Après #balancetonporc au cinéma, #balancetonporc à l’hôpital ? Depuis plusieurs semaines, la problématique du harcèlement des carabins et des internes – et, au-delà, des pratiques sexistes – agite le monde hospitalier. Au CHU de Toulouse, c’est une manifestation dans le restaurant de l'internat, situé au cœur du CHU, qui a mis le feu aux poudres.
Ce 11 janvier, Maud et Sarah*, deux étudiantes en dernière année d’internat, ont recouvert une fresque (voir cette fresque) qu’elles jugeaient sexiste, située à l’entrée du restaurant, d'une banderole au message limpide : « Ne pensez-vous pas que ceci soit du harcèlement ? » « Cette fresque qui représente une image de la femme hyperdégradante ressemble à ce que l’on voit dans de nombreux CHU, confie Maud. On s’est dit : ce n’est plus possible, il faut que ça s’arrête. Cela fait des années que je subis cette ambiance-là, ça fait partie d’un sexisme banalisé à l’hôpital. »
Dans ce couloir très passant que les carabins empruntent quotidiennement pour aller déjeuner, l’action n’est pas passée inaperçue. Des membres de l’internat sont immédiatement intervenus pour enlever la banderole et rappeler aux jeunes femmes qu’elles ne pouvaient agir ainsi dans un lieu privé. « C’est regrettable, nous voulions provoquer une discussion sur le sujet, martèle Maud. L’internat reste un lieu public qu'on fréquente tous pour prendre notre repas, tout ça au sein de l’hôpital, notre employeur, censé nous protéger de ce genre de situations à risques »
Épiphénomène ?
L’action coup de poing a porté ses fruits.
Soutenues par le syndicat SUD santé, les internes ont monté le collectif « Jeudi onze » et adressé une lettre ouverte à la direction de l’hôpital pour demander le retrait de cette fresque et dénoncer au passage des situations de sexisme récurrentes et banalisées dans leur quotidien. « J’ai vu une interne se faire appeler "ma foufoune" lors d'un stage à l’hôpital par un chef qui avait la réputation de faire des blagues de cul toute la journée. Tout le monde sait, mais personne ne dit jamais rien, raconte encore la jeune femme. Parfois, cela ne vient pas de la hiérarchie, juste d’un autre interne qui, sous prétexte que l’on travaille dans la même équipe, se permet de nous prendre par la taille pour nous dire que l’on est super sexy. »
Cette première initiative a jeté le trouble dans l'établissement. La directrice par intérim de l’établissement Anne Ferrer a dans un premier temps renvoyé la patate chaude aux internes tout en « regrett[ant] qu’il n’y ait pas eu de saisine préalable » avant l'action dans le restaurant de l'internat, qu’elle qualifie « d’épiphénomène ». « Nous encourageons le dialogue et l’internat à se saisir de la question », souligne-t-elle.
Du côté de l'internat justement, la prudence domine. « Nous engageons des actions auprès de nos adhérents afin de connaître leur position sur le sujet [le retrait ou non de la fresque, NDLR] et nous agirons ensuite en fonction », indique par écrit Benjamin Massiera, le président des internes, refusant de s’exprimer publiquement sur le sujet.
Mais sous la pression du collectif « Jeudi onze » et face au silence de l'internat, la situation est devenue intenable. La direction du CHU a changé de braquet en créant, avec le soutien de plusieurs médecins seniors, une cellule de prévention et de lutte contre le harcèlement.
Un internat qui carbure à la testostérone
« Cette cellule était au départ dédiée à la promotion de la parité au CHU car nous avions fait le constat que les femmes n’occupaient ici que des seconds rôles, pointe le Pr Alessandra Bura-Rivière, chef de service de médecine vasculaire à Purpan. Parmi les chefs de service, on compte 79 % d’hommes pour 21 % de femmes… Nous voulions faire bouger ces lignes. Cette commission de parité va continuer à exister mais elle ira beaucoup plus loin en réalité. » Le médecin décrit « un internat qui carbure beaucoup à la testostérone ». « C’est certes une tradition, mais les traditions, ça se change », précise-t-elle.
Grâce à ce dispositif, les victimes de toutes les formes de harcèlement peuvent désormais se signaler par mail, courrier, ou téléphone en restant anonymes si elles le souhaitent. À l’autre bout, des interlocuteurs variés les écoutent. Parmi eux, une représentante de la commission parité, un juriste, un représentant de la direction des affaires médicales, un médecin, un psychologue du travail, un médiateur médical.
« Jusqu’à présent les affaires qui concernaient les médecins se traitaient entre médecins, avec le risque de laver son linge sale en famille, et de couvrir certains confrères amis. Désormais il faudra que tout remonte. Ce sera la tolérance zéro face à ce genre de comportements inacceptables », prévient le Pr Bura-Rivière.
* Les prénoms ont été modifiés
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