LE QUOTIDIEN – Comment trouvez-vous ces habits de « directeur-préfigurateur » que vous avez revêtus il y a maintenant un peu plus de trois mois ? Avez-vous des surprises ?
CLAUDE ÉVIN – Nous sommes encore dans la période de « préfiguration » ; l’agence n’aura ses compétences législatives qu’au 1er avril prochain. Ces premiers mois ont été occupés à la préparation de l’organisation de l’agence. Il s’est agi de rassembler au sein d’un même établissement public des agents de l’État et des personnels de la Sécurité sociale.
Et non, je n’ai pas eu de surprise. Ma tâche est de marier des cultures, des histoires, des statuts… différents, même si les missions que remplissent les uns et les autres sont déjà, souvent, des missions communes – en matière de suivi des établissements de santé ou médico-sociaux, par exemple. La collaboration entre les personnes est bonne. On en est aujourd’hui au début de la procédure de consultation des instances représentatives des personnels. Nous allons développer la communication sur notre démarche de préfiguration. Dès ce matin, nous ouvrons un blog accessible à tous à l’adresse « sante-iledefrance.fr ».
Ressentez-vous ici ou là des réticences à lâcher du lest ? Ou des inquiétudes face à ce que sera le sort des uns et des autres une fois intégrés dans l’ARS ?
Non. Des réserves ont été exprimées avant le débat parlementaire mais on est passé à autre chose. Quant aux inquiétudes, je sors par exemple d’une rencontre d’un peu plus de deux heures avec le service médical régional. Il y avait à cette réunion des praticiens conseils, des personnels administratifs et techniques… tous très motivés et interrogatifs.
Pilotant l’ARS d’Ile-de-France, vous sentez-vous primus inter pares et la tâche ne vous paraît-elle pas d’une immense ampleur ?
Je ne dirais pas cela. L’ARS d’Ile-de-France a ceci de particulier qu’elle réunira entre 1 200 et 1 300 agents au total et qu’elle travaillera pour 20 % de la population française. La masse de sujets à traiter sera donc relativement importante ! Et l’Ile-de-France est une région paradoxale. Ce sera d’ailleurs l’une de mes préoccupations : on a dans la région d’excellents indicateurs globaux de l’état de santé de la population, l’offre de soins est particulièrement bien fournie et d’excellente qualité, mais parallèlement, il y a des populations ou des territoires qui affichent de très gros problèmes d’état de santé. De grandes disparités existent. Il y a des déserts médicaux en Ile-de-France, et pas seulement à la campagne. En Seine-et-Marne, par exemple, on trouve des territoires où n’existe plus aucune offre de soins de premier recours. Corriger ces inégalités est une nécessité.
Pour les médecins de ville, l’articulation avec l’ARS va être une nouveauté. Comment allez-vous tisser ces liens ? Avez-vous, par exemple, une conception dirigiste du SROS (scéma régional d’organisation sanitaire) ambulatoire ?
La médecine de ville est effectivement une compétence que va avoir l’agence qui doit mettre en uvre des politiques tendant à faciliter l’installation des médecins et également organiser les soins de premier recours. J’ai rencontré le président de l’URML [union régionale des médecins libéraux], les représentants régionaux des syndicats médicaux, le conseil régional de l’Ordre… et je peux dire qu’il y a de la part des médecins libéraux d’Ile-de-France une forte volonté d’apporter des réponses adaptées à la réorganisation de l’offre de soins. Ils sont très désireux de trouver des solutions novatrices.
Moi, j’ai l’intention de travailler en partenariat avec les médecins libéraux. J’ai l’obligation de faire en sorte qu’un certain nombre de territoires de santé dépourvus aujourd’hui de soins de premier recours ne le soient plus dans les deux ou trois ans qui viennent. Ce qui passe par l’installation de maisons ou de centres de santé, par exemple. Quant au SROS ambulatoire que vous évoquez, il doit comporter une identification des territoires dans lesquels il y a des problèmes mais pour autant, je vous rappelle que la loi ne l’a pas rendu opposable.
Vous évoquez l’accès géographique aux soins. Et l’accès « social » ? Allez-vous vous pencher sur la question des dépassements d’honoraires ou sur celle des zones où il n’y a pas de médecins de secteur I ?
De ce point de vue, une ARS n’a pas directement de compétence. Par contre, il est vrai que pour moi, c’est un sujet de préoccupation. On ne peut pas imaginer vouloir traiter l’accès aux soins sans prendre ce problème en compte. Je souhaite effectuer un travail de conviction. Je sais que la conscience du problème de l’accès aux soins existe ; avec les médecins, nous trouverons ensemble des solutions. Moi, mon rôle est de faciliter les choses, avec la ferme volonté d’atteindre des résultats. Parce que c’est aussi ce que la population attend de l’ARS.
Comment appréhendez-vous la « question » AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) ? Pensez-vous que l’institution entrera sans coup férir dans le giron de l’ARS ?
Il ne s’agit pas que l’AP-HP rentre dans le giron de l’agence. Elle est, comme tout établissement public et privé de santé, soumise à une tutelle de l’ARS. L’élément particulier, pour ce qui la concerne, est que sur tous les aspects financiers directs – les EPRD [états prévisionnels des recettes et des dépenses, NDLR], les investissements… –, la tutelle est exercée conjointement par l’ARS et les ministres concernés (Santé, Finances).
Je vais, en première ligne, examiner avec l’AP-HP les sujets qui ont une incidence budgétaire ou ceux qui sont d’ordre stratégique dans la relation qu’elle entretient avec les autres offreurs de santé d’Ile-de-France. Je suis comptable de leur retour à l’équilibre, ni plus, ni moins, et comptable des coopérations. Voilà le cadre de mes compétences. Pour le reste, j’aborde la question de l’AP-HP avec une triple préoccupation : transparence, équité, maintien de la qualité et de la performance dans le service rendu. L’AP-HP remplit dans notre pays et au-delà une mission incomparable : 50 % des publications de recherche françaises sont faites par des médecins de l’AP-HP. Je ferai tout pour que cette mission d’excellence soit maintenue et même développée.
L’AP-HP remplit aussi une mission importante dite « spécifiquement CHU » – elle représente 20 % de cette activité en France. Mais quand on rapporte cette mission « spécifiquement CHU » à la totalité de sa propre activité, elle tombe à 5 % : en volume, elle est très forte mais en interne, comparativement à ce qui se passe dans les autres CHU, elle met l’AP-HP en huitième position des CHU français. Cela signifie que si l’institution a cette mission d’excellence, elle a aussi une forte mission de proximité, c’est même presque une situation de quasi-monopole ! Il faut donc qu’elle puisse avoir une démarche de totale complémentarité avec les autres établissements de l’Ile-de-France.
Pour résumer, quand je dis « transparence », c’est qu’il faut regarder la réalité de l’AP-HP, on ne peut pas parler de l’AP-HP globalement, les disparités y sont très fortes. Quand je dis « équité », c’est que, une fois les différences constatées (par exemple en matière de taux d’encadrement, y compris médical ou bien en matière de durée moyenne de séjour, plus importante à l’AP-HP que dans d’autres CHU, ou encore de développement des alternatives à l’hospitalisation…), le besoin se fait jour d’en corriger un certain nombre. Il faut que l’AP-HP accepte de se comparer. C’est nécessaire si l’on veut dégager des moyens pour conserver ses missions d’excellence.
Des médecins de l’AP-HP sont montés au créneau, pour dénoncer la rigueur budgétaire…
La situation financière de l’AP-HP est très préoccupante. Le déficit (environ 100 millions d’euros cette année) s’accroît et si aucune mesure n’était prise, il atteindrait en cumulé 1 milliard d’euros en 2012. Les hôpitaux n’ont pas vocation à faire du déficit. Et cette situation est en train de les pénaliser vis-à-vis de leur capacité d’investissement. Pour maintenir l’excellence, pour assurer les missions de service public, il est impératif que l’AP-HP réduise son déficit. Son plan stratégique est en cours d’élaboration depuis déjà plusieurs mois. Il y a eu énormément de réunions auxquelles les médecins ont été associés. Le comité exécutif, qui réunit des médecins et les responsables de l’administration, porte ce plan stratégique qui, pour le moment, n’est pas consolidé. Il est normal que, pour le moment, cela soulève des réactions. Le plan stratégique sera prêt dans les semaines ou les mois à venir, le dispositif prendra alors sa cohérence.
Il ne faut pas, en tout cas, que l’on se focalise sur des décisions partielles. Personne n’envisage de remettre en cause la grande institution qu’est l’AP-HP. Par contre, pour qu’elle remplisse ses missions, il faut que l’AP bouge. Il n’est pas anormal que ça craque un peu.
Nicolas Sarkozy vient d’indiquer qu’il ne voulait plus aucun hôpital déficitaire en 2012. Qu’en pensez-vous ?
Si on accroît les déficits, on met en cause le système de solidarité nationale, les plus à l’écart se trouvent exclus. Je n’ai pas la culture du déficit. Quand on ne se pose pas la question de savoir combien on coûte, on ne se pose pas non plus la question de la qualité. Bien sûr, c’est parfois compliqué, il faut s’interroger : comment peut-on mieux utiliser l’argent public ? Mais n’oublions pas que des missions, aujourd’hui, ne sont pas remplies – je pense à la prise en charge des personnes âgées –, et qu’il va falloir qu’on les finance !
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