Question des internautes du Quotidien du Médecin :
La carte génétique sera-t-elle généralisée ? Et adviendra-t-il une course à l'homme parfait ?
Réponse du Pr Fischer :Une carte génétique généralisée ? Pour quoi faire ? Il faut distinguer plusieurs choses.
Il y a les maladies génétiques. Peu, malheureusement, bénéficient d'un traitement. Elles font l'objet de recherches et là, il est très important de dépister les personnes atteintes, de faire les progrès les plus importants possibles pour, le plus vite possible, arriver aux mutations des gènes en question.
Et puis il y a le commun des mortels, ceux qui ne sont pas atteints d'une maladie génétique.
Est-ce intéressant pour eux de connaître la séquence de leur génome ? Les opinions à ce sujet sont relativement variées.
Mon opinion personnelle est que je ne m'intéresse absolument pas à la séquence de mon génome. Si demain, je le connaissais, ça me dirait d'où je suis originaire (mais je le sais) et on pourrait dire, par exemple, que j'ai un risque deux fois plus important que la population moyenne de développer un cancer du côlon ou d'être atteint de la maladie d'Alzheimer. Franchement, je m'en fiche parce que ça n'a pas d'impact sanitaire solide : en dehors des maladies génétiques monogéniques, il est assez illusoire de penser que parce qu'on connaît la carte de son génome, on va pouvoir de cette façon avoir une meilleure santé, laquelle passe plus par le fait d'avoir une bonne alimentation, une activité physique etc.
Quelles nouvelles maladies pourraient bénéficier d'une thérapie génique ?
Réponse du Pr Fischer : Faisons d'abord un bilan rapide de ce qui est acquis aujourd'hui.En dehors des déficits immunitaires, si on reste dans le domaine des maladies monogéniques du sang, quelques résultats sont acquis pour des formes de maladies métaboliques particulières. Il y a ainsi un travail que nous avons mené avec le Pr Patrick Aubourg sur l'adrénoleucodystrophie. En Italie, une équipe travaille avec des résultats qui semblent assez intéressants sur la leucodystrophie métachromatique : une vingtaine d'enfants sont traités.
En France, autour de Marina Cavazzana, et ailleurs, des travaux débutent sur la thalassémie et la drépanocytose : on est au tout début, il faut donc être très prudent, mais cela concerne beaucoup de malades. Le principe reste le même ; il faut des vecteurs plus sophistiqués puisqu'il s'agit d'obtenir l'expression du gène de la globine qui est uniquement dans le globule rouge et pas dans toutes les cellules sanguines.
Ensuite, si l'on reste dans les maladies génétiques, il y a deux domaines où des résultats tangibles ont été obtenus, même s'ils ne sont pas parfaits et si un petit nombre de malades est concerné : le domaine de l'hémophilie et celui des maladies génétiques de l'œil (qui font perdre progressivement la vue).
Dans le premier, nous parlons de l'hémophilie B : une équipe britannique a réussi à apporter un gène qui permet de fabriquer le facteur 9 de la coagulation avec un autre type de virus. Cette fois-ci, on ne parle pas de thérapie génique ex-vivo (où on modifie au laboratoire la cellule du malade) mais de thérapie génique in-vivo (où on injecte le virus). Le virus peut être capté au niveau du foie et les cellules du foie vont fabriquer la fameuse protéine déficiente. Il y a ainsi un certain nombre de malades qui vivent, non pas avec un taux normal du facteur de la coagulation en question, mais avec un taux suffisant pour ne plus avoir de saignement. Ceci avec un recul de plus de 4 ans. C'est assez encourageant.
Quant aux maladies de l'œil, il est possible pendant plusieurs années d'améliorer un peu la vision de personnes qui sont en train de perdre la vue en injectant le virus sous la rétine (on fait un tout petit décollement, le virus va localement infecter la cellule de la rétine et la corriger en apportant le bon gène). Même si ce ne sera jamais une solution parfaite, c'est une source d'espoir.
Et pour parler du cancer, il y a eu énormément d'échecs jusqu'à il y a trois ou quatre ans où une approche pour une forme de cancer précis –les lymphomes B et les leucémies B– a donné des résultats : ce que plusieurs équipes aux États-Unis ont réussi à faire, c'est de modifier des lymphocytes T afin de les rendre beaucoup plus actifs pour tuer les cellules cancéreuses. Les chercheurs ont créé des cellules chimériques, des lymphoytes T qui expriment à leur surface une sorte de récepteur artificiel qui va reconnaître les lymphocytes B et les tuer s'ils sont malins. Cette technologie, qu'on appelle "CAGR", représente un pas en avant pour traiter certaines formes de leucémies et de lymphomes. Il est important maintenant de savoir si ce qui est vrai pour ces cellules-là pourrait l'être pour d'autres.
À quelle échéance peut-on imaginer une thérapie génique de masse ?
Réponse du Pr Fischer : Il n'y aura jamais de thérapie génique de masse. C'est une arme thérapeutique supplémentaire mais qui ne va pas se substituer aux autres. Il y aura toujours des médicaments chimiques, des biotechnologies (qui vont se développer), des dispositifs médicaux de tous ordres… Plus on a d'armes dans notre panoplies, plus on a de chance de combattre de maladies. C'est ainsi qu'il faut voir la thérapie génique. Elle s'appliquera à certaines maladies, pas du tout à d'autres.La législation française est-elle un frein à la recherche en thérapie génique ?
Réponse du Pr Fischer : Première évidence, il faut une réglementation très vigilante. Il est hors de question que l'on puisse développer ce type de recherche comme d'autres. Un contrôle est indispensable à la fois sur la pertinence de la proposition ET sur les produits (nous sommes dans la situation où le médicament n'est plus une molécule clinique mais un virus – plus précisément une molécule modifiée par le virus). Aujourd'hui, la loi dit que les conditions de fabrication de la cellule du malade modifiée par le virus doivent être les mêmes que celles de la fabrication d'un médicament. Cela signifie que les règles de fabrication sont extrêmement strictes. Et c'est raisonnable pour limiter au maximum le risque d'accidents. Parallèlement à cela, il faut s'assurer que les règles éthiques sont également respectées et garantir la qualité des travaux menés.Tout ceci étant posé, le système français, parfois, est un peu lourd ; on aimerait que ça aille un petit peu plus vite. Mais le principe est raisonnable. Ce que l'on pourrait imaginer, c'est que la réglementation se fasse non plus à l'échelle française mais à l'échelle européenne. D'abord parce que… c'est l'Europe et je suis un grand partisan de l'Europe. Ensuite parce que cela élargirait le champ des experts capables de donner un avis.
Les « ciseaux moléculaire » (technique CRISPR-Cas9) vont-ils permettre à la thérapie génique de passer de la phase expérimentale à une ère « industrielle » ?
Réponse du Pr Fischer : En gros, ce qu'on a fait jusqu'à présent en thérapie génique, c'est un bricolage relativement simple. Il consiste à placer quelque part dans la cellule un gène thérapeutique mais pas à corriger l'anomalie génétique.L'approche du futur consiste à réparer le gène. La technologie existe mais elle n'est pas encore opérationnelle sur le plan médical. La technologie consiste effectivement à utiliser des "ciseaux moléculaires", des enzymes qui vont couper l'ADN (mais jusque-là, c'est banal !) mais, ce qui n'est pas banal, vont le faire de manière extrêmement précise en étant guidées à l'endroit du gène que l'on cherche à couper à l'aide d'un ARN messager, copie du gène que l'on cherche à couper.
L'une des façons de procéder est d'apporter une séquence normale qui va se recombiner à l'endroit où il y a une coupure. Si on arrive à faire cela, c'est magnifique parce qu'on réparera l'anomalie, ce que nous n'avons jamais su faire jusqu'à présent. On peut imaginer que ce sera un outil demain, il permettra d'avoir une pratique plus sûre et de l'étendre à plus de malades.
Quels traitements et quels centres proposer à une jeune patiente 34 ans ayant des troubles dystrophiques du visage en rapport avec un syndrome de Parry-Romberg ?
Réponse du Pr Fischer : Je n’ai pas de connaissance directe de ce syndrome tres rare. Il semble malheureusement qu’il n’existe pas d’autres traitements qu'esthétique par implantation de tissu adipeux prélevé dans d’autres regions du corps.
Le contact doit être, je pense, le service de chirurgie plastique du CHU le plus proche du domicile du patient.
Posez vos questions au prochain invité, le Pr Pascal DESGRANGES pour l'émission :
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