Présent à Bordeaux depuis 1996, Médecins du Monde assure un accompagnement médical et social des populations vulnérables dans son centre d’accueil de soins et d’orientation (CASO) et avec les sorties de sa mission squats. L’association accompagne migrants, précaires et SDF vers l’autonomie médicale par l’ouverture des droits de Sécurité sociale et l’intégration dans un parcours de soins coordonné et pérenne.
Mais cette volonté se heurte à deux obstacles, comme l’explique Damien Junca, coordinateur du CASO : « côté patients, la méconnaissance de notre système de santé et du rôle central du médecin traitant ; et côté médecins, certaines réticences à recevoir ces patients, principalement à cause de la barrière linguistique ».
En 2017, MDM décide de créer un réseau de généralistes ouverts à l’accueil de personnes vulnérables. « Mais leur petit nombre concentrait la précarité dans quelques cabinets et obligeait les patients à consulter parfois loin de leur quartier, indique Damien Junca. Or, nous sommes très attachés au libre choix du médecin ; c’est pourquoi nous avons décidé d’élargir notre réseau et de le doter d’un outil d’interprétariat téléphonique. »
Un interprète en deux minutes
Deux ans plus tard, MDM fédère une quarantaine de généralistes volontaires au sein du « Réseau Santé 33 ». Parmi eux, le Dr Nicolas Camus, 42 ans, qui exerce en cabinet collectif dans le quartier Bacalan à Bordeaux, se dit « sensibilisé à la précarité depuis toujours pour avoir travaillé comme urgentiste, au SAMU Social de Paris ou dans des dispensaires au Brésil. »
C'est durant l’année 2020 que les généralistes du réseau ont pu commencer à tester l’outil d’interprétariat téléphonique ISM*. Le résultat est unanimement salué. « La consultation est un peu rallongée mais elle est plus efficace, explique le Dr Juliette Jaeger, 32 ans, généraliste en centre de santé mutualiste. Et l’outil est très réactif, en deux minutes, on a un interprète en ligne. Cela favorise l’intimité de la consultation ; je peux recevoir des femmes, sans la présence du mari ou des enfants pour traduire. » La durée moyenne d’un appel d’interprétariat tourne autour de 10 minutes. « Je n’ai pas encore le réflexe d’utiliser ce service à chaque fois mais il est très utile pour rassurer les gens et améliorer la consultation », confirme le Dr Marina Ratsivalaka, 45 ans, généraliste à Bordeaux.
Moins de stress
Les médecins du réseau qui ont testé l'outil y ont recours une à deux fois par mois au maximum, les patients adressés par MDM ne représentant qu’une toute petite partie des consultations. « Parfois, le patient s’interroge quand il me voit parler dans mon téléphone, confie le Dr Camus, mais quand il entend sa langue au bout du fil, son visage s’éclaire d’un sourire… Il y a alors un climat de confiance, moins de stress chez le patient et de doute chez le médecin. »
Après cette phase d'expérimentation prise en charge par MDM, l’association aimerait passer le relais. « Notre vocation n’était pas de porter ce projet mais d’en démontrer l’utilité, souligne Damien Junca. À terme, l’outil devrait être mis à la disposition de tous les généralistes libéraux de Nouvelle-Aquitaine. Trois régions ont déjà instauré des structures pérennes d’interprétariat téléphonique médical », dont Auvergne-Rhône-Alpes, Pays de la Loire et Grand Est. D'autres acteurs pourraient reprendre le flambeau tels que l'agence régionale de la santé (ARS) ou l'URPS.
L’enjeu n'est pas mince car, comme le soulignait l'IGAS** en 2019, l’interprétariat limite les erreurs de diagnostic, la multiplication des consultations, les examens inutiles, le renoncement aux soins ou les retards de prise en charge.
*https://ism-interpretariat.fr/interpretariat-par-telephone/
**Rapport IGAS « Le modèle économique de l’interprétariat linguistique en santé »
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation