« L'autoconservation ovocytaire pour raisons dites sociétales ou d'âge est-elle une bonne idée au plan éthique ? » s'est interrogé le centre d'éthique clinique (CEC) de l'hôpital Cochin, lors d'un colloque fin novembre.
Une question pressante, eu égard aux évolutions techniques (généralisation de la vitrification ovocytaire) et législatives (un décret de 2015 permet à un donneur de gamètes - notamment nullipare - d'en conserver une partie pour soi) - sans oublier la possibilité d'y accéder à l'étranger.
Trois groupes ont été sondés : 36 femmes de 25 et 43 ans sans enfants, 19 gynécologues, et 8 femmes ayant eu recours à un don d'ovocytes en raison de leur âge.
Les femmes plaident* pour une ouverture de l'ACO au nom de la liberté reproductrice et du droit d'accès aux progrès médicaux. Mais elles se montrent guère intéressées par cette possibilité pour elles-mêmes, et n'envisagent pas une grossesse après 45 ans. Aussi souhaitent-elles que soit fixé un âge limite, tant pour bénéficier d'une ACO que pour réutiliser ses ovocytes et sont partagées sur une prise en charge par la sécurité sociale.
Les gynécologues sont moins enthousiastes, au motif que la société doit s'adapter à la vie procréative des femmes, mais aussi pour les prémunir contre de faux espoirs ou des grossesses tardives néfastes pour leur santé. Néanmoins, ils se disent prêts à soutenir leurs patientes si elles souhaitent recourir à l'ACO. Enfin, les huit femmes ayant eu des enfants par don d'ovocytes estiment qu'il aurait été plus simple d'enfanter à partir de ses propres ovocytes.
Selon la présidente du CEC le Dr Véronique Fournier, il ressort de cette étude qu'il n'y a pas de raison éthique d'interdire l'ACO, même s'il existe un enjeu financier. Elle identifie en revanche deux arguments éthiques en faveur de cette pratique : le respect de l'autonomie reproductive et le souci d'éviter le recours au don d'ovocytes. Et de critiquer vertement la loi de 2011 qui lie don et autoconservation, un « contrat léonin », qui privilégierait trop le collectif sur l'individualisme, selon elle.
Conjugalité contemporaine
Au-delà du débat pour ou contre l'ACO, l'étude a le mérite de battre en brèche certains clichés, comme celui de la femme capricieuse, frivole, ou carriériste. « Les femmes s'inquiètent avant tout de trouver le bon partenaire pour fonder une famille », souligne la juriste et co-auteure Laurence Brunet. « Le désir de conjugalité - qui répond en outre à de hautes exigences - prime sur le désir d'enfant » estime la sociologue Dominique Mehl. « Nous ne voyons pas des quarantenaires qui ne voulaient pas d'enfant avant. Nous voyons des femmes qui se retrouvent ainsi à la suite d'un parcours de vie », assure le Dr Cécile Gallo, qui exerce à la clinique IVI en Espagne.
L'étude dessine en creux les obstacles organisationnels et scientifiques d'une politique de prévention de l'infertilité. Quand informer les femmes, alors qu'à 25 ans, elles n'en ont cure, qu'à 30 ans, ces questions les angoissent, et qu'au-delà de 38 ans, il est trop tard ? Comment proposer des bilans de fertilité alors que les gynécologues remettent en cause leur fiabilité, et que les femmes aspirent à une moindre médicalisation ?
Information ou incitation ?
Le rôle du gynécologue se révèle crucial. Comment informer sans inciter ni normaliser, alors qu'il se révèle délicat d'aborder en consultation les questions de fertilité, et que les patientes estiment que leur médecin n'a pas à se mêler leur intimité ?
« Peut-être est-il temps de remettre en question la place de la distinction entre social et médical », suggère enfin le philosophe Frédéric Worms. Ce critère a historiquement servi à autoriser ou interdire des pratiques. S'il ne doit pas disparaître (il pourrait être pertinent en matière de remboursement), d'autres critères comme l'autonomie et la liberté, propose-t-il, pourraient entrer en ligne de compte. Et servir à questionner des problématiques afférentes, comme l'AMP pour toutes les femmes ou la GPA.
*Retrouvez les résultats détaillés sur le quotidiendumedecin.fr
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