LE QUOTIDIEN : Comment avez-vous accueilli les 80 propositions du rapport Broussy remis récemment à la ministre déléguée en charge de l'autonomie ?
VIRGINIE MAGNANT : C'est un rapport qui embrasse des champs très larges de la vie en société. Il porte d'abord sur l'adaptation de l'habitat au vieillissement, condition sine qua non pour permettre aux personnes de se maintenir le plus longtemps possible chez elles, ce qui est un souhait ultra-majoritaire. Mais il ambitionne plus largement l'adaptation de la ville, des quartiers, de la mobilité. Ce qui explique qu'il ait été remis à trois ministres. Non seulement à Brigitte Bourguignon mais aussi à Jacqueline Gourault, responsable des collectivités territoriales, et à Emmanuelle Wargon, en charge du logement.
Ce qui frappe ensuite, c'est l'aspect très concret des propositions. Elles embrassent l'environnement de la personne pour accompagner la société de la longévité et rendre possible, dans de bonnes conditions, le vieillissement de la population française. Par exemple, la première d'entre elles concerne la prévention des chutes, cause de mortalité et source de dégradation forte des personnes âgées.
Depuis son premier rapport sur le sujet, qui date de 2013, Luc Broussy note aussi une prise de conscience. Le vieillissement est devenu une réalité pour les acteurs importants : maires, bailleurs sociaux, constructeurs et promoteurs de logement… Toutes les conditions sont réunies pour passer à l'acte. Désormais, il faut se mobiliser et le rapport donne des guides pour l'action. Il intervient au bon moment.
La fameuse loi sur le grand âge et l'autonomie, très attendue par le secteur, devrait voir le jour en septembre. Qu'en attendez-vous ?
Cette loi est attendue pour plusieurs raisons, à la fois politiques et techniques. Le vecteur législatif va d'abord permettre de se projeter dans la durée. La projection démographique est claire : nous allons assister au doublement des personnes de plus de 65 ans en 2040 et de celles de plus 85 ans en 2050. Les acteurs du secteur attendent un cadre plus adapté à cette projection.
Il faut construire une société du bien vivre entre générations le plus longtemps possible. Sur ce point, le souhait du gouvernement est de rendre possible le vieillissement chez soi dans de bonnes conditions. Mais il faut aussi réformer les EHPAD pour accompagner les publics de plus en plus dépendants. Il y a aussi nécessité de réformer la gouvernance pour réaffirmer la co-responsabilité des acteurs autour de ces sujets. Il y a bien évidemment l'État et l'Assurance-maladie mais aussi les conseils départementaux et d'autres acteurs territoriaux. Il faut réussir à créer une mobilisation collective.
Nous avons aussi besoin de dispositions techniques précises. Je pense, par exemple, au cadre de financement de l'aide à domicile ou, plus largement, au secteur de l'accompagnement des personnes âgées qui peine à pourvoir un certain nombre d'emplois. Il faut travailler sur l'attractivité des métiers.
Après avoir été maintes fois repoussé, ne craignez-vous pas que ce texte soit vidé de son ambition, à un an de la présidentielle ?
Maintes fois repoussé, je ne dirais pas cela. Il est clair que c'est un texte qui ne pouvait pas être produit trop rapidement. Quand on se retourne, on peut voir que beaucoup d'avancées ont déjà été permises. En termes de chronologie, plusieurs rapports importants — Libault, El Khomri, Dufeu Schubert — ont été remis depuis 2018. Ensuite et malgré la crise, l'année 2020 n'a pas été une année blanche. Elle a permis de remettre sur le devant de la scène les besoins des personnes âgées. Pas seulement du fait de leur exposition particulière au risque épidémique, mais parce que cette crise a mis en évidence les difficultés liées à l'isolement, et a suscité beaucoup d'initiatives pour aller au-devant des personnes et s'enquérir de leur situation. Elle a aussi, d'ores et déjà, permis la création d'une cinquième branche, actée en un temps record. De plus, les missions de la CNSA ont été revues et corrigées et les financements assis et consolidés. On a donc un socle très important pour travailler dans la durée. À partir de cela, le projet de loi va venir préciser le cap.
Quels sont les objectifs de financement attendus par la CNSA pour relever ce défi démographique ?
Depuis le 1er janvier, la CNSA est devenue gestionnaire de la cinquième branche de la Sécurité sociale et dispose de financements autonomes. Celui-ci est garanti par trois sources : une part (1,93 point) de CSG, la CSA et la CASA. C'est une première garantie très forte puisque nos ressources sont désormais dédiées. Avant cela, le financement de la CNSA venait essentiellement d'une dotation de l'Assurance-maladie.
En outre, la loi d'août 2020, qui crée la branche autonomie, grave dans le marbre le fait que nous bénéficierons, à horizon de 2024, de 0,15 point de CSG supplémentaire, soit près de 2,3 milliards d'euros. Je veux souligner aussi que notre nouveau cadre de gouvernance nous permet de faire des projections pluriannuelles. La branche serait ainsi excédentaire d'ici à quatre ans. C'est un moyen d'accompagner mieux et davantage les besoins des personnes âgées. À plus long terme, les financements ne sont pas de mon ressort. Les projections du rapport Libault évoquent un besoin de 9 milliards d'euros à horizon de dix ans. Ce besoin est réel mais les arbitrages devront être faits autour du projet de loi.
Faut-il aller vers une plus grande médicalisation des EHPAD ?
La médicalisation des EHPAD est en cours. Les médecins ont une place déterminante à l'intérieur et à l'extérieur des EHPAD. Ils sont des acteurs clés de l'accompagnement et de la qualité de vie des résidents. Ce sont par exemple les médecins coordonnateurs qui déterminent les besoins de financement en fonction de la situation des résidents.
On critique souvent l'allocation des ressources dans le médico-social car insuffisamment objectivé sur le profil des personnes. Je pense que dans les EHPAD, on n'a pas à rougir des outils dont nous disposons pour calibrer les dotations. En 2021, nous sommes dans la dernière année de la feuille de route mise en place par Agnès Buzyn, ce qui signifie que les EHPAD vont être financés à 100 % de l'équation soins.
En parallèle, un travail important a été fait, en particulier par les agences régionales de santé pour permettre le déploiement des infirmières de nuit et favoriser la coordination des pôles gériatriques. De plus, à la faveur de la crise sanitaire, une dynamique nouvelle s'est mise en place entre les établissements et les hôpitaux qui a vocation à perdurer. Le trio médecin coordonnateur/directeur/cadre de santé a été déterminant pour prendre les mesures adaptées.
Il y a aussi un besoin très grand de la médecine de ville, notamment à travers le déploiement des CPTS. Cette première ligne de soin est déterminante pour permettre le maintien à domicile, mieux coordonner les interventions et mieux identifier les problématiques. Il est vrai que certains établissements ne disposent pas de médecin coordonnateur. En tant que financeur, nous devons nous assurer qu'ils disposent des moyens suffisants pour rémunérer ces professionnels.
Vous proposez de réduire le reste à charge en EHPAD pour les résidents. Comment ?
Nous réalisons chaque année une étude sur le prix des EHPAD afin de faire toute la transparence. Le dernier bilan, qui porte sur l'année 2019, place le prix moyen à 2 004 euros par mois. Il recouvre l'hébergement mais aussi une part de ce qu'on appelle le tarif dépendance. Ce que notre étude met en avant, c'est une variation de prix importante selon les territoires. Celle-ci est liée principalement au prix de l'immobilier.
En mars dernier, le conseil de la CNSA a fait des recommandations pour le financement des politiques de soutien à l’autonomie. Il suggère notamment une contribution individuelle pour la vie quotidienne qui permettrait de plafonner le reste à charge pour les résidents. Les réflexions se poursuivent sur ce point.
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