Californie, côte Ouest des États-Unis, juin 1981, les premiers cas de sida sont signalés chez des homosexuels masculins, marquant le début d’une épidémie qui fera plus de 39 millions de morts dans le monde.
Plus de 34 ans plus tard, à Castro, quartier symbolique de la communauté gay, avec ses drapeaux arc-en-ciel, ses passages pour piétons aux couleurs du mouvement LGBT, San Francisco, la seconde ville la plus peuplée du pays, tente de retrouver la liberté sexuelle que chantait Maxime Le Forestier dans sa maison bleue des années 1970.
Depuis 2013, la ville a adopté la prophylaxie pré-exposition, la PreP, une stratégie approuvée par la FDA à la fin de l’année 2012 sur la base notamment des résultats de l’étude Iprex chez les homosexuels. L’efficacité de la stratégie n’est que partielle (42 %) mais une analyse des sous-groupes montre une efficacité de près de 90 % chez les individus qui prennent le Truvada (ténofovir/emtricitabine)*. Au cœur de Castro, à la clinique Magnet, un centre communautaire géré par 5 infirmiers et 5 volontaires, entre expos de photos, lectures de poèmes et autres activités culturelles, 40 à 70 personnes sont accueillies par jour pour des soins, un dépistage du VIH ou d’une IST mais aussi pour une prescription de PrEP.
Un bénéfice psychologique
Le protocole est précis : il vise à s’assurer que le candidat à la PreP est bien séronégatif afin d’éviter tout risque de résistance. Seuls les plus à risque sont censés en bénéficier. « En pratique, nous acceptons tous ceux qui en font la demande. S’ils sont à faible risque, nous le leur disons mais nous leur laissons le choix », souligne Pierre-Cédric Crouch, infirmier spécialisé et directeur de la structure. « No Blame, No Shame » (ni culpabilité, ni honte). Ces mots inscrits sur les affiches et le tee-shirt des soignants illustrent la philosophie du centre. « Nous ne sommes pas là pour juger, nous sommes là pour soigner », insiste le directeur. Selon lui, le bénéfice est aussi bien médical que psychologique. « La PreP enlève la peur d’être contaminé et de contaminer, même chez ceux qui utilisent le préservatif », poursuit-il. En un an, 700 séronégatifs ont été mis sous PreP et la file d’attente s’allonge (le délai est de 4 semaines). Malgré ses 3 salles de consultation, le centre va être obligé de déménager pour s’agrandir et assurer les premières visites (1h30) puis le suivi à 1 mois puis tous les 3 mois.
San Francisco a su tisser un maillage serré afin de permettre l’accès au traitement préventif ou curatif à tous ceux qui en ont besoin ou qui en font la demande. La stratégie est claire et assumée : objectif Zéro contamination, Zéro décès, Zéro stigmatisation. « Beaucoup viennent ici pour la liberté sexuelle. Aujourd’hui nous avons l’opportunité de rendre cela possible sans le virus », lance l’énergique directrice du département de santé publique de la ville et du comté Barbara Garcia. Pour cela, le travail avec les associations est essentiel (27 organisations différentes) et le budget alloué à la lutte contre le VIH conséquent. Barbara Garcia en est persuadée, « la PreP est la clé du changement ». Malgré le coût du traitement (10 000 dollars en moyenne par an), l’accès est possible grâce aux assurances publiques (Medicaid) ou privées et grâce au fonds d’assistance financé par le laboratoire Gilead qui produit le Truvada. Chez Kaizer Permanente, un assureur privé, gérant la principale clinique de San Francisco, plus de 10 000 séronégatifs sont sous PrEP (99 % sont homosexuels) avec là aussi une liste d’attente de 3 semaines. Après la mise sous PreP, les séronégatifs sont suivis par leur médecin ou leur pharmacien en particulier grâce à des alertes ou des mails. Mais avant l’afflux, que le Dr Brad Hare compare à la folie qui gagne les fans à chaque sortie de l’Iphone, les choses n’ont pas été simples : la méfiance prédominait tant du côté de la communauté homosexuelle que du côté des praticiens. Les médias sociaux ont joué un rôle majeur tout comme l’engagement de certains leaders comme Scott Wiener, jeune démocrate briguant un siège de sénateur et représentant le district de Castro qui a annoncé publiquement qu’il était sous PreP. « Il aura fallu un changement culturel », confirme le Dr Stéphanie Cohen, directrice de la City Clinic, un centre municipal de santé sexuelle participant au Demo project (étude de la PreP en vie réelle). L’étude a permis de valider qu’une extension de la preP était possible et a mis en évidence certains obstacles et voies d’amélioration (l’accès à l’assurance, l’information et l’accompagnement des séronégatifs ou encore la formation des praticiens…). D’autres stratégies sont à l’étude comme la PreP injectable (HPTN077).
Au San Francisco General Hospital
Désormais la communauté gay adhère. Nathan Allbee, 36 ans, prétend même être un « évangéliste de la PreP » et explique que si « certains sont capables de toujours utiliser le préservatif », lui ne le peut pas même s’il a vu mourir beaucoup de ces amis. Et puis, souligne-t-il, « la PreP ne dépend que de moi ; faire confiance c’est compliqué ».
Eric, lui, fait partie de ceux qui ont voulu avoir la PreP dès 2013 mais, sans emploi ni assurance, il pensait cela impossible. Nous le retrouvons à l’hôpital général (San Francisco General Hospital), au célèbre Ward 86, premier service VIH à ouvrir dans la ville, au même étage que le service d’oncologie. Eric a été diagnostiqué positif à la Magnet Clinic de Castro et a immédiatement été référé à l’hôpital où il a intégré le programme Rapid, l’autre pilier de l’initiative « Getting to zero » : dépister et traiter le plus rapidement possible (Test and treat) stratégie adoptée en 2010. Grâce à ce programme, les patients peuvent consulter immédiatement (certains sont accompagnés en taxi), voir un médecin, une infirmière, une assistante sociale qui les aide à trouver une assurance, avoir accès aux examens de laboratoire. En moins de 24 heures, Eric a reçu son traitement (une prescription pour 5 jours). Comme les autres séropositifs il sera suivi à l’hôpital général avec un leitmotiv : éviter les perdus de vue. Là encore, les dossiers électroniques permettent d’avoir des alertes et de mettre en œuvre une réponse appropriée. Pour ceux qui ne se rendent pas au rendez-vous, des médiateurs (navigators) prennent le relais pour tenter de les contacter et les rechercher si besoin. « Nous mettons aussi en place une stratégie très agressive de dépistage et de suivi des partenaires sur le même modèle que les IST afin d’arrêter la transmission », explique Diane Jones, infirmière spécialisée qui a participé au tout début de l’épidémie ce qui lui permet de mesurer aujourd’hui les progrès accomplis même si, regrette-t-elle, la stigmatisation constitue toujours un frein non dépassé.
San Francisco, épicentre des débuts de l’épidémie (2 332 nouvelles infections au moment du pic de 1992), est présenté par l’ONUSIDA comme un modèle de la lutte contre le VIH. En 2013, la ville enregistrait une baisse des nouvelles infections de 16 % (359 contre 526 en 2012) qui s’est poursuivie en 2014 (302). Désormais 94 % des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut, 84 à 91 % des personnes diagnostiquées sont sous antirétroviraux et 88 % des séropositifs traités ont une charge virale indétectable. L’ONUSIDA y voit l’impact de la PreP alors que seulement un quart des besoins serait satisfait.
* En France, l'étude ANRS-IPERGAY a montré une réduction des contaminations de 86 % avec la PrEP à le demande, désormais autorisée en France.
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