Les jeunes de moins de 15 ans vont particulièrement mal, a alerté le délégué ministériel à la santé mentale Frank Bellivier, ce 4 mars, lors d'une table ronde organisée par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale sur les conséquences psychiques de la crise liée au Covid-19.
« Nous observons une augmentation de la fréquence des tentatives de suicide chez les moins de 15 ans (même si cela reste un phénomène rare) et des situations de décompensations anxieuses et dépressives plus graves que par le passé », a-t-il détaillé. « Autre phénomène : les troubles des conduites alimentaires apparaissent chez des adolescents de plus en plus jeunes, avec des tableaux de plus en plus graves », a-t-il ajouté, sur la base des observations des Prs Richard Delorme, chef de service de pédopsychiatrie à l'hôpital Robert-Debré (AP-HP) et Christèle Gras-Le Guen, présidente de la Société française de pédiatrie. Un phénomène qui n'avait pas été anticipé, a reconnu le Pr Bellivier.
Du côté de Santé publique France, le responsable du département Santé mentale Enguerrand du Roscoat évoque, à partir des bulletins Oscour, une augmentation des passages aux urgences pour troubles de l'humeur à l'automne et en février, ainsi qu'une hausse des gestes suicidaires.
Des alertes chez les étudiants
D'autres médecins ont fait état, auprès des députés, de leurs inquiétudes concernant les étudiants. C'est le cas du Pr Christophe Tzourio, directeur du centre de recherche Bordeaux Population Health/Inserm et du centre de santé des étudiants à Bordeaux, qui dirige deux cohortes en ligne : I-Share, lancée en 2013, et Confins, depuis le premier confinement. « I-Share avait déjà mis en évidence la fragilité de la population étudiante, en termes de santé mentale. Grâce à Confins, qui compare l'état de santé de 2 500 étudiants, par rapport à 1 500 autres personnes, nous observons que les premiers vivent deux fois plus mal le confinement que les non-étudiants ».
Les étudiants apparaissent aussi comme ceux qui éprouvent le score de bien-être le plus bas, dans l'enquête en population générale menée par le Pr Nicolas Franck, chef de pôle au Centre hospitalier Le Vinatier (Bron), lancée dès la deuxième semaine du premier confinement (19 000 répondants) et réouverte lors du second (1 300). Les quelque 1 434 étudiants sondés obtiennent ainsi un score de bien-être à 46 sur une échelle de 14 à 70 (alors que la moyenne habituelle est de 53), contre 50 pour les salariés (télétravail ou non), et 49 pour les chômeurs, lors du premier confinement. Le score des étudiants tombe à 42 lors du confinement d'automne. Des résultats qui rejoignent ceux des enquêtes CoviPrev de Santé publique France.
Rouvrir les facultés, promouvoir la santé mentale
Si personne ne remet en cause l'intérêt, en guise de solution d'urgence, du « chèque psy » proposé par Emmanuel Macron, des mesures plus vastes se font attendre. « Les jeunes ont besoin de relations sociales : il faut rouvrir les facultés, exhorte le Pr Tzourio. Il faut prendre ce risque, sinon un autre nous guette : que les jeunes nourrissent du ressentiment à l'égard des autres ».
Le Pr Tzourio a aussi promu le programme Premiers secours en santé mentale, expérimenté dans sept universités, qui consiste à former en deux jours les jeunes à repérer les troubles psychiques chez leurs pairs. Le ministre de la Santé Olivier Véran avait annoncé son extension à 16 établissements d'ici à la fin de l'année, lors du congrès de psychiatrie de l'Encéphale.
Le Pr Tzourio a enfin insisté sur l'importance d'améliorer la communication, avec le défi de toucher des jeunes. « S'ils comprennent que les troubles psys sont des maladies comme les autres, peut-être iront-ils chercher de l'aide », a-t-il avancé.
Appel, encore et toujours, à une grande campagne d'information
Plus largement, les spécialistes ont appelé à une grande campagne d'information sur la santé mentale. « Les personnes en difficulté n'en ont pas toujours conscience et ne sont pas dans une demande de soin. Il faut toucher ceux qui ne viennent pas nous voir », a déclaré le Pr Franck, regrettant une certaine « modestie » des ressources en ligne, comparé à d'autres pays comme l'Angleterre.
« La dernière campagne de communication sur la santé mentale date de 2007 et on lui avait reproché de médicaliser des problèmes sociaux », a reconnu Enguerrand du Roscoat. « La crise peut être une opportunité pour promouvoir la santé mentale et diffuser l'idée que c'est un bien commun qui nous touche tous », espère-t-il.
Pour le délégué ministériel à la santé mentale Frank Bellivier, la crise a accéléré les réformes en cours de la psychiatre, qu'il a déjà présentées dans nos colonnes. Il a notamment insisté sur l'importance que le gouvernement entend accorder à la pédopsychiatrie et aux démarches « d'aller vers », pour cibler les plus vulnérables. « 80 millions d’euros, c’est très insuffisant. Au vu de l’évolution de la situation, des mesures complémentaires seront prises », a-t-il conclu. Sans pour autant livrer des détails concrets sur le lancement de la grande campagne d'information évoquée par Emmanuel Macron et Olivier Véran, depuis la fin de l'année dernière.
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation