Elle a eu peur de ne jamais pouvoir devenir médecin. Il y a trois ans, alors qu’elle était presque arrivée au but, après neuf ans de médecine, à l’issue d’un parcours sans faute. Élise Mathy s’effondre, en pleine séance de fractionné, à Créteil. Au top de sa forme, elle prépare le marathon de Paris. « Au bout de 20 minutes d’entraînement, j’ai eu une très forte douleur au cou à droite, puis je me souviens de me retrouver par terre. J’étais incapable de me relever, ni même d’attraper mon téléphone. Puis j’ai fait une crise d’épilepsie partielle du côté gauche. J’ai réussi à crier, et quelqu’un m’a trouvée et a appelé les pompiers. Je lui ai demandé de me dire si elle voyait quelque chose de bizarre sur mon visage. J’avais bien une paralysie faciale. J’ai su que je venais, à 27 ans, de faire un accident vasculaire cérébral ».
Passer de l’autre côté
Pendant quelques jours, sa vie était suspendue à un fil. Puis pendant un mois, elle n’a pas pu marcher, et se déplaçait en fauteuil roulant. Un an de rééducation intensive plus tard, pourtant, elle reprenait son internat à temps partiel, avant de terminer son mémoire de master 2, ses derniers stages et sa thèse. « Tout le monde me disait de penser à ma rééducation, que mes études n’étaient pas la priorité. Mais il était pour moi très difficile d’accepter d’être de l’autre côté. Et j’étais obsédée par la fin de mes études. Il était inconcevable que je ne sois pas médecin après toutes ces années de travail ».
D’une volonté semblant sans limites, et très entourée par ses proches, Élise Mathy pratique une rééducation intensive. « Par chance ma passion pour le sport m’avait donné le goût de l’effort. La rééducation, c’est pareil : une discipline quotidienne ». Elle a depuis beaucoup récupéré, mais ne marche pas parfaitement et reste hémiparétique : son bras gauche n’est pas encore fonctionnel. « Longtemps je n’ai pas accepté le mot handicap, et j’ai eu peur que l’on me bloque dans ma carrière. Pour moi, un médecin devait être parfait. Aujourd’hui j’ai décidé de ne plus me voiler la face. Je suis une femme médecin handicapée, et je veux en faire une force : montrer que tout est possible, même avec un handicap ».
Son parcours lui a aussi fait prendre conscience à quel point les infirmièr.e.s, aides-soignant.e.s et autres professionnels paramédicaux ont une place capitale et sous-valorisée. « Ce sont eux qui m’ont le plus aidée après mon accident. Je regrette qu’on les évoque si peu durant les études de médecine, qu’on n’apprenne pas aux médecins comment faire vraiment équipe avec eux, car ils en savent généralement beaucoup plus sur les patients que les médecins, y compris des détails très importants que ceux-ci n’osent pas nous dire. Je pense et j’espère que cela influence ma pratique dans le bon sens ».
L’auto-éducation après la journée de travail
Trois ans après son accident, Élise Mathy occupe le poste de chef de clinique en service d’onco endocrinologie à l’Institut Gustave Roussy, à Villejuif. Pile ce qu’elle souhaitait, après un internat en endocrinologie et un DESC d’oncologie. Par chance, l’AVC n’a pas altéré ses connaissances ni ses capacités de mémoire. « Je pense juste avoir un peu perdu en rapidité de réflexion, qui s’améliore encore chaque jour. Mais je n’ai pas besoin d’adaptation de poste, hormis un chariot au réfectoire pour mon plateau. Mon principal handicap est ma fatigabilité. Je travaille à temps complet mais je m’organise avec mes collègues pour prendre une journée quand la fatigue est trop importante et quand cela reste possible au sein du service ».
Le soir, elle rentre souvent chez elle vidée, alors qu’elle doit encore se lancer dans une séance de deux heures d’autorééducation, musique à fond ! « Si je ne le fais pas, je le sens le lendemain, avec des muscles très spastiques. Certes, une partie de mon cerveau est morte, mais avec la plasticité cérébrale, je peux encore récupérer ». Cette certitude et cette ferme résolution lui ont été transmises par le professeur Jean-Michel Gracies, neurorééducateur à l’hôpital Albert Chenevier-Henri Mondor, à Créteil, le « père » du contrat d’autorééducation guidée, auquel Élise estime devoir son rétablissement.
Un voyage, un livre, de nouvelles conférences
Le Dr Mathy souhaite témoigner dans un livre, qu’elle achève actuellement et pour lequel elle cherche un éditeur : le journal intime qu’elle a tenu durant l’année suivant son accident, et qui fut, selon ses dires, sa psychothérapie. « On y verra combien j’étais au fond du trou, et comment j’ai réussi à reprendre espoir et à récupérer, sans que soient gommées mes faiblesses. J’espère que cela pourra aider certaines personnes, et pas seulement victimes de l’AVC, à se dire qu’elles peuvent s’en sortir, et qu’il faut y travailler, ne pas se surprotéger, sortir de ses zones de confort ».
Dans son parcours à elle, une personne est capitale : son compagnon, Louis Gustin. Ils se sont rencontrés sur le groupe Facebook AVC jeunes survivants. « Il avait eu son AVC deux ans et demi avant et était plus avancé que moi dans la reconstruction. Il m’a énormément encouragée, m’a dit que je serais médecin. Nous avions la même envie de vivre, de sortir malgré le regard porté sur notre marche imparfaite ».
Partageant le même goût pour les voyages, ils ont réalisé en août et septembre derniers un grand projet : sillonner une partie de l’Europe occidentale pour partager au plus grand nombre leur message d’espoir, et délivrer des informations de prévention sur l’AVC. Au volant d’un mini-van aux commandes adaptées amovibles – elle est paralysée du côté gauche, lui du côté droit – ils sont allés à la rencontre d’associations de victimes et donné des conférences en France, Suisse, Italie, Espagne, Portugal, Belgique, et Pologne, en partenariat avec l’association Neuroloco, présidée par Jean-Michel Graciès, France AVC et la Fédération des aphasiques de France.
Plus heureuse aujourd’hui
Louis, qui démarre lui aussi sa carrière, mais dans l’administration, prépare actuellement une nouvelle série de conférences qu’ils donneront en duo, en Europe : Francfort-sur-le-Main (Allemagne) en mai, Luxembourg en juin, Parlement européen, à Bruxelles, en septembre, Paris en octobre et Etables-sur-Mer (Côtes-d’Armor) en novembre.
Dans l’immédiat, Élise met au point un concept d’ « Handifitdanse » à vocation de rééducation, alliant yoga, danse et étirements, pour se muscler en profondeur et gagner en stabilité et équilibre. Les prémisses de cours d’auto-éducation qu’elle espère un jour donner ? Dans tous les cas, le plaisir de renouer avec le sport : elle arrive désormais à courir 3 km ! Mais sa plus belle performance, après avoir redécouvert la valeur de la vie, est ailleurs. Elle l’assure : « je suis bien plus heureuse aujourd’hui ».
Suivre Élise Mathy et son compagnon Louis Gustin sur le compte Facebook « S’adapter – AVC et aphasie ».
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