En 2019, avant le Brexit et la pandémie Covid-19, 245 000 médecins exerçaient au Royaume-Uni, dont 91 000 qui n’avaient pas été formés dans le pays et 37 000 qui étaient des citoyens européens ou affiliés. Et déjà, à cette époque, les associations représentatives des médecins telles que la British Medical Association mettaient en avant l’incidence particulière des burn-out chez les praticiens britanniques avec un taux avoisinant les 30 % (1) majorant le risque de mauvaise prise en charge des patients (2). Que s’est-il passé depuis cette date ?
D’une part, le Brexit a fait fuir 4 300 médecins européens, norvégiens, islandais ou suisses (3). Si ce chiffre global peut sembler faible, il a rendu l’accès à certaines spécialités particulièrement complexe. Ainsi, 369 chirurgiens thoraciques ont quitté le Royaume-Uni, tout comme 288 chirurgiens pédiatriques et 165 psychiatres. Alors même que le service de santé britannique, le NHS, a recensé 10 582 postes vacants en 2022, la pénurie dans des spécialités déjà peu pourvues a eu pour conséquence d’accroître la pression sur les médecins en poste et de majorer le risque de burn-out.
Outre ces départs de médecins étrangers, un autre phénomène s’est rajouté après la crise sanitaire du Covid-19. En 2022, la Dr Rosena Allin-Khan, représentante du parti d’opposition, alertait sur le départ de 27 000 soignants du NHS en 2021, dont 2 500 médecins (en plus des 315 praticiens décédés cette année-là d’une infection au Sars-CoV-2) [4]. La plupart d’entre eux déclaraient qu’exercer leur métier de médecin ne leur permettait plus de mener une « vie normale ».
Ce contexte de majoration de la pénurie médicale (crise des ressources humaines) a rendu encore plus difficile le travail des médecins en poste avec une augmentation de leur file active de patients, de leurs horaires quotidiens et de leur charge de travail. Mais un autre phénomène a complexifié leur exercice : le Royal College of General Practitioners, qui regroupe 54 000 médecins généralistes, a alerté en novembre 2022 sur les risques de « détresse morale » des omnipraticiens qui estiment ne plus pouvoir faire leur travail de protection des patients. En effet, depuis la crise économique post-Brexit – et alors même que les médecins sont confrontés à un nombre croissant de patients en état de fragilité mentale et physique - les prescriptions d’arrêts de travail sont de moins en moins suivies. Les patients en effet ne peuvent plus se permettre financièrement de suivre les arrêts maladie prescrits du fait de l’impact financier des jours non travaillés. La Dr Kamila Hawthorme, représentante des généralistes au sein du Royal College met en avant (5) les frustrations des médecins qui savent que les arrêts de travail non pris auront des conséquences sur la santé des patients et sur le bien-être de leur famille (majoration des risques d’alcoolisme, de recours aux drogues, violences intrafamiliales).
Alors même qu’en janvier 2023 les soignants du NHS ont débuté un mouvement de grèves tournantes Wess Streetling, le délégué à la santé du parti d’opposition a pris la parole (6) pour affirmer que d’une part, les universités doivent former deux fois plus de médecins britanniques pendant les 10 prochaines années. D’autre part, il a annoncé que les médecins devaient - dans l’attente de l’arrivée de nouvelles générations - redoubler d’efforts pour sauver le système national de soins : parmi les pistes proposées, augmenter les plages de travail, recevoir plus de patients, faciliter les rendez-vous urgents, déléguer aux autres professionnels de santé… Des « solutions » étatiques qui ne devraient pas aller dans le sens d’une amélioration des conditions de travail et de bien-être des médecins.
Comment les médecins vont-ils répondre à ces injonctions du parti d’opposition qui pourraient être adoptées a minima par le parti au pouvoir ? Les organisations représentatives s’attendent à des départs massifs des étrangers exerçant encore au Royaume-Uni et des médecins locaux qui pourraient soit prendre une retraite anticipée, soit s’orienter vers d’autres métiers.
(1) Resilience, burnout and coping mechanisms in UK doctors: a cross-sectional study. BMJ Open. http://dx.doi.org/10.1136/bmjopen-2019-031765
(2) Physician burnout undermines safe healthcare. BMJ 2022; 378 doi: https://doi.org/10.1136/bmj.o2157
(3) Has Brexit affecter the UK’s medicinal workforce? https://www.nuffieldtrust.org.uk/news-item/has-brexit-affected-the-uk-s…
(4) https://www.mirror.co.uk/news/politics/over-2500-exhausted-nhs-doctors-…
(5) https://www.theguardian.com/business/2022/nov/22/severely-ill-refusing-…
(6) https://inews.co.uk/news/politics/nhs-run-doctors-patients-decade-fix-w…
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