En zone d’endémie du VIH

Le phosphore facteur prédictif du décès

Publié le 21/05/2010
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À LA FIN de la Seconde Guerre Mondiale a été décrite une pathologie assez surprenante, le syndrome de réalimentation. Parmi des prisonniers victimes d’une intense dénutrition, dans les semaines qui ont suivi la reprise d’une alimentation normale, de nombreux décès ont été enregistrés. La responsabilité en a été attribuée au phosphore. Au cours des privations une carence s’était installée. Lors de la renutrition les cellules avides de cet ion en provoquaient une forte déplétion sanguine responsable du décès.

C’est un mécanisme proche qu’évoque une équipe américano-zambienne pour expliquer les décès peu après l’instauration d’un traitement antirétroviral chez des Zambiens dénutris porteurs du VIH.

Un pseudo-syndrome de réalimentation.

En effet, depuis 2003 en Afrique sub-saharienne, la disponibilité des antirétroviraux se fait de plus en plus grande et pourtant un taux de mortalité élevé est noté, tout particulièrement pendant le premier mois. Certes, un IMC faible et un taux de CD4 + bas ont été évoqués. Mais dans ces régions où sévit la famine surviennent des anomalies métaboliques peu probables dans nos pays industrialisés. C’est ainsi qu’est née l’hypothèse d’un pseudo-syndrome de réalimentation. Hypothèse sous-tendue par l’amélioration rapide de l’appétit et de l’activité dans un pays où l’alimentation repose essentiellement sur des hydrates de carbone (mil, bananes).

Douglas C. Heimburger et coll ont donc enrôlé dans le cadre d’une étude observationnelle 142 adultes infectés par le VIH, à Lusaka (Zambie). Tous avaient un IMC < 16 kg/m2 et/ou un compte de CD4 + < 50 cellules/µl. Ils ont été suivis prospectivement au cours des 12 premières semaines de traitement antirétroviral, entre novembre 2006 et novembre 2007. L’objectif principal était d’étudier la mortalité toute cause au cours de cette période, en prenant le phosphore comme variable principale.

La phosphorémie à l’enrôlement apparaît bien comme un facteur prédictif du risque de décès. Les participants toujours en vie à la 12e semaine avaient un taux médian de 1,3 mmol/l, alors que parmi les sujets décédés il se situait à 1,06 mmol/l. Si aucun décès n’a été enregistré au cours de la première semaine de traitement, 25 ont été relevés pendant les 12 semaines de suivi, dont 10 au premier mois. Il apparaît que pour chaque augmentation de la phosphorémie de 0,1 mmol/l le risque de décès diminuait de 17 %. Les auteurs ont ajusté leurs résultats en fonction de divers facteurs de décès connus (sexe, âge, taux de lymphocytes CD4 +, IMC, hémoglobine). Malgré cet ajustement l’hypothèse de départ reste confirmée.

Une supplémentation.

Dans la cohorte, 44 participants ont eu à un moment quelconque une phosphatémie < 0,87 mmol/l. Ils ont bénéficié, au minimum, de conseils diététiques et, au mieux, d’une supplémentation (n = 13). Les auteurs n’ont pas constaté d’amélioration significative du taux de survie grâce au traitement. Cependant pour affirmer l’absence d’action thérapeutique, il aurait fallu un groupe témoin non traité, ce qui était éthiquement impossible.

En ce qui concerne l’appétit, il n’existait pas de différence entre les survivants et les non-survivants. Mais au bout d’une semaine de traitement l’appétit, l’ingestion d’hydrates de carbone et le niveau d’activité étaient significativement plus faibles chez les seconds que chez les premiers.

Une explication est proposée à cette variante du syndrome de réalimentation. Une phosphatémie basse est incapable à maintenir l’homéostasie au moment des changements métaboliques liés à l’instauration du traitement. Le regain d’appétit et d’activité physique dès la mise en route des antirétroviraux pourrait refléter une bouffée de respiration cellulaire dépendant du phosphore et une synthèse d’ATP. Les 10 décès du premier mois corroborent cette théorie.

PLoS ONE mai 2010, vol 5, n° 5 e10687.

 Dr GUY BENZADON

Source : Le Quotidien du Médecin: 8774