Alors qu’en France, le refus de soins lié à l’origine ethnique du soignant reste un sujet difficile, aux États-Unis, la question est abordée plus facilement. Des solutions – sous formes d’arbres décisionnels – sont même proposées dans des revues de prestige telle que le « New England Journal of Medicine ». Il faut dire que dans ce pays, cette problématique, tout comme celle du genre, est étudiée de façon scientifique et pragmatique, bien plus facilement qu’en France.
Pour l’équipe du Dr Kimani Paul-Emile (New York, États-Unis), « le refus de soins fondé sur un rejet d’un soignant du fait de son appartenance ethnique soulève des questions éthiques, légales et cliniques. Pour le médecin, cette situation peut être vécue douloureusement, induire des erreurs de diagnostic ou de prise en charge, et parfois créer un véritable sentiment de peur. Certains soignants parlent d’indignité, de dégradation voire de détresse morale et de burn out. Si les plus jeunes des médecins ne sont absolument pas préparés au cours de leurs études à cette situation, tout au long de la carrière, le rejet reste un facteur de déstabilisation. Aux États-Unis, où la mixité éthique dans le milieu médical – et plus généralement dans la population générale – augmente régulièrement, le racisme vis-à-vis des soignants ne doit pas être considéré comme un épiphénomène ».
Que dit la Loi ?
Mais comment concilier les droits des professionnels de santé et ceux des patients ? Deux textes encadrent les possibles dérives liées aux refus de soins selon l’origine ethnique. D’une part, le titre VII du code des droits des civils mis en place en 1964 (Civil Rigths Act) qui précise que « les soignants ont le droit de travailler dans des établissements qui ne pratiquent pas la discrimination fondée sur la race, la couleur, la religion, et l’origine ». C’est en se référant à ce texte de loi, que des infirmières et des aides soignantes ont pu faire condamner leurs employeurs qui relayaient les choix racistes de certains patients. Rares sont les médecins qui utilisent cette voie juridique puisqu’aux États-Unis, les praticiens restent relativement indépendants de l’établissement qui les emploie : ils refacturent leurs honoraires aux patients.
Le second texte a été adopté pour protéger l’ensemble des patients qui se présentent dans les services d’urgence. Le EMTALA (Emergency Medical Treatment and Active Labor Act) impose – dans un pays où des millions de personnes n’ont pas ou peu de couverture sociale – de trier et de stabiliser tous les patients, en leur délivrant si nécessaire des soins immédiats avant de leur proposer, avec leur accord, un transfert vers un hôpital qui pourra les prendre en charge.
Accepter le refus pour ne pas nuire au patient
Pour prendre en compte ces deux obligations légales, l’équipe du Dr Paul-Emile a analysé les cinq conditions éthiques et pratiques qui déterminer la conduite à tenir face à un refus de soins : l’état médical du patient, sa capacité à prendre une décision, les options thérapeutiques possibles (présence de plusieurs médecins d’origine différente), les raisons du refus, et l’impact du refus sur le médecin. Traiter un état médical qui peut avoir un impact sur la capacité de décision (démence, confusion) est la première étape propre à modifier la décision. Ensuite, le Dr Paul-Emile parle de « persuasion, négociations, appel à la raison, aide d’un membre de la famille, d’un autre soignant (interne ou infirmière), de l’administrateur de garde… Mais il ne faut pas non plus se laisser abuser par les "esprits étroits, le sectarisme". Dans ce cas, la seule solution est de proposer au patient de changer d’établissement. Reste de problèmes de patients qui ne sont pas encore complètement stabilisés, à qui il est impossible de proposer un changement d’établissement bien qu’ils refusent les soins. Pourtant, garder à tout prix le patient peut aussi se révéler néfaste pour lui-même – du fait du vécu négatif de l’équipe soignante – et pour le médecin ».
Le Dr Paul-Emile estime qu’une fois l’épisode aigu stabilisé, il est possible de prendre en compte l’avis du patient. Certains en effet, du fait de leurs propres origines ethniques et de leur difficulté à communiquer en anglais, peuvent légitimement demander à être pris en charge par des médecins en particulier. D’autres, dont les ancêtres ont vécu des discriminations, peuvent choisir d’éviter « ceux qui ont déjà fait souffrir leur peuple. Et la qualité des soins peut être améliorée ». Enfin – comme c’est le cas dans certains hôpitaux militaires – l’origine ethnique du médecin peut raviver un stress post-traumatique chez un soldat qui avait combattu contre des personnes de la même origine ethnique que le médecin qui le soigne. Toutes ces raisons doivent être considérées en dehors de toute situation d’urgence. Mais elles ne doivent rester exceptionnelles car « elles peuvent mettre en cause les droits des soignants au sein des établissements de soins ».
Paul-Emile K, Smith A, Lo B, Fernandez A. Dealing with racist patients. NEJM, DOI :10.1056/NEJMp1514930
Transition de genre : la Cpam du Bas-Rhin devant la justice
Plus de 3 700 décès en France liés à la chaleur en 2024, un bilan moins lourd que les deux étés précédents
Affaire Le Scouarnec : l'Ordre des médecins accusé une fois de plus de corporatisme
Procès Le Scouarnec : la Ciivise appelle à mettre fin aux « silences » qui permettent les crimes