux (46 %) connaît autour de lui des confrères qui ont déjà fait une tentative de suicide, autre confirmation que le sujet est très présent. Chaque professionnel (médecin, pharmacien, infirmière) rapporte en moyenne 2,5 tentatives dans son entourage (et même 2,85 pour les médecins). Et « près d'une tentative sur deux a abouti au décès », souligne, catastrophé, le Dr Henry. Plus inquiétant encore, 29 % des médecins (36 % des infirmières) déclarent connaître « aujourd'hui » des confrères « à risque suicidaire » dans leur entourage (environ deux en moyenne…).
Ces chiffres sont d'autant plus préoccupants que, pour tout professionnel de santé, le suicide d'un confrère a un impact sur son propre exercice. Cela altère la confiance du médecin en lui-même (dans 56 % des cas) et son implication dans le travail (67 %), l'organisation du travail (72 %) et même la qualité des soins (53 %). « Il faut affiner encore pour connaître le degré de cet impact », admet le Dr Henry.
Sentinelle
Comment venir en aide à un confrère en détresse, à risque suicidaire ? Les médecins sondés ont classé leurs conseils : la consultation auprès d'un psychiatre est plébiscitée (72 %), devant le recours à une plateforme d'écoute téléphonique dédiée (47 %), la consultation d'un psychologue (43 %), du médecin traitant (46 %) et l'orientation vers un généraliste formé à la prise en charge des soignants (25 %).
Le Dr Henry veut croire qu'il y a désormais une meilleure connaissance des dispositifs d'aide aux praticiens en souffrance. « Il y a quelques années encore, aucun médecin n'aurait cité la plateforme d'écoute ou encore moins le psychologue », assure-t-il. Néanmoins, ce premier conseil reste difficile à mettre en place « en raison notamment du délai long de prise en charge en psychiatrie ». Le généraliste d'Auray souhaiterait que chaque médecin puisse jouer un rôle d'alerte auprès de ses confrères vulnérables et devienne alors « une super sentinelle ». « La compassion ne suffit pas, il faut soit le prendre en charge jusqu'au bout, soit prendre le temps pour l'orienter vers une plateforme dédiée ou un autre médecin », insiste le Dr Henry.
Pour l'association SPS, cette enquête doit permettre de réveiller les consciences. Il y a quelques jours, le Dr Patrick Bouet, président de l'Ordre des médecins, a signé une convention d'entraide avec la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF) et le centre national de gestion (CNG, qui gère les carrières hospitalières) : les partenaires ont promis de leur côté un numéro d'appel unique dès 2018 pour tous les carabins et praticiens en souffrance.
* Enquête menée (entre le 15 octobre et le 20 novembre) avec le concours de la société Karapace afin d'assurer un anonymat. Plus de 700 professionnels de santé (51 ans en moyenne) ont répondu au questionnaire. Support logistique par Exafield.
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