Pain de « savon de virginité » à la main, la YouTubeuse philippine Rosanel Demasudlay assure face caméra à ses centaines d'abonnées que ce produit est sûr et peut les aider à « resserrer » leur vagin. Sa vidéo fait partie des innombrables contenus pseudo-médicaux et dangereux qui pullulent sur les réseaux sociaux – les Philippins figurant parmi les plus gros utilisateurs au monde.
Même avant le Covid et le confinement, beaucoup d'habitants effrayés à l'idée de consulter un médecin cherchaient leurs traitements en ligne, où les prix sont moins élevés et les médicaments plus faciles d'accès.
Mais durant la pandémie, les fact-checkeurs de l'AFP ont constaté une explosion de la désinformation autour de cosmétiques non testés et de remèdes miracles pour des pathologies chroniques. La majorité de ces contenus apparaissent sur Facebook dans des publications classiques ou sont mis en avant par des publicités payantes. Ils peuvent ensuite circuler des semaines, voire des mois sans être épinglés par Facebook, qui fait face à un torrent de désinformation. Le réseau social dispose d'un système de vérification largement automatisé des publicités avant leur mise en ligne, mais il n'y a pas de contrôle en amont des publications simples.
Vidéos trafiquées, reportage truqué
La plupart des produits sont proposés dans des vidéos trafiquées pour ressembler à des contenus professionnels appuyés par de vrais médecins. D'autres apparaissent dans des coupures de presse manipulées, ou sont vantés par des vidéastes comme Rosanel Demasudlay.
Exemple, un reportage philippin truqué qui semblait présenter un complément alimentaire à base de plantes comme une alternative à l'insuline pour les diabétiques. Une seule publication de cette fausse vidéo été vue plus de trois millions de fois, partagée à plus de 7 000 reprises et a suscité près de 10 000 commentaires, dont beaucoup d'auteurs disant vouloir acheter le produit.
La vidéo de 15 minutes de Rosanel Demasudlay, elle, a été visionnée plus de 10 000 fois depuis sa publication en août 2022. Elle affirme à tort que le « savon de virginité Bar Bilat » a été approuvé par l'Administration philippine des denrées et des médicaments (FDA) comme traitement pour des pathologies cutanées permettant aussi de resserrer le vagin. Mais la FDA a en réalité mis en garde les consommateurs contre l'usage de ce savon « non autorisé » en raison de risques allant d'irritations à la défaillance d'un organe. Des mois plus tard, la YouTubeuse a reconnu dans une autre vidéo que le savon lui avait provoqué des « démangeaisons jusqu'au point d'en saigner ». Elle a pourtant continué d'en faire la promotion.
La riposte des praticiens philippins
Pendant la pandémie, des médecins philippins alarmés ont commencé à publier gratuitement leurs propres vidéos répondant à des questions de santé courantes. Mais l'initiative s'est retournée contre eux quand des défenseurs de faux traitements ont détourné des extraits pour promouvoir leurs produits.
La rhumatologue Geraldine Zamora, basée à Manille, fait partie des médecins visés. En 2020, elle a commencé à poster des vidéos sur TikTok, où elle compte plus de 60 000 abonnés et des centaines de milliers de visionnages. « C'était une bonne chose pour nous car nous avons été en mesure de diffuser nos connaissances médicales à des personnes qui n'auraient sinon pas pu consulter de médecin », a-t-elle expliqué.
Cependant, son contenu a été utilisé pour vanter une marque non-enregistrée de compléments censés soigner l'arthrite, contre laquelle la FDA a mis en garde.
Problème mondial
Avant d'être supprimées par Facebook, les vidéos trafiquées ont été vues des dizaines de milliers de fois, y compris par des patients de cette rhumatologue, qui ont envisagé d'acheter le produit parce qu'elle semblait le recommander.
L'OMS a déclaré à l'AFP que « cette promotion et ces publicités inappropriées » pour des médicaments non enregistrés sont un problème mondial ancien, renforcé par la pandémie. Les Philippins sont particulièrement vulnérables à la désinformation médicale en raison d'une pénurie de médecins et de l'usage important d'internet, estime Eleanor Castillo, experte en santé publique à l'université des Philippines. Et « en particulier dans les régions reculées », les médecins ne viennent que quelques fois par mois, ajoute-t-elle.
L'utilisation de traitement non approuvés peut avoir des conséquences graves. Le président de l'Académie d'ophtalmologie des Philippines, Vicente Ocampo, a rapporté que des patients parfois adolescents sont devenus aveugles après avoir utilisé des gouttes pour les yeux achetées en ligne. « Cela nous attriste que des gens croient sans hésiter à des publicités qui affirment pouvoir soigner tous les problèmes oculaires aussi rapidement que possible, et qu'ils soient prêts à payer un prix exorbitant pour ces gouttes », a-t-il déploré. Selon lui, des publications Facebook vendant les gouttes d'une marque non-enregistrée ont utilisé des images de vrais médecins et le nom de l'Académie.
La politique publicitaire de Meta, maison mère de Facebook, interdit les « promesses ou suggestions de résultats irréalistes » en matière de « santé, perte de poids ou d'opportunités économiques ». Mais des recherches par mots-clefs sur Facebook ont pourtant montré des centaines de publicités vérifiées par l'AFP encore en ligne.
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