LE QUOTIDIEN – Quelles sont les grandes lignes et les objectifs de la réforme santé lancée en 2009 en Chine ?
CHEN ZHU – L’objectif général est d’établir un système de santé couvrant tous les habitants urbains et ruraux, afin de fournir à chacun des soins de base sûrs, efficaces, commodes et bon marché. Un investissement supplémentaire de 850 milliards de yuans est prévu [environ 90,6 milliards d’euros]. Les cinq priorités définies pour la période 2009-2011 ont réalisé un bon début, et le peuple en a bénéficié réellement. Le taux de remboursement des soins augmente progressivement, ce qui permet, dans une certaine mesure, d’améliorer l’accès aux soins pour les habitants ruraux. En 2009, nous avons publié une liste nationale des médicaments de base dont le prix est régulé ; 28 provinces ont commencé à vendre ces médicaments au prix réel, sans marge bénéficiaire (soit 30 % moins cher qu’auparavant). Le gouvernement central a financé depuis 2009 la construction de près de 50 000 établissements de santé. Grâce aux financements débloqués, 37,8 % des habitants urbains, et 15,4 % des habitants ruraux, sont équipés d’un dossier de santé. De début 2009 à mars 2010, plus de 30 millions depersonnes de moins de 15 ans ont reçu la vaccination supplémentaire contre l’hépatite B, 210 000 patients pauvres atteints de cataracte ont regagné la lumière, 1 750 000 femmes rurales ont reçu l’examen gratuit de dépistage du cancer du col de l’utérus, 460 000 femmes rurales ont bénéficié du dépistage gratuit du cancer du sein, 3 860 000 femmes rurales en âge de procréer ou en grossesse précoce ont pris de l’acide folique gratuitement, 8 850 000 femmes rurales enceintes ont reçu une aide financière pour accoucher à l’hôpital. Le pays a choisi 16 villes exemplaires comme pilotes de la réforme des hôpitaux publics. Un système de consultation sur rendez-vous y a été mis en place, et des textes ont été publiés pour promouvoir le dossier médical électronique et l’informatisation des hôpitaux.
Les inégalités d’accès aux soins se creusent entre la ville et la campagne malgré la formidable croissance économique chinoise. Comment y remédier ?
La Chine a une population rurale de plus de 800 millions d’habitants dont la santé est une question prioritaire pour chaque ministre chinois en charge des affaires sanitaires. Depuis les années 1980, les dépenses de santé supportées par les habitants ruraux ont nettement augmenté. Des habitants de la campagne sont devenus pauvres – ou redevenus pauvres – du fait de la maladie. Pour lutter contre ce phénomène, un nouveau système a été mis en place en 2003, financé principalement par le gouvernement, en vue de fournir une protection médicale de base pour les habitants ruraux. En 2010, les habitants ruraux ont été couverts à hauteur de 150 yuans (16 euros dont 120 yuans – près de 13 euros – financés directement par le gouvernement) ; en 2003, cette couverture était de 30 yuans (3 euros dont 2 versés par le gouvernement). Ce système a corrigé certaines inégalités, mais il persiste un écart de protection médicale entre les villes et les campagnes. Le gouvernement chinois compte investir davantage pour changer la situation. Le prochain plan quinquennal en discussion considère cela comme une priorité.
La Chine est-elle allée trop loin dans la privatisation de ses hôpitaux ?
L’objectif de la réforme en cours est de rétablir l’intérêt public. C’est pourquoi il faut changer le régime qui encourage les hôpitaux à chercher du profit. Il faut réguler le prix des médicaments, définir le prix raisonnable des soins, réduire le prix des examens et des thérapies, mieux gérer le prix des matériels médicaux. Le gouvernement va relever les tarifs de façon à éviter que les hôpitaux publics perdent de l’argent. En parallèle, il faut moderniser la gestion des hôpitaux, améliorer leur comptabilité, et contrôler les comptes par des audits. Il faut réformer le mode de paiement, et découvrir d’autres systèmes comme la tarification par pathologie, la capitation (le paiement par tête), le paiement en avance du montant total, etc. Il faut développer les assurances complémentaires. Le gouvernement va renforcer ses investissements pour financer la construction d’infrastructures, l’achat des grands équipements, les secours aux sinistrés, l’aide aux communautés, la médecine traditionnelle chinoise, les soins aux contagieux, la prise en charge des maladies professionnelles, les soins psychiatriques, les soins maternels et infantiles, etc. Il faut enfin renforcer la déontologie du corps médical. C’est pourquoi nous allons lancer une campagne promouvant l’esprit professionnel dans les établissements de santé.
Comment comptez-vous lutter contre la corruption dans les hôpitaux ?
L’ambiance professionnelle au sein du corps médical joue un rôle direct sur la réforme de la santé. Notre pays attache de l’importance à la lutte contre la corruption commerciale qui porte atteinte aux intérêts populaires. Ces dernières années, nous avons lancé une campagne spéciale pour lutter contre la corruption liée à la vente des médicaments, ce qui a permis de grands progrès. Nous renforcerons l’éducation du corps médical pour établir un état d’esprit solide, dans le but de servir le peuple tout en respectant le droit. Il faut faire passer un examen déontologique sérieux au corps médical, établir des règles pour gérer les prescriptions, centraliser les achats de médicaments. Il faut encourager les bonnes pratiques médicales grâce à des récompenses. Les activités illégales comme la corruption commerciale vont être punies strictement. Nous allons traiter sévèrement la corruption conformément aux lois et aux règlements.
Vous connaissez bien le système de santé français, vous avez exercé à l’hôpital Saint Louis, à Paris. Quel souvenir gardez-vous de cette époque ? Aviez-vous noté des différences frappantes dans la pratique médicale ? Quelles sont, à vos yeux, les forces et faiblesses du système de santé français ?
Je chéris beaucoup les expériences d’études à l’Université Paris VII et à l’hôpital Saint-Louis. Je suis reconnaissant vis-à-vis de mes professeurs français et de mes camarades d’école qui m’ont soutenu. Les études en France m’ont laissé un souvenir magnifique et ont un impact profond sur ma vie. Je suis moi-même un des bénéficiaires et témoins de la coopération amicale sino-française. J’espère sincèrement que la Chine et la France pourront développer les échanges de professionnels de santé pour assurer le bien-être des deux peuples. La France possède un système de santé dont l’efficacité générale est l’une des meilleures au monde. Les indicateurs sont supérieurs au niveau moyen de l’Europe, comme l’espérance de vie, le taux de mortalité des nouveaux-nés, etc. Avec un système de financement relativement équitable, les habitants français ont un accès libre aux soins médicaux, et en sont satisfaits. Il existe des points similaires entre les systèmes de santé chinois et français et les réformes lancées de part et d’autre. La France a établi un système avec une offre de soins majoritairement publique, et un système d’assurance médicale sociale sous la surveillance du gouvernement. La situation reste similaire en Chine. Les deux pays visent à améliorer l’égalité, l’accessibilité et la qualité des services de soins. Nous avons également beaucoup d’autres points en commun : le contrôle des frais médicaux, la mise en place de règles de bonnes pratiques médicales, l’instauration d’une première consultation communautaire, la réforme du système de paiement, etc.
En quoi le système de santé français vous inspire-t-il aujourd’hui pour réformer le système de santé chinois ? Avez-vous pris d’autres pays comme modèles ?
Il n’existe pas un modèle précis de référence pour la réforme du système de santé en Chine. Notre plan se base sur les expériences des autres pays. Nous en tirons des leçons. Les caractéristiques du système français – des soins de qualité, une protection sociale élevée, etc. – sont une bonne référence pour la Chine.
Vous envisagez des partenariats entre les hôpitaux universitaires français (les CHU) et seize villes pilotes chinoises chargées de mener des expérimentations dans le domaine de la santé. Pouvez-vous décrire le but de ces expérimentations et de ces partenariats ? De quelle façon souhaitez-vous que les médecins français s’impliquent dans ce projet ?
Notre ministère voudrait collaborer avec les autorités françaises afin d’améliorer la gestion, la sécurité et la qualité des soins au sein des deux pays. Nous proposons de commencer la coopération dans les domaines suivants : le contrôle de la sécurité et de la qualité des soins, la communication entre les médecins et les patients, l’évaluation du bon usage des médicaments, le contrôle des infections hospitalières. Nous souhaitons la mise en place de formations sur la gestion des hôpitaux, grâce à la venue d’experts français dans les villes pilotes chinoises. Nous proposons également une coopération informatique. J’espère que la Chine et la France pourront renforcer leur coopération dans le domaine de la recherche et de la formation médicale. Les experts français seront bienvenus pour participer activement à la réforme chinoise ; leurs propositions permettront le développement de la santé de la Chine.
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