Le principe de cette étude a été de randomiser des patients ayant une goutte et une maladie cardiovasculaire (CV) associée (coronaire, cérébrovasculaire, des membres inférieurs, ou un diabète avec atteinte microvasculaire) pour qu’ils reçoivent soit de l’allopurinol (de 200 à 600 mg par jour) soit du fébuxostat (de 40 à 80 mg par jour), et juger si ce dernier n’est pas inférieur (marge de non-infériorité à 1,3) au premier en matière d’incidence d’événements CV majeurs – décès CV, infarctus du myocarde (IDM), AVC, revascularisation en urgence pour angor instable – à long terme.
Un résultat paradoxal
L’essai a été conduit en double aveugle aux États-Unis, au Canada et au Mexique. Les 6 190 patients inclus avaient en moyenne lors de l’inclusion un âge de 64 ans, une insuffisance rénale de stade 3 dans 53 % des cas, une ancienneté de la goutte de 12 ans, un indice de masse corporelle à 33,5 kg/m² et un diabète dans 39 % des cas. Ils recevaient dans 77 à 80 % des cas un antiagrégant plaquettaire, et dans 74 % des cas un hypolipémiant.
Le résultat concernant le critère principal a montré qu’au terme d’un suivi médian de 32 mois, le fébuxostat n’est pas inférieur à l’allopurinol en matière d’événements CV majeurs (HR : 1,03). Cependant, dans l’analyse critère par critère et en intention de traiter, dans le groupe sous fébuxostat, par rapport au groupe sous allopurinol, la mortalité CV est apparue significativement augmentée (4,3 % vs 3,2 % ; HR : 1,34) de même que la mortalité totale (7,8 % vs 6,4 % ; HR : 1,22), sans que l’incidence des IDM ait été différente (3,6 vs 3,8 % ; HR : 0,93), ni celle des AVC (2,3 vs 2,3 % ; HR : 1,01).
Une fiabilité limitée
Aucune explication claire ne peut être fournie à ce paradoxe d’un résultat non significatif concernant les événements CV non fatals et d’un résultat significatif concernant les événements CV fatals et la mortalité totale. Plusieurs éléments particuliers à cette étude doivent donc être soulignés qui peuvent en limiter la fiabilité.
En premier lieu, l’étude a été construite selon un protocole de non-infériorité, ce qui rend toujours sujette à interprétation les analyses sur des critères secondaires lorsque l’on tente d’affirmer la significativité d’un résultat sur ces critères, dans une optique de rejet de l’hypothèse nulle.
En deuxième lieu, lors du suivi, le taux de patients ayant atteint un niveau d’uricémie inférieur à 60 mg/L ou à 50 mg/L a été plus important sous fébuxostat que sous allopurinol. Les groupes n’étaient donc par parfaitement comparables lors du suivi. Toutefois, si l’acide urique est considéré comme un facteur de risque CV, cet élément aurait pu permettre d’observer une incidence moindre d’événements CV sous fébuxostat que sous allopurinol.
En troisième lieu, dans chaque groupe, 45 % des patients ont interrompu leur traitement par allopurinol ou fébuxostat avant la fin du suivi. Cela justifie donc d’analyser des patients sous traitement si les taux d’arrêt de traitement et de durée d’exposition au traitement sont comparables. Cette analyse montre que l’augmentation de la mortalité CV reste significative sous fébuxostat par rapport à l’allopurinol (2,0 vs 1,3 % ; HR : 1,49) alors qu’il n’y a plus d’augmentation significative de la mortalité totale sous fébuxostat par rapport à l’allopurinol (3,0 vs 2,3 % ; HR : 1,26). En parallèle, il a été rapporté que la majorité de décès sont survenus alors que les patients ne prenaient plus le traitement évalué.
En quatrième lieu, l’analyse des traitements associés chez les patients décédés de cause CV montre une disparité entre les groupes, avec notamment deux fois plus d’utilisation d’AINS et de colchicine chez les patients sous fébuxostat que sous allopurinol, suggérant que les premiers avaient une goutte plus sévère, mais indiquant aussi une possible différence entre les groupes dans leur prise en charge lors du suivi.
Vers une nouvelle pratique
Plusieurs attitudes pratiques sont possibles pour le médecin. La première est tout simplement de ne plus prescrire ce traitement. La deuxième est de ne le prescrire qu’en seconde intention, en cas d’inefficacité et/ou d’intolérance à l’allopurinol, éventuellement pour un temps réduit, les événements CV survenant après un temps d’exposition prolongé dans l’étude CARES. La troisième est de considérer qu’il y a une part possible de hasard dans le résultat observé (pas de différence significative sur le critère primaire entre les groupes comparés et taux élevé d’arrêt de traitement), qui pourrait ne pas être fiable.
Quoi qu’il en soit, le fébuxostat pourrait éventuellement être envisagé uniquement comme un traitement de deuxième intention après l’allopurinol, dans le traitement de fond de la maladie goutteuse avec hyperuricémie persistante.
White W. B., Saag K. G., Becker M. A. et al. « Cardiovascular safety of febuxostat or allopurinol in patients with gout », The New England Journal of Medicine, vol. 378, no 13, mars 2018
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