Les grands-mères à cabas ont investi les rues de Rumilly, petite cité haut-savoyarde de 15 000 habitants située à 20 minutes de tortillard d'Annecy. Loin du tumulte et de la chaleur écrasante du marché de la vieille ville, l'hôpital trône sur les hauteurs, calme, frais. Dans les couloirs, les patients sont aussi rares que les médecins, en ce jeudi de septembre. Les soignants vaquent.
Cette tranquillité est à l'image de la révolution silencieuse qu'a connue l'établissement ces dernières années. Car l'hôpital de Rumilly peut se prévaloir d'avoir réussi à revenir sur la réforme des 35 heures à la fois sans grève et… sans RTT ! Un cas unique en France. Au point que l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui a instauré depuis le 1er septembre une refonte de l'organisation du temps de travail du personnel, s'est fendue d'un coup de fil intrigué au directeur général de ce petit hôpital (350 lits dont 30 de médecine, 450 ETP dont 20 médecins), spécialisé en rééducation et réadaptation cardiaque, neurologique et en soins de suite médicalisés.
La bombe à retardement des CET
Au début des années 2000, tous les hôpitaux de France s'appliquent à transposer localement la réforme de la réduction du temps de travail, engagée par le gouvernement Jospin (voir encadré).
À son arrivée à Rumilly, en 2002, Christian Triquard, 59 ans, privilégie une équation classique : schéma horaire de 7 h 36 et 18 jours de RTT par agent, cumulables sur un compte épargne temps (CET). Mais un an plus tard, ce dispositif fait l'effet d'une « bombe à retardement » sur l'équilibre budgétaire déjà précaire du centre hospitalier, se remémore le directeur. « L'hôpital n'avait pas les moyens financiers de gérer les CET et l'organisation était intenable, explique-t-il. Le taux d'absentéisme atteignait 16 %, soit 5 points de plus que la moyenne nationale. J'ai dû détricoter tout mon travail. » De fait, les CET sont la bête noire de nombreux établissements. À l'AP-HP, les journées non prises en raison du manque de personnel ont généré un stock cumulé de 75 millions d'euros.
Emplois et qualité de vie
À Rumilly, à partir de 2004, l'hôpital au pied du mur décide de se passer de jours de RTT, remplacés par un système de récupération des heures de dépassement acquises, transformées en journée posées au fil de l'eau en cas de baisse d'activité ou stockées jusqu'à la fin de l'année.
Pour convaincre les agents de faire une croix sur 18 jours de congé, la direction agite une botte de carottes : de nouveaux emplois, la fin des « coupés » (des horaires en discontinu) et une meilleure qualité de vie au travail. « Nous n'étions pas en position de force pour négocier avec la direction, se souvient Grégory Rullière, de la CFDT, aujourd'hui unique syndicat de l'hôpital (avec l'UNSA en 2002). On n'avait pas d'informatique, pas de service logistique » Les aides-soignants descendaient les poubelles, récoltaient le linge sale et vidaient les plateaux-repas.
Administration, services techniques, personnels soignants… Entre 2004 et 2010, la nouvelle organisation se diffuse petit à petit dans tout l'établissement. La direction s'appuie sur ses cadres, met en place des groupes de travail.
Non concernés directement, les médecins observent la réforme d'un air détaché. « On ne nous a pas demandé notre avis », tranche le Dr Christine Birba, présidente de la commission médicale d'établissement (CME), plus soucieuse de la pénurie médicale que des 35 heures. Son service de médecine physique et de réadaptation a bénéficié « d'une ou deux embauches supplémentaires » et les plannings ont perdu en flexibilité avec le resserrement des horaires. « Mais la qualité des soins est indemne », précise-t-elle.
RTT déguisées
Sur le papier, l'hôpital affiche désormais un solide équilibre des comptes, un taux d'absentéisme divisé par deux et des effectifs quasiment doublés en 15 ans. En pratique, la bonne gestion des 35 heures n'explique pas totalement ces résultats vertueux. Le regroupement de l'activité sur un seul site et l'ouverture d'une structure Alzheimer de 66 lits ont également contribué au dynamisme des équipes.
Plusieurs agents et cadres admettent aussi que les « récup' » ne sont rien d’autre que des « RTT déguisées » même si la direction y gagne au change (les infirmières n'ont récupéré que huit jours en 2014 et ont été rémunérées une journée au titre des heures supplémentaires).
Surtout, l'ensemble du personnel n'est pas aux 35 heures effectives. Dans les services de médecine – les plus réticents à la réforme – le temps de transmission entre les soignants a posé problème. 65 % des infirmières travaillent donc selon une organisation en 7 h 15 (au lieu de 7 heures). Dans les couloirs, quelques anciens oscillent entre amertume et fatalisme. « Même si on est mécontent, que faire ? La grève ? On ne fait pas le poids, sans compter les réquisitions d'office », regrette une soignante. Le turn-over et les problèmes de recrutement n'arrangent rien.
Enfin, le manque de culture syndicale et la petite taille de l'établissement relativisent son succès. Le directeur lui-même « doute » que le modèle sur-mesure élaboré à Rumilly soit transposable à d'autres hôpitaux. Tant pis pour l'AP-HP.
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