LE QUOTIDIEN - La réforme des ARS est présentée comme consensuelle, au-delà des clivages politiques, pourtant on ne sent pas une adhésion franche et massive des professionnels de santé. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
DIDIER TABUTEAU - C’est une transformation importante et attendue, mais tous les acteurs en ont peur. Les médecins de ville ont peur d’être contraints par une planification, le médico-social a peur d’être dévoré par le sanitaire, l’hospitalier a peur de perdre son interlocuteur régulier qu’est l’ARH (agence régionale de l’hospitalisation). Se pose aussi la question de la répartition des services de l’assurance-maladie entre les ARS et ce qui restera des caisses : aucun document ne le précise. Troisième difficulté fondamentale non résolue : comment réformer le pilotage national du système de santé, qui pose problème depuis les années 1950 ? La loi redéfinit qui fait quoi au niveau régional, il faut le faire au niveau national. Un comité de coordination est prévu, mais le dialogue et la répartition des rôles entre l’assurance maladie et les services de l’État vont très vite poser question. C’est un tabou. On a cru pouvoir faire l’économie de ce débat, on ne le peut plus car la question resurgira dès le 1er janvier 2010. Agence nationale de santé ou pas, il faut rapidement répondre à cette question, cruciale, sinon cette réforme ne sera qu’une réforme de Monopoly administratif. Quatrième problème : quel va être le contrepoids de l’ARS dans la région ? En clair, trouvera-t-on un équilibre des pouvoirs entre l’ARS et la conférence régionale de la santé et de l’autonomie, qui représente les professionnels et les usagers ? C’est très important. Si l’ARS n’est qu’un pouvoir administratif considérablement renforcé, les problèmes ne seront pas résolus.
Un directeur général d’ARS gérera entre 300 et 1400 personnes, et un budget de plusieurs centaines de millions d’euros. Faut-il craindre l’avènement d’usines à gaz au pouvoir dilué ?
Le risque existe, mais il faut savoir ce que l’on veut. Personnellement j’estime que le système de santé souffre tellement de ses cloisonnements qu’on a plus à gagner qu’à perdre avec les ARS. Pour réussir, je le répète, il faut résoudre la question du pilotage national du système de santé. Tout dépendra aussi des premiers directeurs généraux d’ARS : leur choix sera déterminant pour poser les équilibres des ARS dans les régions. Il n’y a selon moi aucun profil idéal pour devenir patron d’ARS, c’est surtout une affaire de personnalité. Il faudra des personnes capables d’imprimer leur marque et de donner une vie aux ARS, pour éviter qu’elles ne deviennent un monstre administratif.
Quel est l’enjeu de la réforme pour les médecins libéraux ?
C’est incontestablement pour eux une échéance majeure. Cela peut même être un changement historique. Les médecins, depuis deux siècles en France, se sont construits dans une opposition aux pouvoirs publics et à l’Assurance-maladie. Avec la création des ARS et des Unions régionales des professionnels de santé, ils ont une occasion unique de quitter cette posture pour devenir des cogérants du système. Ce n’est pas gagné car les médecins, même s’ils ont beaucoup évolué en 20 ans, ne sont peut-être pas complètement mûrs. Personnellement, je pense qu’ils ont tout à gagner à jouer le jeu : ce système est quand même le plus protecteur qu’ils puissent avoir pour leur liberté professionnelle.
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