UN FRANÇAIS sur 5 consomme au moins une benzodiazépine (BZD) ou apparentée chaque année, ce qui représente entre 2006 et 2011, 26 millions de personnes. Les chiffres publiés par l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) confirment la réputation de l’hexagone comme grand consommateur de BZD depuis leur commercialisation dans les années 1960. La France se place au deuxième rang européen pour l’utilisation des anxiolytiques, derrière le Portugal, ainsi que pour les hypnotiques, derrière la Suède. « Si on confond les deux classes de benzodiazépines, les Français décrochent la première place », remarque Bernard Bégaud, professeur de pharmacologie à l’Université de Bordeaux et directeur de recherche à l’INSERM.
En 2010, les 134 millions de boîtes vendues représentaient 3,8 % de la consommation totale des médicaments, ce qui est loin d’être insignifiant, alors que ces molécules (22 sont sur le marché français) sont délivrées sur prescription médicale, et, théoriquement, pour une durée limitée (12 semaines pour les anxiolytiques, 4 pour les hypnotiques). Les anxiolytiques représentent 50,2 % des indications de benzodiazépines, devant les hypnotiques (37,8 %). La faible part des myorelaxants (7,3 %) et des antiépileptiques (4,8 %) est trompeuse, car seule une BZD est disponible dans chacune de ces deux classes pharmacothérapeutiques.
Trompeuse, la diminution apparente de la consommation de 1,8 % l’est aussi. Si en 10 ans le nombre de doses définies journalières est passé de 90,8 ‰ à 82,9, elle repart à la hausse ces 2 dernières années, en dépit des mesures prises par les pouvoirs publics*. De plus, le tétrazépam (myorelaxant) et le Clonazépam (anticonvulsivant) sont de plus en plus prisés, avec une croissance de + 3,6 % chaque année depuis 10 ans pour le premier.
Enfin, les Français ne sont pas égaux devant les benzodiazépines. Près de 60 % des consommateurs sont des femmes. Les sujets âgés sont les plus addicts : 1 femme sur 5 consomme des anxiolytiques lorsqu’elle est âgée de 30 à 40 ans, contre 1 femme sur 3 entre 70 et 75 ans.
C’est là où le bât blesse. Car si l’AFSSAPS ne révèle rien qu’on ne sait déjà sur l’appétence des Français pour les benzodiazépines, elle trahit son inquiétude à l’égard de médicaments qui sont loin d’être anodins, surtout avec l’âge.
Polémique sur les démences.
L’agence du médicament consacre en effet de longues pages à la recension des risques. La plupart sont connus. Les benzodiazépines, en agissant sur le système nerveux, provoquent des troubles de la mémoire et du comportement. Ils exposent à un risque de dépendance psychique et physique, avec un syndrome de sevrage à l’arrêt du traitement. Ils augmentent aussi le risque d’accident de la route, et peuvent être détournés par les toxicomanes ou les criminels.
Plus polémique est le lien entre benzodiazépines et démences. Officiellement, « l’AFSSAPS examine actuellement le lien entre benzodiazépines et démences, dont la maladie d’Alzheimer, suggéré par plusieurs études », lit-on. L’agence cite 5 études décrivant une association positive, 4, pas d’association, et une plaidant en faveur d’une association protectrice. Rassurante, elle souligne la difficulté qu’il existe à tirer des conclusions définitives sur un lien entre médicaments et démences, en raison de biais méthodologiques (par exemple, comment s’assurer que les personnes ne présentaient pas des symptômes de démence avant la mise sous traitement, alors que ces symptômes pourraient avoir entraîné la prescription de BZD).
Le Pr Bernard Bégaud travaille depuis 10 ans sur le sujet. Il souligne que sur les 10 études citées, les 4 qui n’affirment pas d’association entre Alzheimer et benzodiazépines n’infirment rien. « Elles montrent que le risque est fort, sans être statistiquement significatif », explique-t-il. Si bien que la majorité des travaux, y compris une récente étude anglaise (où la consommation d’anxiolytiques et d’hypnotiques est moindre qu’en France) exposent « des données allant dans le sens d’une association », résume-t-il. Alors qu’il vient de mettre le point final à un article sur une cohorte de plus de 3 000 personnes sur 23 ans, qui devrait être prochainement publiée dans une revue anglo-saxonne, il se veut prudent mais néanmoins ferme. « On ne peut pas savoir si des cas d’Alzheimer sont induits ou précipités par la consommation de benzodiazépines, on ne peut affirmer de lien direct, mais si ces études sont vérifiées, plusieurs milliers de cas seraient à mettre en relation avec la consommation de ces médicaments ». Les projections font état de 16 000 à 31 000 cas sur les 200 000 cas d’Alzheimer recensés en France chaque année. Un soupçon qui, selon le Pr Bégaud, justifie la mobilisation des pouvoirs publics, jusque-là peu réactifs.
L’AFSSAPS donne avec cet état des lieux un premier signal. Elle annonce le renforcement de mesures déjà initiées, en faisant une priorité de la communication vers les généralistes, principaux prescripteurs. « Certains messages devront être rappelés comme la nécessité de "peser" la première prescription, de limiter les posologies et la prescription dans le temps et de réévaluer la pertinence du traitement régulièrement. » Une mesure indispensable, juge le Pr Bégaud, alors que les durées de traitements sont de 7 mois en moyenne pour les anxiolytiques et les hypnotiques, et jusqu’à 2 ans pour la moitié des sujets traités. L’agence évoque également l’extension de la prescription sur ordonnance sécurisée et la réduction des boîtes de médicaments.
*À noter, ces chiffres prennent en compte la consommation individuelle, non le nombre de personnes traitées, qui lui, ne diminue pas.
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