La controverse sur l'intérêt des corticoïdes dans le choc septique divise depuis près d'un demi-siècle. Les deux plus grandes études jamais entreprises sur le sujet, totalisant près de 5000 participants, APROCCHSS (n = 1 241) et ADRENAL (n = 3658), marquent une nouvelle étape avec une publication conjointe dans « The New England Journal of Medicine ».
Pour Anthony Suffredini, du département de médecine intensive aux Instituts nationaux de la santé aux États-Unis (NIH), « il est peu probable que des essais ayant une puissance suffisante nous apportent dans un futur proche de meilleures données », écrit-il dans un éditorial.
Après l'essai négatif européen CORTICUS, l'étude APROCCHSS, dirigée par le Pr Djillali Annane du service de médecine intensive et de réanimation de l'hôpital Raymond Poincaré à Garches (APHP) se positionne clairement en faveur des corticoïdes.
Des preuves comme traitement adjuvant
L'essai français conclut à une baisse significative de la mortalité toutes causes à 90 jours dans le groupe hydrocortisone + fludrocortisone (43,0 %, n = 264/614) par rapport au groupe placebo (49,1 %, n = 308/627).
Quant à l'étude internationale ADRENAL (Australie, Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande, Arabie Saoudite, Danemark), mise en ligne fin janvier et récemment rapportée dans « Le Quotidien du Médecin », les résultats étaient négatifs sur le critère principal de la mortalité à 90 jours (qui était de 27,9 % dans le groupe hydrocortisone et de 28,8 % dans le groupe placebo).
Néanmoins, les auteurs d'ADRENAL ont mis en avant les bénéfices de l'hydrocortisone (200 mg/jour pendant 7 jours) sur plusieurs critères secondaires (durée du choc, durée de ventilation mécanique, transfusion sanguine). Ce qui leur a fait conclure que l'hydrocortisone a une place « comme traitement adjuvant chez les patients en choc septique ».
Quant à la tolérance, les deux études n'ont pas rapporté davantage d'effets indésirables graves par rapport au placebo. L'étude APROCCHSS précise qu'au cours de l'essai, il n'y a pas eu davantage de superinfection, ni d'ulcère gastro-duodénal ni de séquelles neurologiques. Les épisodes d'hyperglycémie étaient en revanche significativement plus fréquents.
Des recommandations internationales prudentes
Suite à l'essai CORTICUS, les dernières recommandations 2016 du consensus « Surviving Sepsis Campaign » regroupant 78 sociétés savantes sont restées très prudentes, se positionnant contre les GC et en conseillant l'hydrocortisone à 200 mg/jour seulement si le traitement standard (remplissage, vasopresseurs) ne suffit pas.
Le protocole médicamenteux était différent entre les deux études. Dans ADRENAL, l'hydrocortisone était administrée 7 jours par voie IV en perfusion à la dose de 200 mg/jour. Dans APROCCHSS, l'association fludrocortisone + hydrocortisone était administrée pendant 7 jours, par voie IV pour l'hydrocortisone en bolus (50 mg/6 heures) et per os (sonde naso-gastrique) pour la fludrocortisone (50 μg/jour une fois le matin).
Dans quelle mesure l'ajout de fludrocortisone, cette molécule développée et fabriquée par la pharmacie des hôpitaux de Paris, l'AGESP, joue-t-elle un rôle ? « Mon équipe en France est convaincue de l'intérêt de la fludrocortisone, explique le Pr Annane. À l'étranger, on se pose des questions sur cette molécule franco-française uniquement disponible par voie orale ».
Des patients sélectionnés... ou pas ?
Il existe un écart important de mortalité entre ADRENAL et APROCCHSS, qui peut s'expliquer par une sélection des patients plus gravement malades dans APROCCHHS. Faut-il réserver le traitement à des patients sélectionnés ? « Le signal de mortalité est plus fort chez les patients plus graves, explique Djillali Annane. Les patients les plus graves ont des bénéfices sur la mortalité, des patients moins graves gardent des bénéfices sur des critères secondaires. Il me semble justifié d'élargir les indications au vu de ces deux études ».
Anthony Suffredini est plus réservé mais estime que ces nouveaux résultats peuvent faire tomber des réticences : « des cliniciens s'occupant d'un patient dont l'état s'aggrave après une escalade des doses de vasopresseurs et chez lequel d'autres interventions centrales ont été instituées (...), vont probablement estimer que les bénéfices à court terme de l'hydrocortisone à faible dose sont supérieurs aux risques (...) en tant que traitement adjuvant chez des patients sélectionnés ».
Les GC présentent l'avantage d'être peu coûteux. « On n'élimine pas la mortalité du choc septique, explique le Pr Annane. Mais c'est la première fois qu'un traitement baisse la mortalité dans cette pathologie grave. Il y a de bonnes chances que les recommandations de la "Surviving Sepsis Campaign" bougent en 2018 ».
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