C’est une épine lancinante dans le pied de l’assurance maladie. Après une augmentation de 4,1 % en valeur sur les trois dernières années (2014, 2015 et 2016), les arrêts de travail semblent repartir en forte hausse.
Selon les dernières données de la CNAM, les dépenses d’indemnités journalières (IJ) ont coûté 10,3 milliards d’euros à la Sécu en 2017, en croissance annuelle de 5,2 %. Surtout, cette tendance ne semble pas s’arrêter : rien que pour janvier 2018 versus janvier 2017, les versements d’IJ ont bondi cette fois de 8 %.
Plusieurs raisons expliquent cette dynamique, selon l'assurance-maladie. Le report mécanique des arrêts maladie liés aux pathologies hivernales (grippe, gastro-entérite) du mois de décembre 2017 sur le mois de janvier 2018 a gonflé les chiffres du début de l'année.
De façon plus structurelle, la croissance est imputable à la reprise économique avec une progression du nombre d'actifs grâce à un marché de l'emploi plus favorable, y compris pour des seniors davantage exposés aux arrêts. L'allongement de l'âge légal de départ à la retraite est une autre explication statistique. « Plus il y a d'actifs, plus il y a de personnes susceptibles d’avoir besoin de s’arrêter pour cause de maladie », résume la CNAM, sans préciser la part des arrêts courts et de longue durée.
Salariés trop connectés
Pour les syndicats médicaux, l'envolée – si l'on peut dire – des arrêts de travail est principalement liée à la dégradation des conditions de travail dans toutes les catégories, avec une frontière poreuse entre vie personnelle et professionnelle. « Les cadres ne se déconnectent plus de leur ordinateur ou de leur portable. Je vois dans mon cabinet des patients en épuisement professionnel total, incapables de reprendre le travail même après six mois d'arrêt », avance le Dr Jean-Paul Hamon, président de la FMF. Les employeurs et services de ressources humaines ne sont pas épargnés. « Même s'il y a une reprise de l'emploi, les salariés subissent une pression constante. Certaines entreprises ont même instauré une prime à la présence pour éviter justement les arrêts de travail », constate le Dr Hamon.
Même son de cloche chez Les Généralistes-CSMF. « Installé en zone rurale, j’ai beaucoup plus de burn-out chez les ouvriers qu’auparavant, c’est de la souffrance au travail souvent dû à un management sous pression, martèle le Dr Luc Duquesnel, président du syndicat. Quand le travail est pour une bonne part responsable du mal vivre, le premier traitement n’est pas de prescrire des antidépresseurs mais un arrêt de travail ».
Pour le syndicat de généralistes MG-France, il est aujourd'hui nécessaire de sensibiliser voire de pénaliser certains employeurs (qui s'illustrent par des pics d'arrêts maladie) en modulant leurs charges sociales. « L’assurance-maladie ne doit pas payer les conséquences d’une mauvaise gestion des ressources humaines », tranche le Dr Jacques Battistoni.
D'autant que la régulation des arrêts maladie s'opère déjà : selon une étude présentée en novembre dernier par l'assureur Malakoff Médéric, près de 20 % des arrêts prescrits ne sont pas respectés chez les salariés du privé et 12 % des arrêts n'ont pas été pris du tout. Parmi ceux qui renoncent, 22 % invoquent « une pression hiérarchique ».
Accompagnement gradué
Quoi qu'il en soit, l'assurance-maladie ne baisse pas la garde. Depuis trois ans, la CNAM déploie un plan d'accompagnement gradué des médecins. Cette stratégie propose d'abord 67 « référentiels » d'aide à la prescription, qui recommandent des durées moyennes d’arrêt en fonction du type de poste ou de situations cliniques particulières (troubles ostéo-articulaires, traumatismes, suites d'interventions chirurgicales…). « Cela sert pour des cas précis comme la grippe ou la gastro mais pas pour les situations de souffrance au travail », tempère le Dr Battistoni, président de MG France.
Pour les médecins prescrivant des arrêts plus fréquemment et/ou des arrêts plus longs que leurs confrères s'ajoute un entretien avec un médecin-conseil. Au total, 16 600 généralistes ont fait l’objet de cet accompagnement depuis 2015. Cette procédure est jugée efficace mais il est nécessaire de « réitérer les messages pour inscrire ce changement dans la durée », jugeait la CNAM dans son dernier rapport charges et produits, en juillet 2017.
Quant aux médecins « les plus atypiques » en termes de prescriptions d'IJ, ils sont ciblés chaque année et mis sous procédure de mise sous objectifs (MSO) et mise sous accord préalable (MSAP) s'ils ne modifient pas leurs pratiques. La campagne 2015/2016 a porté sur 459 généralistes et permis d'économiser 56,5 millions d’euros.
En 2018, la CNAM programme une économie globale de 100 millions d'euros sur le poste des prescriptions d'arrêts de travail. Pas gagné au regard des premiers chiffres.
* Étude sur le portefeuille clients Malakoff Médéric, et sur internet via un questionnaire auprès de 1 505 salariés et 300 médecins généralistes avec l'IFOP et Future Thinking.
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