Début 2019, les CIDJ (Centre d’Information et de Documentation Jeunesse) rapportaient les témoignages de jeunes handicapés qui ont accédé aux études supérieures. Occasion aussi de mettre en avant la possibilité d’accompagnement des personnes en altération durable ou définitive de plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques. Mais en pratique, ce sujet reste encore tabou en particulier chez les étudiants en médecine. Bien sûr, l’ensemble des facultés de médecine françaises dispose de référents handicap qui sont chargés de permettre à tous d’avoir les mêmes chances, mais qu’en est-il en amphithéâtre et plus tard ? « Le Quotidien » a posé la question à des jeunes médecins en formation et à d’autres qui ont déjà intégré une pratique médicale. Et leur situation est souvent complexe.
La question des gardes pendant les études
« Je souffre d’albinisme et j’ai une vision de moins de 1/10 aux deux yeux. De ce fait, toute ma scolarité a été effectuée dans un lycée adapté où je bénéficiais d’un accompagnement spécifique (tiers-temps en plus pour les contrôles et les épreuves et accès à un ordinateur), explique ainsi Anaïs. J’ai demandé ce même tiers-temps à mon entrée en PACES. Mais j’ai ressenti un blocage en particulier de la part des autres étudiants : ils mettaient en avant une perte de chance pour eux puisque je disposais de plus de temps pour les épreuves. Certains avançaient aussi qu’être médecin et malvoyant était incompatible. Au final, j’ai choisi kiné, une voie où je me sens en adéquation avec mon souhait de soigner », analyse cette jeune femme de 21 ans.
L’accès aux études de médecine est théoriquement ouvert à tous sans discriminations. Mais pour Franck, sourd des suites d’une méningite à l’âge de 7 ans, ce ne fut pas si simple : « j’ai eu en face de moi des jeunes qui pourtant allaient devenir médecins un jour et qui m’ont jugé, qui ont estimé que je ne pouvais pas être soignant du fait de mon handicap. » Le jeune homme, actuellement interne en radiologie raconte un rien amer : « Avec une de mes amies qui est en fauteuil depuis son enfance, nous avons dû subir des discriminations dans nos choix de stages : nos jeunes collègues nous conseillaient de choisir des stages sans gardes : ils avaient peur de devoir les faire à notre place ».
Faut-il être handicapé pour comprendre le handicap ?
De fait, quand vient le choix de la spécialité, la place du handicap entre souvent en ligne de compte. « J’avais toujours rêvé d’être chirurgien, mais en raison de la boiterie liée à la polio que j’ai contractée pendant mon enfance en Côte d’Ivoire, j’ai finalement choisi d’être anesthésiste, une façon d’intégrer quand même le bloc opératoire », explique Daniel. « Si, malgré tous les obstacles une personne en état de handicap arrive quand même au bout de ses études, elle aura tendance à se tourner vers des spécialités plus adaptées : anatomopathologie, radiologie, spécialités de laboratoire… », abonde Franck. Pourtant théoriquement, au moment de l’internat des aménagements devraient être possibles pour les personnes en situation de handicap comme pour les étudiants atteints de maladies chroniques.
Apparemment, ce n’est souvent pas le cas. « On me disait de choisir médecine physique », continue Daniel, qui poursuit : « Pour certains en effet, seuls les médecins handicapés peuvent mieux comprendre les patients handicapés. Mais c’est triste de penser ça ». Aux États-Unis, le Dr Lisa Lezzoni, atteinte d’une SEP, a analysé l’attitude de 233 soignants face au handicap et elle conclut que seuls 18 % des soignants non concernés par une maladie neuromusculaire imaginent réellement ce que leurs patients vivent contre 92 % des soignants en situation de handicap. Pour autant, elle ne milite pas pour une prise en charge des patients par des soignants qui ont une pathologie en commun avec eux, elle pense que c’est aux non-malades de faire un effort d’empathie.
Perdre son travail, une double peine
Que se passe-t-il quand le handicap survient une fois la spécialité acquise ? En France, sur le site de la FHF (Fédération Hospitalière de France) la question du handicap des soignants est perdue au milieu d’autres informations. Philippe, chirurgien ORL qui a été victime d’une chute de cheval, avertit : « je ne dirais jamais assez à mes jeunes confrères qu’il est essentiel de contracter des assurances complémentaires lorsque l’on exerce en libéral. Sans elles, la survenue d’un handicap peut se doubler d’une catastrophe financière. » Ce médecin qui travaille en clinique parle d'expérience : « Lorsque je n’ai plus pu me servir de mes jambes, je n’ai pas pu imaginer en plus de perdre mon travail de chirurgien. Exerçant dans le privé, j’ai pu accéder à des aménagements peut-être un peu plus facilement que dans le public, mais tout a été très complexe. Aujourd’hui, je consulte plus que je n’opère, mais c’est un choix de ma part, en partie dicté par mon handicap ».
Hors de nos frontières, la situation semble parfois plus favorable. Aux États-Unis par exemple, depuis 1992, l’American with Disabilities Act (ADA) a été mis en place pour éviter que les jeunes atteints de handicap soient systématiquement rejetés des processus ouverts de choix (en l’absence de concours sélectif). Par la suite, en se fondant sur les textes de l’ADA des médecins handicapés peuvent obtenir des aides (aménagements d’horaires, tierce personne en consultation infirmière le plus souvent, dictaphones et reconnaissance vocale…). En Grande Bretagne, le site de la NHS (équivalent local de la Sécurité Sociale) consacre un paragraphe entier aux médecins en situation de handicap et à leur intégration dans le système de soins.
À l’inverse, tous les soignants interrogés par « Le Quotidien » estiment que le système universitaire français n’aide pas les médecins handicapés tout au long de leurs études. Pour autant, ils sont nombreux à considérer que les avancées technologiques (en particulier la téléconsultation) devraient désormais leur permettre de prendre une place de soignant au même titre que leurs confrères.
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